mercredi 29 septembre 2021

Murnau des ténèbres de Nicolas Chemla

« Tu sais nous étions portés par la magie de l’aventure et du voyage, l’envoûtement de cette île enchanteresse, une excitation de tous les instants, et nous le fûmes dès notre arrivée… » 


Cinéaste tantôt du fantastique, tantôt du réalisme, Friedrich Murnau était l’un des maîtres du cinéma expressionniste allemand avant de se décider à partir aux États-Unis. 

De Nosferatu (1922) en passant par L’Aurore (1927), tous les deux considérés comme des grands films de l’histoire du cinéma, Murnau a terminé sa carrière cinématographique avec un film d’inspiration symboliste : Tabou (1931).


Nicolas Chemla avec son roman Murnau des ténèbres nous entraîne au coeur de la réalisation de cet ultime film, tourné en Polynésie en collaboration avec le documentariste Robert Flaherty à qui l’on doit le magnifique Nanouk L’Esquimau


Le roman est une plongée dans le passé, un retour en arrière allant du départ de l’équipe en bateau jusqu’à la fin du tournage et le terrible accident de voiture qui a ôté la vie de Murnau. 

Mais avant cela il y a presque un an et demi de tournage dans lequel des événements étonnants vont se produire. 

L’équipe de tournage, en violant les tabous de l’île, aurait subi une forme de vengeance sacrée. Du moins beaucoup d’accidents sont survenus durant le tournage, des accidents pas toujours explicables et qui étaient, pour les locaux, la preuve que l’équipe aurait transgressé un certain nombre de tabous - par exemple, ils ont choisi d’installer leur matériel dans un ancien cimetière, ce qui serait pas très bien passé ! 


Plus qu’un roman retraçant les derniers mois d’un réalisateur, Murnau des ténèbres lance le pari d’écrire une histoire merveilleuse (et je l’entends sous ses deux acceptations adjectivales - caractère surnaturel et est exceptionnel).

Le narrateur qui a tout quitté pour suivre les traces du réalisateur rencontre un être, mi-humain mi-fantôme. 


La rencontre entre les deux est l’occasion de découvrir les îles Marquises et de convoquer des figures artistiques, quelles soient littéraires - à travers les écrits de Loti ou Stevenson - ou picturales - avec Gauguin. Le dépaysement transperce chaque page et emmène le lecteur aux coeurs de ces îles. 


Le clivage entre le monde insulaire et le reste du monde est prégnant tout au long du roman, d’autant plus avec le mélange de genres. C’est peut-être ce qui m’a perdu : trop de genres différents, entre le conte fantastique, onirique et aussi philosophique, sans parler de la place du docu-fiction… Est venu un moment où je me suis rendue compte que je n’étais plus dedans mais à côté. Les longues descriptions des îles sont formidables mais j’en étais immunisée sans savoir pourquoi. 


Je garde comme souvenir la poésie qui se dégage et l’objectif d’écrire un texte qui serait à la fois esthétique et biographique. Si au début les personnages me sont apparus comme des marionnettes victimes de traditions ancestrales, je l’ai achevé avec le sentiment qu’ils ne sont en réalité que des fantômes d’un autre monde… 


À lire pour le dépaysement et pour les amoureux d’un des plus grands cinéastes au monde (ouais je suis ultra fan de l’expressionnisme allemand et Nosferatu est un de mes films favoris, et puis j'ai quand même appelé mon chat Faust…!)  







dimanche 26 septembre 2021

Le Monde infernal de Branwell Brontë de Daphné du Maurier

Ce livre ne peut qu’attirer : écrit par la grande Daphné du Maurier et retraçant la vie tumultueuse et franchement triste du fils unique de la famille Brontë, Branwell. 

« Je ne sais qu’une chose, c’est qu’il est temps pour moi de devenir quelqu’un, alors que je ne suis rien. Que mon père n’a plus pour longtemps à vivre et que lorsqu’il mourra, ma vie, déjà en son crépuscule, sombrera dans la nuit. » 


L’écrivain du 20e siècle s’intéresse à cette famille d’écrivains du siècle passée. Si les trois soeurs Brontë ont survécu à la maladie jusqu’à l’âge adulte - Charlotte, Emily et Anne -  elles ne sont pas les seules qui vivaient de leur imagination. Elles sont en revanche les seules à avoir publié quoi que ce soit.


