dimanche 31 janvier 2021

L'extase totale de Norman Ohler

Le titre est fidèle au contenu du livre : documents à l’appui, Norman Ohler, journaliste et documentariste allemand, explique comment la drogue a pénétré toutes les strates de la société sous le nazisme, de la population allemande en passant par la Werhmarcht pour terminer par Hitler lui-même. 


J’entends déjà les détracteurs… alors pour vous contrer disons-le maintenant. Oui Hitler et les hauts dignitaires étaient supposément anti-drogues. Oui, certains des premiers déportés en camp l’ont été parce qu’ils étaient morphinomanes par exemple. 

Ici réside toute l’ironie d’une idéologie qui se veut pure et qui, dans les faits, étaient shootés à la perivitine pour améliorer les capacités productrices du Reich. 

La pervitine, pour vous dire, c’est tout simplement des méthamphétamines. De quoi avoir un bon coup de fouet pour la journée. 


Cette invasion de la pervitine dans le quotidien des allemands, elle est expliquée dans la première partie : « Pervitine : l’amphèt’ nationale ». 


La deuxième partie (« Blitzkrieg meth ») se concentre davantage sur les soldats et la façon dont les Allemands sont parvenus à faire plier la France en un éclair (le terme allemand Blitzkrieg signifie littéralement « guerre éclair » et on l’utilise principalement quand on parle de la défaite écrasante de la France en 1940. 


L’usage des drogues pour éviter de dormir et permettre une bonne avancée des troupes est ce qui aurait permis à l’Allemagne de remporter la victoire de manière si rapide. En s’appuyant sur des témoignages Ohler nous montre comment les soldats étaient désinhibés et sans peur, eux qui frôlaient la mort à chaque instant. 


La troisième partie, sans doute ma préférée, se concentre sur le « Patient A » qui n’est autre qu’Hitler lui-même. Là encore avec des documents à l’appui, Norman Ohler démontre comment le médecin personnel du Führer, Theodor Morell, l’a progressivement gavé de médicaments. Hitler drogué ? Si peu, lui qui, à la fin, tel un vrai junkie, ne pouvait pas se séparer de son médecin, toujours là pour lui faire des injections. Lui, le végétarien, l’homme qui est contre la vermine allemande, consommatrice de drogues, le voilà devenu une vraie épave, probablement shooté à la pervitine sur la fin. 


Hitler, un déclin rapide ? Oui oui, et grandement aidé par les drogues si on se penche sur les documents de Morell, où transparaît la multiplication de médicaments pour soigner le « patient A », toujours partant pour une dose supplémentaire ! 


Enfin le dernier chapitre, « Dernières débauches » se concentre sur la volonté des Allemands de créer une drogue permettant à ses soldats de renverser une issue déjà toute tracée. 

Ce chapitre révèle l’horreur de la situation : les aviateurs, le plus souvent des gamins qui n’ont jamais touché un avion de leur vie, sont envoyés, complètement drogués, au-devant de la mort. 

Les expérimentations, évidemment effectuées sur des humains, dans des camps, pour tenter de percer le mystère d’une drogue permettant de changer le cours de l’Histoire…


Dans la folie humaine qui caractérise le nazisme, la drogue tient une place de choix. Une place qu’on est loin de soupçonner quand on s’intéresse à Hitler — même s’il faut bien reconnaître qu’un des membres du cercle du Führer est complètement dépendant après avoir été blessé : Göring. 

Mais voilà que le ministre de l’aviation n’est en réalité pas le seul à trouver un attrait aux drogues…


L’extase totale est un essai particulièrement éclairant sur le comportement des Allemands durant la Seconde Guerre mondiale.

En s’appuyant sur une multitude de sources, Norman Ohler met au jour une vérité qui fait froid dans le dos, celle d’une psychose collective qui a perduré au-delà de la fin de la Seconde Guerre mondiale. 



À ce propos je suis tombée sur un article du Monde de l’année passée (« Alliés et nazis sous amphétamines ») mettant en avant le fait que les Allemands avaient la pervitine, les Anglais eux, la benzédrine… 









mardi 26 janvier 2021

Memory d'Arnaud Delalande

 Que faire quand un meurtre a lieu et que les seuls témoins sont atteints d’amnésie antérograde ? 

