dimanche 28 janvier 2024

Le ciel en sa fureur d'Adeline Fleury

Quand le varou m'emportera je m'endormirai dans le ciel de tes yeux.

Sous les auspices de Jean de La Fontaine, Adeline Fleury nous entraîne au coeur de la Normandie rurale, dans une bourgade du Cotentin où des événements étranges, aux allures d'apocalypse, s'enchaînent. 

L'Incipit nous met dans le bain avec sa pluie de crapauds qui laisse entendre que le pire est à venir. 


La communauté est fracturée en deux, il y a ceux qui ont toujours été là, les agriculteurs, les éleveurs, ceux qui travaillent la terre et se passent le flambeau d'une génération à l'autre, et il y a les autres, ceux des lotissements, les "nouveaux venus". 

La séparation est nette, chacun sa place et pas de mélange, même parmi les enfants qui doivent respecter les limites de leur terrain de jeu. 

La fracture est celle du rural contre l'urbain, la campagne contre la ville, et le moins que l'on puisse dire c'est que la méfiance est de mise peu importe de quel côté l'on se trouve. 

Julia et Stéphane vont le comprendre dès leur arrivée : pour rester, il faudra gagner la confiance des habitants et s'affirmer en tant que membre à part entière de la communauté. 

L'arrivée d'étrangers attise la méfiance en soi, mais alors quand il s'agit de femmes venues de la ville exerçant des métiers d'homme, là il n'y a pas à dire, tout est à faire. 

Depuis leur arrivée au village, les deux anciennes citadines ont du mal à comprendre comment des gens aussi ancrés dans la terre peuvent être autant attachés à tous ces contes et légendes fantasmagoriques. Cela doit avoir quelque chose à faire avec la mort. Les superstitions entourant les fantômes sont bien plus commodes à se représenter que la réalité de la finitude et de sa pourriture.

Julia est vétérinaire, passionnée d'animaux elle connaît son métier et essaie, du mieux possible, de montrer qu'elle est tout aussi capable que le Vieux qui, auparavant, s'occupait de soigner les bêtes. 

Stéphane a la stature d'un homme, elle en a le métier aussi : maréchale-ferrante. 

La force du roman tient dans ce clivage qui instaure une ambiance similaire au réalisme fantastique où les anciennes croyances passent pour des faits, où les enfants disparaissent pour devenir des fées qui murmurent aux oreilles des adultes. 

L'absence de temporalité renforce d'ailleurs l'aspect fantastique. Les légendes du Cotentin existent-elles toujours ? Y a-t-il de nos jours des lieux reculés où l'on croit encore au varou ? où les massacres d'animaux sont présages d'un cataclysme à venir ? 

La Vieille porte le monde dans les yeux, les catastrophes, les grandes découvertes, les guerres, les passions dévorantes. La succession des saisons, les migrations des oiseaux, l'éclosion des fleurs, la crue des rivières, les tempêtes et les grandes marées d'équinoxe. Cette femme-là n'est pas simplement humaine, elle est animale, végétale, minérale, elle est la vie. 

Généralement on lit pour le dénouement, pour que se détisse tout ce qui a été tissé auparavant. Mais avec Le ciel en sa fureur c'est l'atmosphère qui prend le pas sur l'histoire, c'est l'atmosphère qui m'a donnée envie de tourner les pages, plus que la conclusion qui est attendue mais n'en reste pas moins logique puisqu'elle correspond à l'ambivalence qui parcourt tout le roman, entre âpreté et fragilité des personnages et de leurs croyances. 

La terre n'en a pas fini de malmener les hommes, ici la nature l'emportera toujours. Les saisons seront effroyables, les terreurs d''été succéderont aux terreurs d'hiver, dans un enchaînement rythmé par la monstruosité des hommes.     


Service presse. 

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