dimanche 25 juin 2023

Le roman d'un chef-d'oeuvre des éditions Ateliers Henry Dougier

Les Liaisons dangereuses selon Fragonard d'Anne de Marnhac

« Il faut peut-être que l’œil apprenne à voir comme la langue à parler », avait écrit Diderot.

Chaque ouvrage offre une plongée au cœur de l’œuvre picturale mais pas que. Avec Hopper on rencontrait Joséphine, la femme-muse effacée, avec Manet c’était le modèle, avec Munch, c’était un point de vue autobiographique, un retour sur sa relation avec les femmes dans sa vie et dans son œuvre.



Anne de Marnhac n'entre pas dans la peau du peintre à l'aide d'un je faussement autobiographique, elle instaure une distance qui permet de suivre le peintre et son époque. Le contexte est central pour comprendre comment l’œuvre a été conçue, pourquoi et pour qui. Ce sont d’ailleurs les questions au centre de ce texte : pourquoi le verrou ? la scène décrit-elle quelque chose qui s’est déjà passée ? au contraire, amorce-t-elle une scène plus sensuelle ?


Tout en revenant sur le parcours de Jean-Honoré Fragonard, sur la vision que lui portaient ses contemporains, on entre dans son intimité en quelques phrases : Fragonard a vécu la majeure partie de sa vie au Louvre, avec sa femme, sa fille et sa belle-fille. Considéré à tort comme un libertin, Fragonard était en réalité un homme simple, un peintre différent de ce que ses contemporains et la postérité ont cru :

Contrairement à ce que laisse supposer sa réputation de peintre spécialisé dans les images galantes, les scènes de vie familiale occupent une place importante dans son activité artistique. 

Fragonard n’a pas une très bonne réputation de son vivant. Si prometteur, il a tout gâché en s’éloignant de la dynamique des Salons et des commandes interminables.

Que lui reproche-t-on, finalement ? En fait, on lui en veut d’avoir abandonné le grand genre, c’est-à-dire la peinture d’histoire.

Mais qu’importe, Fragonard est soutenu par le marquis de Véri, un amateur d’art qui lui laisse le temps, qui lui offre des projets ambitieux et intéressants. Des projets scandaleux aussi. C’est le cas de cette commande du Verrou qui doit être le pendant d’un autre tableau, religieux celui-ci, L’Adoration des bergers (1775).

L’élaboration du Verrou est passionnante, la gestuelle, le choix des couleurs... L’auteure nous plonge au cœur de l’œuvre tout en s’interrogeant sur son sens : s’agit-il d’une scène qui donnera lieu à une agression sexuelle ou à une scène tendre entre deux amants ?

Le Verrou n’est pas une scène de contrainte mais une chorégraphie amoureuse ;

Le temps s’est arrêté. C’est un moment unique. Un moment où les êtres sont vrais, où leurs corps parlent pour eux : prosternation, étreinte. Un moment où leurs visages disent la profondeur de leurs sentiments, leur lien ineffable à l’autre.

Qu’est-ce qu’aimer ? »

Les vêtements défaits de l’homme, le regard fuyant de la femme, ce bras posé sur le verrou en un geste mystérieux, tout évoque le mouvement, l’action en train de se faire, une des choses que Fragonard affectionnait particulièrement :

Il a peint et dessiné tant de paysages… Ils portent tous la marque de cet amour vibrant : des arbres qui se balancent dans le vent, des feuilles qui frémissent, de l’eau qui s’écoule dans les fontaines, des nuages vaporeux, qui filent dans le ciel… Le mouvement, toujours le mouvement.

La mort du marquis de Véri a entraîné la dispersion de sa collection et, fatalement, la séparation des deux tableaux initialement conçus pour être accrochés ensemble.

De même, lors de la vente aux enchères apparaît une gravure intitulée L’Armoire et qui n’est pas sans rappeler le Verrou. S’agit-il du véritable pendant ? De la scène qui aurait pu se produire si l’homme n'avait pas poussé le verrou ?