Le Monde infernal de Bramwell Brontë se concentre sur Branwell évidemment mais pas que, car la famille Brontë est unie, la fratrie ne se quittent pas et des groupes se forment entre les frères et soeurs. 


Avant d’aborder l’écriture, l’imagination et la place prépondérante du frère dans les oeuvres des soeurs, Daphné du Maurier s’arrête sur les drames qui ont constitué l’enfance du garçon. 

Traumatisé par la mort de sa mère alors qu’il n’a que quatre ans, c’est plus encore le décès de sa soeur ainée, Maria, qui le hantera toute sa vie. 


De constitution plutôt fragile, le père Brontë ne peut se résoudre à envoyer son unique fils suivre des études. Branwell, considéré comme l’enfant le plus doué de toute la fratrie, reste à la maison.

Avec ses soeurs ils inventent un monde bien à eux. Et en particulier avec Charlotte avec qui il a une affinité particulière, ils ont collaboré sur divers projets, notamment Angria


Après une enfance marquée par la perte mais aussi par la création, Branwell se demande ce qu’il pourrait bien faire de sa vie, lui le surdoué. Il est le ciment de la fratrie, le moteur de l’imaginaire. 

Branwell écrit et écrit, il noircit des pages à n’en plus finir mais rien n’y fait. Personne ne veut le lire, personne ne veut de ses poèmes.


Renfrogné et ressentant un manque cruel de confiance en soi, Branwell est brisé par le monde extérieur mais il doit faire quelque chose, il le faut. Il est l’espoir de la famille, le plus doué de tous, alors que faire ? 


Branwell sera portraitiste, voilà comment contrer sa mauvaise fortune, voilà comment accepter l’idée de ne pas être écrivain. Bien vite son envie disparaît et le jeune homme ne vivra jamais de ses maigres talents — le point positif a cette affaire et que les tableaux des soeurs Brontë ont été peints par Branwell. 


Rien ne marche pour lui, rien n’est à sa hauteur et lui-même n’est pas à la hauteur de grand chose. Il commence à boire et à consommer du laudanum (opium). 

Cette époque marque la déchéance de Branwell qui est n’est le frère adoré par ses soeurs chéries. 

Daphné du Maurier insiste sur cette abandon des soeurs, et notamment Charlotte avec qui il était pourtant très proche. Charlotte ne le supporte plus, elle raconte comment règne une atmosphère horrible dans la maison quand il est là. Branwell est brisé et rien ne peut le réparer. 


Son état empire lorsqu’on lui diagnostique trop tard une tuberculose - l’alcool a masqué les premiers signes. Il meurt à 31 ans avec rien d’autre derrière lui que des centaines de pages noircies et quelques tableaux, la plupart inachevés. 


Cette biographie de Daphné du Maurier est passionnante, elle nous entraîne au coeur de la vie de la famille, on en suit toutes les figures, de la jeune Emily, solitaire et timide, auteure du magistral Les Hauts de Hurlevent, de Charlotte, la seule a connaître la notoriété de son vivant grâce à son Jane Eyre, et Anne, la jeune Anne, auteure de La Locataire de Wildfell Park


On assiste à leur évolution et à leur éclosion. On comprend à quel point Branwell et leurs histoires d’enfant ont eu un impact considérable sur la création des soeurs. Un impact tel que pendant un moment, on a cru que Branwell était co-auteur de certains poèmes d’Emily par exemple, et sans doute qu’aujourd'hui encore on a du mal à définir qui a écrit quoi. 


À sa mort, Emily l’a qualifié de « hopeless », une façon de souligner qu’il n’a jamais rien fait de sa vie contrairement à ce qu’on pensait, quel gâchis tout de même ! Autant de génie et aussi peu de chance. Il y a un fort sentiment de régression chez lui, comme s’il était au meilleur de sa forme dans son enfance et que plus il grandissait, plus il devenait mauvais.


Branwell n’a pas accompli beaucoup au regard de ses soeurs, mais peut-être qu’elles-mêmes n’auraient pas accompli grand chose si elles n’avaient pas eu Branwell comme frère pour les guider dans un monde fantasmé et gigantesque. Le garçon ne manquait pas d’imagination c’est un fait, peut-être manquait-il d’une dose de confiance en soi… 


En citant de nombreuses lettres et autres écrits de Branwell ou de ses soeurs, Daphné du Maurier reconstruit le mythe de la famille Brontë pour notre plus grand bonheur. 