Comment trouver le coupable quand il se cache peut-être parmi des patients qui oublient ce qu’ils ont fait ou dit à peine cinq minutes après ? 


C’est le pari d’Arnaud Delalande avec Memory, publié au Cherche midi et dispo en librairie depuis le 14 janvier. 


Pourtant Memory ce n’est pas que ça, et pour cause ! L’entrée dans le roman est très intéressante malgré le fait qu’il n’y ait pas de lien avec les événements qui vont nous intéresser. 


Les premiers chapitres se concentrent sur Jeanne, l’héroïne, enlevée à ses parents lorsqu’elle était petite, et  adoptée par un couple formidable. Son père policier vient de décéder quelques années après sa mère. 

Jeanne, esseulée, est déçue de ne pas avoir pu voir la fierté dans les yeux de son père à l’annonce de sa promotion. 

Jeanne est devenue lieutenant, elle marche dans les pas de son père adoptif. 


Les premiers chapitres autour de Jeanne, de son état d’esprit, de son histoire familiale m’ont énormément plu. On se croirait dans un contemporain où on suit cette femme qui doit apprendre à vivre seule, à vivre sans l’amour de ses parents. On est à des années lumières du genre policier en fait. 


L’histoire nous rattrape finalement et Jeanne est envoyée dans cet étrange institut perdu au milieu des arbres, la clinique Harmonia - déjà quand tu vois le nom tu sais qu’un truc cloche. 


A partir de là tout s’enchaîne extrêmement vite. On est pris dans un huis-clos étouffant avec des témoins tout sauf fiables et une héroïne prête à tout pour résoudre sa première enquête digne de ce nom. 


Pourtant il y a quelques bémols ici et là. 

Le caractère invraisemblable de l’histoire : comment peut-il y avoir autant de patients atteints d’amnésie alors que ces dits patients étaient, de près ou de loin, liés aux histoires de la clinique ? 

Et puis la résolution qui n’est pas franchement une surprise. On se doute bien depuis le début d’où le coupable peut se trouver. 

Je n’avais pas la personne, mais le subterfuge pour la démasquer est classique. 


J’ai eu un vrai attachement pour Jeanne, et si j’ai autant aimé ma lecture c’est sans conteste pour cette raison. 

L’histoire est intéressante, mais au-delà du postulat de départ qui est une tuerie sur le papier, je n’ai pas trouvé qu’elle était novatrice. Un huis-clos dans une clinique c’est quand même assez fréquent — je pense par exemple à je sais pas, Glacé de Minier qui traduit un peu de la même ambiance avec le lieu isolé et évidemment la tempête qui s’abat. 


Memory reste un bon thriller malgré tout, je l’ai lu très vite et j’ai pris du plaisir à le lire. 

Je crois que j’étais finalement déçue de ne pas pouvoir creuser un peu plus le personnage de Jeanne, de ne pas être plus du côté du contemporain que du policier. 








dimanche 24 janvier 2021

À l'autre bout de la mer de Giulio Cavalli

 « Traiter ces morts comme des marchandises est une infamie qui restera dans l’histoire. »


DF, petite ville portuaire italienne. Tout s’y déroule sans accro. Village de pêcheur tout d’un coup envahit par l’étranger. 

Tout commence lors de la découverte d’un corps par Giovanni Ventimiglia. Un homme, un étranger, un mort. 

C’est par la suite la découverte d’un deuxième corps.


Peu à peu la ville est envahie, une véritable marée humaine investit le village, le recouvre, l’abîme. 



Les habitants, le maire, même Rome, tout le monde est dépassé. 

Qui sont ces morts qui se ressemblent tous ? D’où viennent-ils ? Que viennent-ils faire ici ? 


Avec un fléau digne des meilleurs passages bibliques, DF doit compiler avec l’urgence de la situation. Seule face à tous ces corps anonymes mais en même temps identiques, il faut trouver une solution. 