La gravure montrait un couple surpris par des intrus, un lit défait, une porte entrouverte que les amants auraient été bien inspirés de fermer à clé… 

Le Verrou revient sur le devant de la scène en 1974, suite à son achat par le musée du Louvre. Aujourd’hui il est visible aux côtés de son pendant, L’Adoration des bergers.

En prenant le point de départ du Verrou, Anne de Marnhac donne un aperçu du XVIIIe d’un point de vue historique (la naissance de Fragonard correspond au règne de Louis XV et à la tendance au libertinage) et artistique. Autant pictural que littéraire d’ailleurs, puisque l’auteure va jusqu’à s’arrêter sur Les Liaisons dangereuses de Laclos publié en 1782.

 

Pour celles et ceux qui souhaitent découvrir Fragonard ! et pour les initiés, Les Liaisons dangereuses selon Fragonard est une belle synthèse sur ce fameux tableau dont l’énigme ne sera probablement jamais résolue.

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angoisses et désir selon Munch de Marc Lenot 


Lundi, le 23 janvier, c’était l’anniversaire de la mort de Munch, dimanche dernier la fin de la super expo Un poème d’amour, de vie et de mort au musée d’Orsay. 




Si l’on connaît tous Le Cri et son atmosphère angoissante, la plupart de ses œuvres n’ont pas de notoriété similaire (excepté Une soirée sur l’avenue Karl Johan peut-être) mais pourtant Edvard Munch ne se résume pas à cette image d’un cri infini, Edvard Munch c’est avant tout un peintre à cheval entre deux siècles, un peintre avec des préoccupations de son temps. 


angoisses et désir selon Munch prend pour point de départ l’année 1902, le 11 novembre précisément. Un événement majeur, inoubliable, arrive ce jour-là : son amante, Tulla, lui tire dans la main gauche. 


Cette entrée intimiste de Munch a le mérite de nous plonger au cœur du thème principal choisi par Marc Lenot : les femmes dans la vie du peintre. 


Dans cette biographie romancée, l’auteur s’arrête sur les expériences de Munch tout en développant les sentiments qu’il puise directement à la source en citant le peintre pour être au plus vrai

« La vérité se situe entre deux mensonges »

ou bien il cite des tableaux et c’est dans l’analyse que l’on comprend où le peintre norvégien a voulu en venir. 


Ce qu’il a voulu montrer, ce qu’il a voulu dire… ses relations aux femmes sont complexes mais n’ont rien de misogynes contrairement à ce que l’on peut croire. 

Oui il a appelé des tableaux Vampire, Madone, Jalousie, oui il y a eu de nombreuses femmes dans sa vie, de nombreuses femmes qui l’ont fait souffrir, qui l’ont abandonné, qui l’ont mal-aimé.

Oui Edvard Munch a une relation très complexe avec les femmes, relation que sa peinture traduit plus que n’importe quel mot. 


Il faut dire qu’il souffre d’un abandon originel : sa mère, tuberculeuse, n’a jamais eu de marque d’affection de peur de transmettre son fardeau. Lorsque le petit Edvard a cinq ans sa mère s’éteint et c’est sa tante qui prend le relais. Par la suite c’est son pilier, sa sœur aînée Sophie, qui succombe à la maladie. 

« Les femmes de mon enfance furent tragiques et désincarnées. »

Munch est seul car sa famille est maudite. 


Cette certitude d’une génétique meurtrière est ce qui le persuade de ne jamais avoir d’enfant : à quoi bon transmettre son mal-être, ses angoisses (de liberté), sa solitude, sa peur du désir ? A quoi bon avoir un enfant car son héritage reviendrait à le condamner ? 


Mais Marc Lenot le montre très bien, il n’y a pas de haine des femmes, il y a une réflexion, et même un désir prégnant, il y a l’envie et l’interdit ; un mélange d’interrogations sans fin que Munch a tenté d’illustrer grâce à sa multitude de tableaux mettant en scène des femmes — un tiers de sa production représente des femmes, preuve qu’elles étaient pour lui une source inépuisable d’inspiration. 


En s’arrêtant sur les figures féminines qui ont marqué sa vie (le primo romancier va jusqu’à prendre la voix de deux femmes de l’entourage du peintre) Marc Lenot nous entraîne à la découverte de la psyché de Munch, au cœur des interrogations essentielles de l’homme autant que de l’artiste. 

