mercredi 28 septembre 2022

L'Effet Titanic de Lili Nyssen

C’est rien tout ça, les douleurs s’enrayent dans l’euphorie. Parfois ça affleure dans un soupir, tu sais j’ai peur d’aimer, et moi, j’ai peur des autres. 

C’est vrai que rien ne destinait Flora à rencontrer Zak. Chacun vit au Havre, la première du côté de la mer, le second dans une cité où le béton est un paysage à lui tout seul, unique ligne d'horizon. 

Les mots se rentrent dedans, le vide pourrait enfler encore mais il se peuple ; regard, sourire, gêne opportune.



Les deux adolescents n’évoluent pas dans le même monde mais ils vont vivre ensemble leurs premiers émois, leurs premières carasses, leur premier amour. 

Un amour d’enfant, un amour qui rime avec toujours. 

Il a remarqué que les mots donnent corps et il a peur du vrai. Ça vous engage le vrai. C’est un premier battement d’ailes et ça devient ce vent dans la tronche qui vous renverse. 

L’écrivain est tantôt maître tantôt esclave de son histoire. Flora et Zak sont sa création, la remontée des profondeurs de sentiments ressentis, de moments vécus. C’est Lili Nyssen ou bien un double fictionnel qui remonte la chaîne des souvenirs, qui se remémore une histoire passée, histoire blessée, pas encore cicatrisée.

Tu l’aurais rangé dans la bibliothèque alors que j’aime que les livres vagabondent. Je disais laisse, ça fait de la vie. Tu disais non, ça fait du bordel.

Une histoire différente mais avec là aussi un retour à l’adolescence et au premier amour.  

Mon adolescence, je l’ai passée à fondre dans les nuques, à laisser les parfums se déposer sur la mémoire pour les réminiscences : qu’elles arrivent n’importe où, dans un bus, dans une fête, tiens ça sent comme ; qu’elles compriment le coeur. J’avais envie d’écrire cela, ces vapeurs de rien, même pas des bulles, juste des effluves.

Lors de la lecture de L'Effet Titanic j’ai préféré la relation entre Zak et Flora, le trouble né de l’inconnue, la peur de ne pas être à la hauteur, la difficulté à évoluer dans des mondes différents. L’insouciance de Flora, l’angoisse de Zak laissé seul suite aux lourdes révélations de son frère ; pourtant avec du recul, j’ai adoré les passages du point de vue de l’écrivain, ce sont ceux dont la poésie m’a le plus touché. 

Moi j’ai dans la tête une voix inaperçue qui commente tout. Je ne me figure pas une pensée sans bruit.


Je m’en veux d’avoir peur des mots — le comble quand on veut écrire. Peur qu’ils sortent sans retour ou soient trop murmurés. 


Un premier roman remarquable par sa délicate mélodie. 











mercredi 21 septembre 2022

Euphorie d'Elin Cullhed

 La vie est si à vif, ai-je pensé, si crue, si écorchée. Si… rétrécie. Personne n’écoute mon bonheur, personne ne veut de mes intentions grandioses par rapport à la vie. Personne ne veut me suivre dans mes projets. 

J’appelais en criant, mais personne pour m’entendre, dans toute cette folie.


Sylvia est mère d’une fille, Frieda, un autre enfant, Nicholas, est en route. Mariée à Ted Hughes, un poète anglais rencontré sur les bancs d’une université à Cambridge ils ont vécu une parfaite petite vie à Londres avant de partir pour la campagne anglaise. Ted qui travaille à la BBC s’y rend de temps à autre. 

Bien vite le charme disparaît, l’homme se détourne, la femme se cogne à son désir inassouvi. 

L’espace d’un instant, pendant que nos yeux d’un brun différent reposaient dans le regard de l’autre, il a vu à quel point l’édifice était fragile. Sa tiédeur et mon feu brûlant, comment pourrions-nous jamais les concilier ?


Avec EuphorieElin Cullhed créer une espèce de suffocation, elle nous abreuve de remarques, de réactions, d’actes excessifs et de plaintes désespérées. 

Je me suis inquiétée de ce qu’il pensait, lui, de mon choix de coloris, que tout ce rouge était un appel à l’aide, comme si je nous avais crée une caverne de sang, l’intérieur d’un coeur ; comme si j’avais désespérément besoin de nous fourrer dans quelque chose qui pulsait un sang chaud, faute de quoi je passerais l’hiver à me perdre en panique et en crises d’angoisse.


Emprisonnée dans un bocal Sylvia tourne en rond. La litanie de l’écriture elle-même tourbillonne, elle ne se fixe que dans des moments bien trop aléatoires, ponctuels, indépendants d’elle. 


