mercredi 17 novembre 2021

Personne ne gagne de Jack Black

Autobiographie, mémoire, récit de voyage… Thomas Callaghan alias Jack Black raconte sa vie aux États-Unis, de son enfance dans le Missouri à ses pérégrinations de hors-la-loi. 


Jack Black est un vagabond et un cambrioleur, mais il ne prend pas la plume pour écrire un plaidoyer en faveur des bandits. Il écrit pour raconter sa vie et mettre en garde les futurs criminels.

Il ne juge pas, il écrit pour témoigner de son expérience. 

Une sacrée expérience d’ailleurs : une trentaine d’années à bourlinguer dont une quinzaine passées dans diverses prisons du pays. Jack Black a porté toutes les casquettes, de petit voleur à la tire à voleur à main armée. Mais il faut bien comprendre que la représentation du hobo qui nous est donnée ici est en accord avec un code d’honneur. 


Le témoignage du protagoniste permet au lecteur de saisir la différence entre un voleur lambda et un hobo de la trempe de Jack Black : il est contre le système, il se rebelle contre lui parce qu’il bride sa liberté, il choisit de lui-même de se mettre en marge d’une société qu’il n’accepte pas et dont il refuse de faire partie. Personne ne gagne est l’illustration d’un choix, d’une hygiène de vie



« La société représentait la loi, l’ordre, la discipline, le châtiment. La société, c’était une machine conçue pour me mettre en pièces. La société, c’était l’ennemie. Un mur immense nous séparait, elle et moi ; un mur que j’avais peut-être moi-même érigé — je n’étais pas sûr. »


Jack Black en racontant ses déboires ne se plaint jamais. Il n’est pas amer malgré le traumatisme de certaines expériences. Bien au contraire, l’auteur s’imprègne des événements qui ont façonné sa vie et les raconte sans aigreur et avec une puissance de conviction extraordinaire. 

Malgré les privations, malgré les tortures et les emprisonnements Jack Black assumera toujours ses décisions. Si regrets il y a, chassons-les rapidement car ils n’ont pas leur place dans la vie d’un tel homme, même quand celui-ci tombe salement dans la dépendance à l’opium.


Personne ne gagne est à la fois une aventure extraordinaire et le témoignage d’un homme au tempérament double : entre celui d’un hobo prêt à braquer n’importe quelle maison, et celui d’un homme profondément complexe qui s’interroge sur la société dans laquelle il évolue. Les réflexions sur le milieu carcéral sont passionnantes, d’autant plus qu’ayant connu les prisons aux États-Unis et au Canada, il les confronte l’une l’autre et donne des pistes pour améliorer la vie en prison.    


Personne ne gagne n’est ni plus ni moins que le destin de cet ado de 15 ans, abandonné des siens (sa mère est morte, son père n’en a que faire) devenu voleur par goût pour l’aventure. 


Ma vanité juvénile, cette confiance excessive qui naît de l’ignorance, me soufflait que je pouvais gagner à un jeu dangereux et pervers où personne ne gagne.       



Traduit par Jeanne Toulouse et Nicolas Vidalenc. 





dimanche 14 novembre 2021

1984 de George Orwell

Il était temps que je lise 1984. The roman d’anticipation, on le connait tous sans l’avoir forcément lu. Tombé dans le domaine public en 2019, les éditions Folio ont mis le paquet en 2020 avec deux nouvelles éditions, celle-ci, exclusivement réalisée pour les magasins Fnac, et la traduction de Jodorowski, faisant la part belle au titre original : Mil neuf cent quatre vingt-quatre.


 
Si je ne me trompe pas la traduction d’Amélie Audiberti est en réalité la première traduction française (elle date de 1950) on y retrouve les termes inventés par Orwell (style : novlangue, angsoc…). 


Niveau traduction, je serais bien en peine de pouvoir en conseiller une, même si c’est un sujet d’une extrême importance. Un traducteur a le pouvoir sur une oeuvre étrangère, il en a le contrôle et décide de procéder à des ajouts ou des suppressions...


En exagérant complètement, le travail de Winston, le protagoniste, peut s’apparenter à celui d’un mauvais du traducteur : il faut inlassablement corriger et réécrire pour raconter autre chose. 

Winston est membre du ministère de la Vérité (à comprendre : ministère du mensonge), son travail consiste à reprendre des articles de presse pour simplement réécrire l’Histoire. 

Exemple : Oceania était en guerre il y a 3 ans contre l’Eurasia, aujourd’hui elle est en guerre contre l’Estasia, mais il ne peut y avoir qu’un seul ennemi, alors il faut remonter trois ans en arrière et réécrire les faits. 