On découvre un homme malheureux, mais un homme qui pense que son malheur est en partie le moteur de sa création. 


Car tout n’est pas noir. Si la dépression (et l’alcoolisme notamment) n’a eu de cesse de planter ses griffes dans ce corps au désir famélique, elle n’en demeure pas moins une des raisons expliquant la variété d’œuvres signées Edvard Munch. 


Mention spéciale pour l’inclusion des mots du peintre norvégien, ainsi que pour les descriptions picturales qui donnent une autre vision des œuvres, diverses, qui n’ont que peu de choses à voir avec Le Cri - peinture que Marc Lenot a eu la bonne idée de laisser de côté. 

Mais je n’ai pas décrit que des stéréotypes de « la Femme » ; j’ai peint des femmes, ni vampires, ni madones, ni prostituées, figures humaines individualisées, complexes et diverses : un tiers de mes cent quarante portraits est constitué de portraits féminins et, de tous mes tableaux, il y en a bien un tiers qui parle d’amour, des femmes, de l’énergie sexuelle, d’une manière ou d’une autre.

Merci encore Atelier Henry Dougier pour cette découverte. 


↗️ Pour tous les amoureux du peintre norvégien ! 

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Le dernier sommeil selon Caravage d'Alain le Ninèze


En s’intéressant au tableau représentant la Vierge montant au ciel, Alain le Ninèze aborde les dernières années de la vie du Caravage. 

En prenant pour narrateur un fidèle apprenti du peintre italien, l’auteur se concentre sur les sources historiques. 



On retrouve donc la plupart des éléments déjà vus dans le roman historique de Peter Dempf à quelques exceptions près - si le peintre italien vous intéresse et que vous aimez les thrillers, Le Mystère Caravage est fait pour vous ! - dont la plus importante est le fait qu’il n’y a pas autant d’intrigues et de personnes qui souhaitent faire tomber le Caravage. 

Néanmoins on retrouve les mêmes protagonistes (les mêmes protecteurs notamment), ainsi que le même postulat de départ : un corps de femme a été retrouvé dans l’eau, le peintre va récupérer le cadavre pour peindre sa Vierge. Problème c’est une prostituée et une ancienne maîtresse avec ça ! 


Un livre très court pour en apprendre plus sur les dernières années de la vie de Michelangelo Merisi da Caravaggio (appelé le Caravage en référence à son village de naissance : Caravaggio), mais aussi sur son tableau La Mort de la Vierge (1601-1606), exposé au Louvre. 

Saviez-vous que le Caravage et Rubens se sont rencontrés ? C’est à l’artiste flamant, grand admirateur de l’italien, que l’on doit l’achat du tableau par le duc de Mantoue. 

Aussi, l’auteur s’intéresse aux techniques de création du peintre et si la tableau au centre du texte est celui de La Mort de la Vierge, il n’empêche qu’il en mentionne d’autre comme c’est le cas de Madone aux serpents

Mon tableau illustre cette phrase de la Vulgate où il est écrit que Jésus « écrasera la tête du serpent ». Jésus ou bien Marie, il y a une incertitude sur ce point dans le texte latin de Jérôme : selon le choix qui est fait entre l’un ou l’autre, on est jugé bon catholique ou, au contraire, partisan caché de ceux qui ne vénèrent pas la Vierge Marie, je veux dire les réformés. J’ai contourné le problème en leur faisant poser tous deux en même temps le pied sur la tête du serpent. Mais cela n’a pas suffi aux cardinaux de Saint-Pierre, ils ont jugé que je n’avais pas tranché assez nettement en faveur de Marie. Autrement dit, pour eux, je fais des concessions aux luthériens, je suis de leur côté… 


J’ai pris plaisir à retrouver la plume d’Alain le Ninèze qui va droit à l’essentiel comme c’était déjà le cas avec La femme moderne selon Manet, bien que le traitement soit radicalement différent. 

