dimanche 24 septembre 2023

Pour qui s'avance dans la nuit de Claire Concruyt

Une île de la mer Adriatique comme cadre pour un roman doté d'une puissance évocatrice que l’on voit rarement ajoute au caractère surnaturel du récit. L'île est un lieu de repos, un lieu de retrouvailles, un lieu de disparition. L'île respire et bouge. Ses rivages charrient des âmes et les entraînent dans ses profondeurs. 

L'île était un songe, et l'univers entièrement réduit à ce petit bout de terre. 

L'incipit de Pour qui s'avance dans la nuit annonce la fin prochaine ("C'est notre dernier été tous ensemble."), une fin que l'on guette et qui nous cueille, comme ça, sans prévenir malgré tout. 


Pierre, le fils ainé et le narrateur, est témoin d'une disparition imminente, d'un déchirement, d'une perte incompréhensible. 

Témoin autant que victime car Pierre est différent de son cadet, différent de sa mère. 

Pierre est concret, logique, Orphée demeure enfantin, rêveur, artiste. 

C'est ainsi que nous nous aimions, tous les trois : Orphée et son coeur de feu, ma mère ballerine et moi, spectateur enchanté par ce joli désordre, moi, le grand frère chargé de porter le souvenir. Car le jour déclinait. 

Pierre ne comprend pas sa mère, il prend soin d'Orphée comme il peut bien qu'il soit en-dehors des croyances et des rêveries. De son enfance il ne reste rien. 

Comme le dit sa mère il n'est pas comme eux, il n'est pas Orphée. Sa mère qui ne l'aime pas de la même façon, sa mère qui est parfois cruelle ou inapte. Sa mère qui est là sans l'être. 

Ma mère avait en elle des monstres, c'est ainsi qu'elle les nommait. Sa part d'ombre avançait discrètement. "Même ici, je ne peux pas y échapper." 

Sa mère qui souffre, sa mère abîmée par la vie. Sa mère qui n'aime qu'Orphée et qui "n'a pas assez de place pour vivre."

Il était tout quand, moi, j'étais tous les autres. 

Pierre est lucide ce qui permet au récit de ne pas entrer dans le fantasme total. La gradation de la folie oscille entre une forme de rêverie imputable à l'écriture de Claire Concruyt et aux personnages d'Orphée et de la mère, et une forme de réalisme porté par le narrateur plus ou moins conscient au fil du récit. 

Entre rêve et cauchemar, fantasme et réalité le lecteur s'accroche à ce qu'il peut, mais incapable de rester en-deçà de l'histoire, il tombe lui aussi sous le charme incantatoire d'une écriture poétique à la métaphore sublime. 

Ma mère me serre la main. "Nous avons connu le noir, mon grand. Mais je vous ai enseigné que dans l'ombre, se cachent les fées. Je vais disparaître, mon fils, et tu connaîtras des jours plus silencieux que d'autres. Je serai ta grande blessure. Viens me chercher dans la prière, viens me trouver dans la suspension des heures, je vivrai dans une oeuvre d'art, dans un poème ou dans une mélodie. Ne te détourne pas du monde, sonde ce qui s'y camoufle. Je suis allée trop loin..." 


Collaboration commerciale non rémunérée.  

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