Une étrange idée frappa Winston. On pouvait créer des morts, mais il était impossible de créer des vivants. Le camarade Ogilvy, qui n’avait jamais existé dans le présent, existait maintenant dans le passé, et quand la falsification serait oubliée, son existence aurait autant d’authenticité, autant d’évidence que celle de Charlemagne ou de Jules César.


Pour ce faire il est nécessaire de recourir à la « doublepensée », c’est-à-dire qu’il faut prendre en compte les changements opérés par le Parti mais oublier que le passé était différent, et oublié qu’on a oublié (compliqué tout ça quand même). 


Tout se perdait dans le brouillard. Le passé était raturé, la rature oubliée et le mensonge devenait vérité. Une seule fois, au cours de sa vie — après l’événement, c’est ce qui comptait —, il avait possédé la preuve palpable, irréfutable, d’un acte de falsification. Il l’avait tenue entre ses doigts au moins trente secondes.


1984 n’est pas un chef-d’oeuvre pour rien. Il dénonce les totalitarismes, il met en scène l’horreur ; comment peut-on vivre sans notre Histoire ? ou plutôt, comment peut-on accepter que l’Histoire soit effaçable, interchangeable ? 

Le contrôle de Big Brother et des télécrans, la hiérarchie sociale, les mensonges et les lavages de cerveau à répétition… 

Le culte de la personnalité n’est pas sans rappeler les dictateurs (la Seconde Guerre mondiale est terminée depuis seulement quatre ans quand paraît le roman). De même la fin du roman peut faire penser aux Grandes Purges russes des années 1930, et interroge sur les motivations du Parti — pourquoi en arriver là si on est parvenu à obtenir la docilité ? 


C’est une histoire de dingue, une dystopie extraordinaire qui fait tellement froid dans le dos ! 

Pour moi l’Histoire est indispensable pour vivre, sans Histoire nous sommes tellement peu de chose, sans l’Histoire les mêmes erreurs se répètent inlassablement. 

Plus encore que l’aliénation et la privation des libertés c’est cette falsification de l’Histoire qui m’a le plus horrifiée. 

Mais aucune augmentation de richesse, aucun adoucissement des moeurs, aucune réforme ou révolution n’a jamais rapproché d’un millimètre l’égalité humaine. Du point de vue de la classe inférieure, aucun changement historique n’a jamais signifié beaucoup plus qu’un changement de nom des maîtres.






mercredi 10 novembre 2021

La Maison dans laquelle de Mariam Petrosyan

Quand est venu le moment de refermer une fois pour toute cette brique, je me suis sentie vidée et incapable d’avoir une pensée cohérente. 

Car la Maison exige une forme d’attachement mêlé d’inquiétude. Du mystère. Du respect et de la vénération. Elle accueille ou elle rejette, gratifie ou dépouille, inspire aussi bien des contes que des cauchemars, tue, fait vieillir, donne des ailes… C’est une divinité puissante et capricieuse, et s’il y a bien quelque chose qu’elle n’aime pas, c’est qu’on cherche à la simplifier avec des mots. 


Siphonnée par le roman, voilà ce que c’était. 

Un univers gigantesque, une histoire à couper le souffle. C’est tout ce qui me venait à l’esprit. 

À ce moment j’ai sobrement écrit : « Coup de coeur. 

Je n’ai pas les mots. Comment est-il possible d’écrire dessus ? » 

Quelques semaines ont passé et je ne me sens pas de ne pas en parler. J’ai été trop bouleversée pour laisser un blanc.





J’ai lu La Maison dans laquelle en gardant bien en mémoire la définition donnée par Tzvetan Todorov dans son Introduction à la littérature fantastique


« Celui qui perçoit l’événement doit opter pour l’une des deux solutions possibles : ou bien il s’agit d’une illusion des sens, d’un produit de l’imagination et les lois du monde restent alors ce qu’elles sont ; ou bien l’événement a véritablement eu lieu, il est partie intégrante de la réalité, mais alors cette réalité est régie par des lois inconnues de nous. Ou bien le diable est une illusion, un être imaginaire ; ou bien il existe réellement, tout comme les autres êtres vivants : avec cette réserve qu’on le rencontre rarement.

Le fantastique occupe le temps de cette incertitude ; dès qu’on choisit l’une ou l’autre réponse, on quitte le fantastique pour entrer dans un genre voisin, l’étrange ou le merveilleux. Le fantastique, c’est l’hésitation éprouvée par un être qui ne connaît que les lois naturelles, face à un événement en apparence surnaturel. »


Cette définition caractérise pleinement le roman, c’est-à-dire que dans mon esprit, La Maison dans laquelle est la parfaite illustration des propos de Todorov. Du moins je n’ai jamais aussi bien compris cette définition depuis que j’ai lu ce roman. 