« C’est humiliant, cela, de ne pas savoir maîtriser ses propres pensées, être esclave à un regret, un souvenir, esclave à une idée dominante et fixe qui tyrannise son esprit. » 


Le Monde infernal de Branwell Brontë de Daphné du Maurier, traduit par Jane Fillion. 









mercredi 15 septembre 2021

Le Voyant d'Étampes d'Abel Quentin

Je m’étais trompé et j’avais raison. Mon Robert Willow existait ; je ne l’avais pas inventé. Je l’avais compris intimement, et des types qui avaient appris son existence en ouvrant mon bouquin prétendaient me faire la leçon.

Après avoir rencontré Dounia et Chafia dans Soeur, son premier roman, Abel Quentin revient avec un roman qui interroge plus encore notre société : Le Voyant d'Étampes.


Jean Roscoff est parfaitement dépassé. 

Divorcé, père d’une jeune femme et ancien universitaire désabusé, Jean Roscoff a besoin de créer quelque chose qui restera, quelque chose qui sera une forme d’héritage et qui dissipera la honte ressentie lors de la sortie de son premier livre dans lequel il s’est imposé en tant que défenseur du couple Rosenberg, communistes arrêtés pour espionnage et exécutés en 1953. 


Roscoff pense dur comme fer qu’il s’agit là d’une imposture, que l’on s’est trompé et que les Rosenberg n’étaient pas ce que l’on pensait qu’ils étaient.


Manque de bol : trois jours après la sortie de son livre, les archives sont déclassifiées et qu’apprend-t-on ? Les Rosenberg étaient bien des espions au profit de l’URSS. Sacré coup dur pour cet homme, spécialiste de la question communiste. 


En regardant en arrière, Jean Roscoff se remémore un poète qui a fait battre son coeur. Un poète américain ayant (selon Roscoff) fuit le maccartisme, un homme peu connu et dont le pari du protagoniste est justement de le faire sortir de l’oubli.

Ce poète s’appelle Robert Willow et au moment où il prend la plume pour écrire sa biographie, Roscoff est à des années lumières d’imaginer comment il sera reçu. 


Jean Roscoff, superbe anti-héros refuse de se remettre en question, refuse de voir ce que tous les autres ont remarqué : son racisme.

Mais comment pourrait-il être raciste, lui qui dans sa jeunesse a été membre de SOS Racisme, lui qui s’est fatigué à fouler des kilomètres de bitume pour manifester ? 

Entre mauvaise foi, aveuglement et incompréhension, Roscoff se demande bien comment un tel acharnement est possible. Il y a oublié de mentionner la couleur du poète, et alors ? En quoi cela a-t-il un impact sur la plume de Willow ? Sur son communisme ? Sur sa disparition ? 


Le Voyant d’Étampes nous plonge dans une immensité sans fond, un gouffre où le protagoniste ne cesse de dégringoler malgré les efforts pour en sortir. 

En interrogeant sur l’importance (même la nécessité) de la nuance, Abel Quentin décrit un monde malheureusement existant. Un monde où la pensée à contre courant est assassinée, tuée dans l’oeuf avant même d’éclore.  


Les dernières pages du roman sont parfaites, elles renvoient dos à dos les idées de chacun, car, quand l’un a tort, l’autre a-t-il forcément raison ? 


Pétri de cynisme, Le Voyant d’Étampes est une juste observation du monde d’aujourd’hui. Un roman actuel et sacrément bien mené. 

Un des meilleurs romans de cette année ! 


Selon Frederic Beigbeder, l’auteur fait partie de ces écrivains qui « décrivent la déliquescence française avec un sarcasme vengeur », il est évidemment impossible de dire mieux ! 


Et je ne peux décidément pas conclure cette chronique sans parler des diverses références égrenées tout au long du livre. Ainsi, Les Visiteurs côtoie la Bible : « Emmaillotée dans quatre ou cinq couches de vêtements, elle ressemblait à la Dame Ginette des Visiteurs ; elle se présenta comme une poétesse et précisa crânement qu’elle avait connu bibliquement T.S. Eliot. » et ça, ça n’a pas de prix ! 



 



dimanche 12 septembre 2021

Apprendre à se noyer de Jeremy Robert Johnson

« Quelle conception erronée du monde est la tienne pour considérer que les humains portent les seuls enfants ? Que seul l’homme peut être accablé de chagrin ou gémir dans la nuit ? »

Étrangeté : le mot qui me vient directement lorsque je pense à ma lecture d’Apprendre à se noyer. 