Il n’y avait qu’une réponse, il n’y avait qu’une seule réponse à tout : des mots, des mots avec lesquels écrire, des mots avec lesquels reboucher le silence, des mots à sculpter dans le silence, des mots pour tout faire brûler en flammes pleines de remords.


Ted était un homme ; il pouvait disparaître dans la petite pièce sous les combles et écrire comme bon lui semblait. Moi, j’étais propriété publique, j’étais matériau. J’étais femme.


Sylvia est écrivain mais comment l’être quand on n’a pas une minute à soi ? quand on voit son mari monter au grenier écrire pendant qu’on en est réduit à s’occuper des enfants, seule ? Comment trouver un moment entre une couche et un cri, entre un corps dodu posé sur son épaule et une main d’enfant tirant sa robe ? Quand sa mère qui rend dingue vient passer l’été et qu’il faut endurer des connaissances qu’on a invités ? 


Et encore, s’il n’y avait que ça… 


Elin Culhed imagine à quoi ont pu ressembler les dernières années de celle que l’on considère comme l’une des plus grandes poétesses américaines. Elle aborde des thématiques fortes, entre autres : la création, l’émancipation, le désir, l’exil, la maternité, l’adultère. 

Elle mentionne en filigrane la dépression que Sylvia Plath a connue, la peur de la publication, la certitude face à l’écriture, seul rempart contre le tourment et la tristesse d’un présent qui écrase, la femme trompée, abandonnée, lessivée ; au bord de l’implosion. 

Je voulais revenir en arrière, si j’avais pu, je serais revenue sur tout ce que j’étais, mes paroles, mes actes, la façon dont j’apparaissais aux yeux du monde.

J’avais de grandes attentes envers ce roman, les éditions de l’Observatoire m’ont habitué à du très haut niveau (surtout en terme de romans étrangers) et un roman qui se targue de raconter les dernières années de Sylvia Plath, je dis oui (!!) et je n’ai pas été déçue. 

Les obsessions sont là tout au long du texte, de même que la montée en puissance qui nous rappelle que le gouffre de la destruction n’est qu’à un pas. 

L’inexorable est là mais nous ne le voyons pas encore. 

Était-ce encore une de mes méthodes ? Était-ce le moment, une fois de plus ? De me rendre vulnérable pour ensuite être rejetée pour ensuite ouvrir en moi cette béance affamée, celle qui se nourrissait du rejet ?


Traduit par Anna Gibson. 

mercredi 14 septembre 2022

Évidemment Martha de Meg Mason

Lors d’une séance Martha déclare : «  Je ne suis pas douée pour la vie. Apparemment, c’est plus difficile pour moi que pour les autres »,

mais à ce moment là le bouquin est bien avancé et le lecteur s’est rendu compte qu’un truc cloche chez Martha, évidemment qu’un truc cloche depuis l’explosion de la petite bombe dans sa tête. 


Un truc cloche c’est tout ce qui explique ses peurs et ses joies ; les bifurcations et la destination. 




Parler de Martha c’est évoquer la folie (l’hystérie, la dépression, la bipolarité ? non, c’est parler de — — maladie mentale inqualifiable) la guérison l’hérédité l’envie la détresse la colère la solitude le rejet la fragilité l’amour l’espoir. 


Un roman qui commence quasi in ultima res mais qui arrive malgré tout à étonner par la profondeur des personnages (beaucoup de love pour Patrick) et les répliques amusantes, parfois cruelles plus rarement généreuses, de Martha. 


Ça va, Patrick. J’ai juste passé la journée avec des hommes qui m’ont aimée, mais qui ne m’aiment plus, ou qui ont cru m’aimer, mais se sont rendu compte qu’ils avaient juste faim ou un truc du genre.


Oui, un truc cloche. Un truc qui dépeint la vie avec une douce cruauté et une tendresse ironique. 


Je meurs d'envie de lire Evidemment Martha en VO (rien que son titre me plaît : Sorrow and Bliss) moi qui ne lis quasiment pas en anglais, mais là, c'est dire si Meg Masontouché juste ! 


Ce roman brillant a été traduit par Anne Le Bot. 


Tu peux éviter de dire des choses que je suis incapable de comprendre, parce que mon cerveau est devenu un énorme paquet de lingettes mouillées ? 

- Deux choses qui, mises côte à côte dans un poème, conduisent le lecteur à éprouver l’émotion voulue, afin de ne pas avoir à la nommer expressément. Par exemple, si tu écris terril ou crassier, ça t’évite de taper « désespoir existentiel morbide ».






 


Le ciel en sa fureur d'Adeline Fleury

Quand le varou m'emportera je m'endormirai dans le ciel de tes yeux. Sous les auspices de Jean de La Fontaine, Adeline Fleury nous ...