L’auteur nous dévoile qu’il s’est inspiré des deux premiers biographes du peintre milanais : Giovanni Baglioni et Giulio Mancini, mais il n’empêche, les sources ont beau être existantes, elles demeurent incomplètes et mystérieuses, notamment quand il s’agit d’élucider la mort du Caravage…


Le dernier sommeil selon Caravage donne un aperçu de la fin de la vie du grand peintre Caravage tout en mettant en valeur sa peinture et son génie. 


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La femme moderne selon Manet d'Alain le Ninèze 

Pendant mes années lycée j’ai choisi de prendre l’option Histoire de l’art ce qui m’a permis de découvrir une multitude de choses et d’en apprendre un peu sur l’histoire picturale. Je ne dis pas ça pour raconter ma vie (pas seulement), mais bien parce que j’ai eu l’impression d’être face à ma professeur d’HIDA lors de ma lecture de ce titre. 

En s’intéressant à Édouard Manet et à sa magnifique OlympiaAlain le Ninèze revient notamment sur l’année 1863, très importante dans la peinture, car à cette époque les peintres sont esclaves du Salon, ils dépendant du jury de celui-ci, jury pour le moins conservateur. 


En 1863, Manet et ses amis peintres sont refusés, mais face à une nouvelle injustice (le classicisme perdure tandis que ceux que l’on appelle les modernes sont laissés sur le carreau, ce qui, une vingtaine d’années auparavant, a commencé à faire des remous. Baudelaire a par exemple pris la plume pour défendre ces peintres qui entraient en rupture avec le rigidité du Salon officiel), il n’est pas question d’en rester là. 


C’est d’ailleurs pour cette raison que Napoléon III a pris la décision d’exposer les refusés dans une aile du Palais de l’Industrie qui abrite déjà le Salon officiel. 

Ce salon des refusés a permis à Manet d’y exposer son Déjeuner sur l’herbe, considéré comme moralement discutable. 


L’année 1863 est aussi celle où Manet a peint l’Olympia (présenté au Salon deux ans plus tard), ce tableau que l’on peut aujourd’hui admirer au Musée d’Orsay. Ce qui est amusant d’ailleurs c’est que la Vénus moderne de Manet se trouve à proximité du tableau qui a rencontré un vif succès au Salon cette année-là : La Naissance de Vénus de Cabanel, chef-d’oeuvre de l’art académique. 


L’Olympia et la Vénus sont radicalement différentes et témoignent d’un changement de goût et d’approche picturale. 

Manet entend renouveler la peinture : au diable les anges et autres thèmes religieux, au diable les convenances et bonjour à la réalité. Bonjour à cette femme, Victorine Meurent, modèle de Manet et narratrice du livre qui nous intéresse. 


Victorine a posé à de nombreuses reprises pour le peintre sur une période de dix ans, avant de devenir elle-même peintre, mais Alain le Ninèze s’intéresse uniquement à la relation entre Manet et Victorine en imaginant un journal intime écrit par la main féminine. Journal intime relatant ses rencontres avec Manet ou certains de ses amis - la « bande des Batignolles ». Elle raconte sa relation avec le peintre, uniquement platonique (elle était lesbienne), les réalisations et la réception des toiles… elle nous entraine dans l’intimité du travail du peintre, là où Catherine Guennec nous emmenait dans l’intimé familiale de Hopper


Ainsi le peintre est omniprésent mais il est en même temps une figure fantomatique du livre. Présent et transparent.

Victorine s’impose comme la figure forte, à l’instar de sa présence dans les toiles de Manet : elle concentre toute l’attention. 


La femme moderne selon Manet reprend l’histoire de l’art et cette fameuse rupture entre classique et moderne. On rencontre des noms connus au détour des cafés et on est transportés dans ce Paris des années 1880 pour notre plus grand plaisir. 



Bien différent du livre sur Cape Cod Evening de Hopper, Alain le Ninèze parvient à nous immerger dans une époque révolue mais ô combien passionnante ! Mais toujours par le biais d’un personnage considéré comme secondaire par l’Histoire. 