Jeremy Robert Johnson nous entraîne au coeur d’une histoire atypique où l’amour d’un père pour son fils dépasse tout. 


Le début est assez anodin : un père emmène son fils pêcher dans un coin inconnu de l’Amérique du Sud. 

Pas de lieu précis, pas d’époque, pas de nom. Cet homme peut être n’importe quel homme, sa femme, figure fantomatique du roman, peut être n’importe quelle mère. Cet enfant enfin, ce petit être fragile et innocent, peut être n’importe quel enfant. 


Malgré le commun des premiers mots, l’étrangeté arrive au galop et s’immisce au travers des lignes. 

Ce que l’on pensait être une histoire familiale est en réalité une sorte de nature writing. Une fable naturelle. 


Le cauchemar s’installe aussi vite que la joie disparaît. Et la gloire de la nature est remplacée par sa dangerosité. La nature respire, vit. Douceur et férocité. C’est dans cette ambiance de crise que le protagoniste survit tant bien que mal et essaie par tous les moyens de réparer l’irréparable.  


L’auteur nous entraîne dans une quête, le protagoniste doit suivre son parcours initiatique autant extérieur qu’intérieur. 

Le danger ne vient pas (seulement) de la nature, le danger vient surtout de nous-mêmes ; des chasseurs sachant chasser… 


Jeremy Robert Johnson dévoile un roman très fort dans sa brièveté. À peine quelques pages lus et vous serez pris d’empathie pour cet homme dont on ne connait le nom. Invitation à la réflexion sur notre place dans la nature et sur la nature elle-même, Apprendre à se noyer raconte bien son titre… 


Traduit par Jean-Yves Cotté. 








mardi 7 septembre 2021

Simone de Léa Chauvel-Lévy

« Les mots de Breton l’avaient percutée de plein fouet, elle se sentait accidentée, rescapée du grand trauma du voyage amoureux. »

Après Lee Miller, les éditions de l’Observatoire nous donne à découvrir une autre femme proche des surréalistes grâce à la magnifique plume de Léa Chauvel-Lévy : Simone Rachel Khan. 



À 23 ans Simone est libre, belle et intelligente. Elle a le monde pour elle dans le Paris des années 1920. 

C’est ce que nous dit la 4e en tout cas. 


L’incipit, lui, est d’une violence inouïe. 

Nous entrons dans l’effervescence du mouvement Dada et faisons la rencontre de celui qui fera basculer sa vie. Son futur mari, André Breton. 


Entre eux c’est une évidence, l’amour est là, entre chaque regard, chaque mot prononcé ou tu. 


C’est l’histoire de leur amour, de leur rencontre à leur mariage. 

L’auteure s’arrête d’ailleurs au mariage, sans entrer dans l’intimité de leur neuf années passées la bague au doigt. 


Conclure sur leur mariage, c’est conserver la passion à son paroxysme. Ils s’aiment d’un amour indestructible, un amour que la distance ou qu’autrui ne peut vaincre. 


En refermant le roman j’étais entre deux feux : est-ce que j’aurais préféré un roman qui retracerait toute leur histoire ? est-ce que j’aurais souhaité en apprendre plus sur Simone ? 


J’ai cherché, découvert et me suis rendue compte que le roman s’arrête pile où il faut. L’impact de l’incipit, la rencontre, l’amour sans explication, malgré les obstacles, malgré la famille, le petit ami, l’argent. L’amour l’amour l’amour. 


Je me disais que j’aurais aimé quitter le conte de fée pour rejoindre la réalité du couple, mais la force de l’histoire réside dans son découpage. 

Se concentrer sur la rencontre, les premiers émois, l’amour fou a permis à Léa Chauvel-Lévy de livrer une histoire d’une rare tendresse. 


La quintessence de la volupté. 

Voilà comment je me représente ma lecture de Simone


Gros + : la recherche effectuée par l’auteure, notamment dans la correspondance avec la cousine de Simone, Denise. 



« Elle geignait un peu, tremblait beaucoup. Toutes ses angoisses étaient remontées à la surface comme un objet plus léger que l’eau. Et lui, confiant en ce que la vie leur réserverait, était toujours là, à ses côtés, malgré le vent et ses bourrasques, il tenait pour deux. »


Le ciel en sa fureur d'Adeline Fleury

Quand le varou m'emportera je m'endormirai dans le ciel de tes yeux. Sous les auspices de Jean de La Fontaine, Adeline Fleury nous ...