La Maison dans laquelle représente la suprématie de l’entre-deux : l’impossibilité de trancher entre étrange et merveilleux, la tension du passage de l’enfance à l’adolescence, de l’adolescence à l’âge adulte. 


Il y a une forte dualité dans le roman, dualité qui là aussi correspond à un entre-deux. On joue sur deux époques (au moins), celle de Sauterelle et celle de Sphinx et tous les autres. 


La Maison dans laquelle est étrange, extrêmement étrange. Il nous entraîne dans un monde bizarre où les handicaps sont omniprésents et où toute l’intrigue se concentre sur une chose : l’adolescence. 


Un entre-deux indispensable, un moment de vie dont l’auteure a déclaré qu’il est « moins agréable que celui de l’enfance, mais beaucoup plus intense et plus riche en émotions et en sentiments que celui des adultes. Le monde des adultes est ennuyeux. Les adolescents ont hâte de grandir, parce qu’ils croient que l’indépendance va leur apporter la liberté. Alors qu’en réalité, ils vont se retrouver dans une espèce de prison à vie, faite d’obligations et d’interdictions dont ils ne pourront sortir que lorsqu’ils auront atteint la vieillesse – pour les plus chanceux. […] ». 


La Maison dans laquelle compte parmi les lectures les plus atypiques que j’ai pu lire jusqu’ici. Foisonnant, bouleversant et d’une réflexivité infinie ; le genre de roman qu’il faut lire plusieurs fois pour tenter d’en comprendre rien qu’une infime partie. 


Impossible d’attraper un sourire, de le presser contre ses paumes, de l’étudier, millimètre par millimètre, de l’imprimer dans sa mémoire… Ils sont éphémères, on ne peut que les deviner.


Merci Toussaint Louverture pour avoir édité une telle beauté. 

Merci Théo et Gwen pour ce fabuleux cadeau. 







dimanche 7 novembre 2021

Les sept châtiments de Jordi Llobregat

J’ai appris que la vie nous offre toujours des trêves et que, dans la pire des situations possibles, il y a encore des raisons d’espérer. 

Initialement j’étais moyennement emballé. Encore un thriller à la montagne, ça commence à être un peu trop réchauffé. De même les propos de Bernard Minier. J’aime beaucoup cet auteur mais comme beaucoup, je me méfie de ce genre de commentaire.

Pour une fois c’était à tort ! J’ai passé un excellent moment en compagnie des Sept Châtiments de Jordi Llobregat. 


Alex Serra, inspectrice à Barcelone est dépêchée sur une affaire ayant eu lieu dans un endroit des Pyrénées qu’elle connait bien. Le corps d’un homme a été retrouvé dans une piscine, il est menotté et ses paupières ont été cousues. 

Pour l’aider dans son enquête, Alex est assisté de Jean Cassel, un policier français. 


Comme le titre le laisse présager, les morts vont s’agglutiner et le nombre sept, hautement symbolique, révèle un indice majeur.


L’histoire m’a happé, en grande partie grâce à l’insertion du journal de Raquel qui retrace son enfance volée et met très vite sur la piste des potentielles victimes et potentiels coupables. Les passages du journal sont déchirants, d’autant plus qu’on prévoit l’issue tragique, à l’origine des meurtres qui nous intéresse. J’ai vite compris le rapprochement avec Les Rivières pourpres, en grande partie à cause de la présence de la famille Dalmau, la famille riche de la région au coeur de l’intrigue. 


À côté de l’enquête proprement dite, il y a l’histoire d’Alex qui n’est clairement pas terminée (mais je ne suis pas sûre qu’il y ait une suite…?). J’ai aimé sa relation au père, la difficulté de dire adieu et de revivre les douleurs du passé familial. 


Tout cela bien emballé dans une ambiance glaciale, neigeuse, montagneuse. Les troubles d’Alex sont aussi un des éléments que j’ai le plus appréciés. Sa difficulté à respirer correctement et à avoir des crises de panique instille une dose de vulnérabilité qui est bienvenu. On reste dans le rôle du flic pas bien dans sa peau, témoin de trop nombreuses horreurs, mais on ne retrouve pas ce cliché insupportable du personnage torturé et fumeur qui ne se fait plus aucune illusion. 

Certains passages sont haletants, notamment les courses poursuite, la dernière avant la découverte du coupable est particulièrement intense. J’ai rarement été aussi captivée par une course poursuite, c’est pour dire ! 


Un excellent thriller tantôt psychologique, tantôt historique où le lecteur ne souffle qu’après avoir tourné la dernière page. 


Traduit par Vanessa Capieu. 





Le ciel en sa fureur d'Adeline Fleury

Quand le varou m'emportera je m'endormirai dans le ciel de tes yeux. Sous les auspices de Jean de La Fontaine, Adeline Fleury nous ...