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Les heures suspendues selon Hopper de Catherine Guennec

 

Il interrogeait Ed sur l’absence de personnages, ou leur isolement. Ed, et ça je m’en souviens parfaitement, avait répondu, à contrecoeur, presque à voix basse : « C’est sans doute le reflet de ma propre solitude, je ne sais pas… C’est peut-être aussi toute la condition humaine. »


Qui n’a jamais eu envie d’entrer dans un tableau ? De connaître sur le bout des doigts ses traits, ses nuances de couleur ? Qui n’a jamais souhaité connaître son histoire ? Sa clé de fabrication ? 

Avec sa nouvelle collection « Le roman d’un chef-d’oeuvre », les éditions Henry Dougier nous offre cette possibilité. 





Catherine Quennec s’est penché sur l’immense Edward Hopper et son tableau Cape Cod Evening

C’est l’occasion pour le lecteur de plonger à la fois dans l’oeuvre picturale mais aussi de découvrir la relation du peintre avec sa femme, Josephine. 

C’est par le point de vue de cette dernière que l’histoire du tableau, et plus largement de sa vie avec Hopper, nous est racontée. 

On peut dire qu’Hopper n’était pas des plus faciles à vivre. 

Et que Joséphine a été malheureuse et laissée dans l’ombre. 


La vie du couple, celle de l’artiste… tout était bon pour aspirer la belle Joséphine, elle-même peintre, mais qui peut bien s’en souvenir ? 

N’a-t-elle pas tout abandonné pour lui ?   


J’ai lu ce roman comme un hommage au peintre évidemment, mais surtout un hommage à celle qui a partagé sa vie, qui a été son seul et unique modèle, celle qui méritait tellement plus et s’est contentée de si peu. 


J’ai refermé Les heures suspendues selon Hopper avec l’impression d’avoir découvert un destin brisé et malgré tout si brillant ! J’ai fait la rencontre de la femme de mon peintre préféré (avec Courbet !) et j’ai pu assister à une plongée au coeur de son oeuvre grâce aux renvois à certaines de ses toiles. 


Si vous aimez Hopper, si vous aimez le mélange réalité/fiction, ce livre est fait pour vous ! 

Pour les autres, les ateliers Henry Dougier ont également publié des histoires autour de tableau de Géricault, Van Gogh, Klimt ou encore Gauguin. 

Et pour ma part il me reste à découvrir « La femme moderne selon Manet » avec son célébrissime tableau Olympia


Après avoir lu ce titre, quelle n’a pas été ma tristesse quand j’ai lu que Joséphine a fait don de toutes les oeuvres de son mari mais aussi des siennes avant de mourir. La plupart de ses toiles ont tout simplement été jetées par manque de place. 

Aujourd’hui, Joséphine n’a toujours pas eu la renommée qu’elle méritait : elle n’a encore jamais été exposée… 


« Chez Hopper, on a toujours l’impression que quelque chose de terrible vient de se passer ou va se passer » confie encore Wim Wenders.






dimanche 11 juin 2023

Les Meurtres Zen de Karsten Dusse

Les Meurtres Zen, tome 2 : Des meurtres pour lâcher prise

C’est l’histoire d’un homme qui découvre son enfant intérieur. D’un homme de la quarantaine qui prend en pleine figure les blessures de son enfance.

C’est pas l’homme qui le dit, c’est son coach ; Joschka Breitner pour vous servir.

 

On a eu droit à l’immersion au cœur de la « pleine conscience » avec le premier volume des aventures de Bjorn Diemel, le deuxième nous plonge dans l’enfance.



Après quatre meurtres à son actif, Bjorn et son acolyte Sasha l’ont décidé : fini les morts.

Oui c’est bien beau de se racheter mais encore faut-il le pouvoir. Bah oui, pas simple de stopper l’escalade de violence quand un des barons de la mafia se trouve dans la cave…


Tout aussi prenant que son prédécesseur, le deuxième opus est une suite logique et un prolongement. Les principes de « pleine conscience » étant maîtrisés par notre protagoniste, le voilà de nouveau en thérapie… pour faire la paix avec son enfant intérieur.

 

D’une construction similaire au précédent on retrouve en tête de chapitre un extrait du fameux livre du coach, L'Enfant intérieur de vos désirs. Autant de conseils pratiques pour se réconcilier avec son enfant intérieur et guérir les blessures de l’enfance.

 

Des meurtres pour lâcher prise nous alpague plus vite et nous retient jusqu’à la fin car même si on s’attend à certains événements, on prend plaisir à les voir se réaliser.

Et puis surtout, le livre est à peine refermé qu’on a envie d’entamer la suite. Heureusement le Cherche midi nous tease avec une super couverture et une date de sortie ! Plus qu’à attendre novembre maintenant.


Traduit par Jenny Bussek.



[Collaboration commerciale non rémunérée]


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Les Meurtres Zen, tome 1 : Des meurtres qui font du bien 

« Un homme qui fait toujours ce qu’il veut n’est pas libre. 

L’idée seule de toujours devoir faire quelque chose 

emprisonne. N’est réellement libre que celui qui, 

pour une fois, ne fait pas ce qu’il ne veut pas. » 


Que se passe-t-il quand on est avocat spécialisé en droit pénal, que son mariage bat de l’aile et qu’on n’est vraiment pas assez présent pour sa fille ? Il en résulte que notre bon vieux Bjorn Diemel va allait voir un coach sous peine de finir en burn-out.


Le mot d’ordre : la pleine conscience ! 



« La pleine conscience, c’est la possibilité d’assouvir vos besoins. Le temps que vous passez à être joignable pour les autres fait obstacle à cette pleine conscience. » 


Ceci est un exemple parmi d’autres. Un conseil fournit par le coach Joschka Breitner, auteur de Ralentir sur la voie de dépassement - manuel de pleine conscience pour cadres dirigeants

Chaque chapitre démarre par un extrait de ce livre de développement personnel et se poursuit par la mise en application du conseil. 


Comme son titre l’indique, ce roman est un savant mélange entre le thriller et le développement personnel, sur la façon dont on peut comprendre un discours et en user pour justifier des actes répréhensibles.

Oscillant donc entre sérieux (les premiers mots de Bjorn nous indiquent qu’il a tué six personnes en très peu de temps) et légèreté (les paroles du coach sont autant de paroles libres à l’interprétation comme en témoigne les actes de Diemel, directement justifiés par les paroles du gourou).

Au regard des conseils du coach, notre avocat est dans le vrai, mais ça n’en rend pas moins ses actions condamnables. 

C’est ce qui fait le sel du récit, ce qui le rend original : le clivage entre la logique imparable du raisonnement du coach et les agissements de Diemel. Lui qui est du côté de la loi, de la justice, se retrouve à commettre des horreurs au nom de sa famille et de sa santé mentale.

 

On se prend au jeu, on sourit, on rit parfois ou on fronce les sourcils, car où commence et s’arrête la raison ? Si l’on peut justifier des meurtres par le développement personnel, n’en est-ce pas moins moralement inacceptable ?

 

J’ai aimé ces interrogations qui sont de vraies questions éthiques, j’ai aussi aimé les connaissances de Karsten Dusse, lui-même avocat, qui ajoutent une épaisseur au récit.

C’est grâce au mélange parfaitement mesuré que l’intrigue fonctionne, que le lecteur accepte de découvrir la recommandation du coach en début de chapitre avant de trouver son application. Cela créé une redondance qui peut ennuyer mais on passe vite outre, prit dans le tourbillon d’une intrigue un peu WTF et d’un personnage haut en couleurs.


Traduit par Jenny Bussek. 




dimanche 4 juin 2023

Nathalie Sorokine - la passion folle de Julie Duchatel

Elle a la tristesse crue et sans pathétique celle-là, songe Beauvoir.

Simone de Beauvoir compte parmi les écrivains qui ont imposé une marque durable sur mon parcours de lectrice, en particulier les Mémoires d'une jeune fille rangée

Mais je ne connaissais pas du tout Nathalie Sorokine ! et pour cause : je me suis arrêtée avant la lecture de Tout compte fait

Des relations de Simone de Beauvoir il y a évidemment Sartre, évidemment Nelson Algren, évidemment Olga (que l'on retrouve dans L'Invitée)... décidément je n'ai pas été assez loin dans l'oeuvre autobiographique de Beauvoir pour rencontrer l'étonnante, l'indomptable Nathalie Sorokine. 

La biographie débute sur le lycée, sur la rencontre entre Nathalie et sa nouvelle professeure de philosophie ainsi que sur les rivalités parmi les élèves. Les discussions autour de la philosophie sont autant de passages qui donnent une autre vision de la plus jeune agrégée de France à l'époque. J'ai eu le sentiment de découvrir une nouvelle facette de Beauvoir, quelque chose d'absent de son oeuvre autobiographique. 

J'ai eu l'impression de voir se fusionner la grande dame et la femme simple, l'être humain qui respire et prend le métro pour rentrer, qui fait la cuisine pour les autres. 

Malgré tout, je crois que j'ai préféré les passages sans Beauvoir, les pages où Sorokine rencontre Sartre ("On va la surnommer Sarbakhâne.. Elle a l'exotisme de l'arme et le charme du jouet.") ou Giacometti, celles où elle rencontre Bourla, brièvement mais intensément, celles où la jeune femme s'émancipe de ses parents...

Le sous-titre du livre (La passion folle, sans parler du bandeau : 30 ans d'amour avec Simone de Beauvoir) insiste sur la philosophe, faisant d'elle le personnage central au même titre que Nathalie Sorokine (effectivement c'est un bon argument de vente) mais la vie de Nathalie est déjà tellement riche ! Sa relation avec Beauvoir est centrale mais elle ne raconte pas la flamboyance, la sauvagerie presque qui habitait Nathalie. 

Que Simone de Beauvoir soit un pilier à l'origine de la fondation, aucun doute, mais Nathalie Sorokine n'est pas remarquable uniquement pour cette raison ; Nathalie est remarquable par sa force de penser, sa vivacité, son culot.

J'ai adoré suivre cet esprit libre, indépendant, et même quand elle perd un peu de son éclat, quand la vie devient dure et qu'elle s'y perd, quand elle part en Amérique et change du tout au tout, Nathalie reste passionnante.  

Le comportement de Simone de Beauvoir pose questions : après Olga et Bianca (Beauvoir a subi une suspension de sa carrière d'enseignante pour "incitation de mineure à la débauche") Nathalie est la nouvelle jeune protégée de la militante. On suit d'ailleurs le moment où Beauvoir et sa famille attendent le verdict de l'Académie pour trancher son cas. La question n'est pas frontalement abordée mais n'empêche : était-ce normal ? ces relations n'ont-elles pas porté préjudice à ces jeunes femmes ? 

Pour info : Olga, Bianca et Nathalie auraient toutes trois confié que leur relation avec Beauvoir et/ou Sartre aurait eu un impact psychologique sur elles (voir Philosophers Behaving Badly). Chose qu'il me semble utile de préciser puisque cette question des conséquences me semble évacuée un peu trop rapidement. 

Bref, ce n'est pas tout à fait le propos. 

La fin est déchirante, elle conclut une amitié durable malgré l'éloignement et les aléas de la vie. Sorokine demeure dans le coeur de ceux qui ont eu le plaisir de la rencontrer. Sorokine demeure aujourd'hui grâce à Julie Duchatel et à sa biographie qui donne à voir une femme battante et libre, une femme qui, peut-être, s'est perdue à cause de la guerre, mais qui n'en demeure pas moins une femme d'exception.

Selon elle, cette famille de coeur, bien que parfois orageuse, vaut mieux que sa famille de sang qui s'est rompue comme une hémorragie.

Une belle biographie sur une femme qui gagnerait à être connue ! Le style de Julie Duchatel est à la hauteur de son propos, les pages se tournent sans que l'on s'en rende compte. 

Pour celles et ceux qui aiment Beauvoir et sa clique, ou pour une plongée dans la France de la fin des années 30 et des années 40. 

Le ciel en sa fureur d'Adeline Fleury

Quand le varou m'emportera je m'endormirai dans le ciel de tes yeux. Sous les auspices de Jean de La Fontaine, Adeline Fleury nous ...