Et le moins qu’on puisse dire c’est que les solutions sont vite trouvées. Elles débordent d’ingéniosité. Mais elles sont d’une glaçante barbarie. 


Avec À l’autre bout de la mer Giulio Cavalli s’intéresse à la question des migrants bien sûr, mais aussi à celle de l’économie, parfaitement indissociables. 

Et effectivement l’économie tient une place importante dans la perception que l’on a des migrants, ceux qui « volent notre travail »… 


À l’autre bout de la mer est un roman d’une grande force. En conjuguant différents points de vue, du plus abject au plus acceptable, le lecteur ne peut rester de marbre face aux exactions commises par certains personnages au nom de la préservation de DF ou du bénéfice. 


La lecture se fait de plus en plus difficile à mesure que les solutions inhumaines sont trouvées. Et c’est dans la normalité, la légèreté avec laquelle parlent certains personnages que les scènes sont les plus abominables. 


Quelque chose s’est brisé, a-t-elle sangloté. Oui, tu me les brises, lui ai-je rétorqué. Elle a fait semblant de chercher un objet dans un tiroir vide, pour éviter de me regarder. Je ne veux pas rester ici, vous êtes en train de devenir des bêtes, murmurait-elle le nez dans le tiroir. Tu parles au tiroir ? lui ai-je demandé.


La préservation passe avant tout, avant l’explication, avant l’aide. Il ne s’agit pas de comprendre d’où viennent ces hommes, comment ils ont pu débarquer ici, comment ils sont morts. Il s’agit de se protéger, de protéger DF et ses habitants, d’enterrer les morts le plus rapidement possible et à défaut, de les utiliser pour prospérer. 


Finalement DF devient une ville cauchemar. Une ville où les journalistes sont bannis, une ville, que dis-je un « état indépendant » puisqu’autosuffisant où les étrangers ne sont que du bétail. 

Une ville dystopique. Une dictature. 


De nouveau les éditions de l’Observatoire m’éblouissent avec leur littérature étrangère. 

J’ai adoré ce roman parce que comme toute bonne dystopie, il nous révèle quelque chose de notre monde, il dénonce une réalité connue mais évidemment largement exacerbée. 


Dans une langue simple mais diablement efficace, Giulio Cavalli (et donc aussi sa traductrice Lise Caillat) touche dans le mille, il bouscule, il dérange le lecteur. 

Il dénonce surtout ; l’égoïsme humain et sa cupidité, voilà deux éléments parmi bien d’autres auxquels vous serez confrontés à la lecture de ce roman. 












dimanche 17 janvier 2021

Les Fleurs d'hiver d'Angélique Villeneuve

Les Fleurs d’hiver d’Angélique Villeneuve était sur ma liste de souhait depuis au moins 5 ans. 

Comme souvent, on oublie, on s’offre d’autres livres, et puis voilà qu’un jour, par un heureux hasard, on le trouve en seconde main, pour une bouchée de pain. 

Aussitôt acheté, aussitôt lu. 




Roman court (150 pages environ), Les Fleurs d’hiver nous entraîne en 1918, en octobre plus précisément. La guerre est encore là, même si nous savons très bien aujourd'hui qu’il reste un mois avant que soit déclarée l’armistice. 


Jeanne, la femme de Toussaint vit à Paris, dans un minuscule appartement avec sa fille, Léonie. Léo est la deuxième fille du couple, la première étant décédée quelques années plus tôt. 

Cette petite fille, Toussaint ne l’a pas vu grandir. Il a dû, comme tant d’autres, partir sur le front. Et malgré les espérances, malgré les idées de « d’ici Noël on sera rentrés », la guerre se perpétue et avec elle, la séparation, les privations, les morts. 


Toussaint est finalement rapatrié. il est une gueule cassé. 

Hospitalisé à Val-de-Grâce, il envoie une lettre à sa femme pour lui dire… et bien de ne pas venir.

Toussaint ne veut pas la voir et Jeanne se trouve alors dans une situation délicate. Elle qui rêve de retrouver son mari, sa légèreté, leur amour, elle ne peut même pas lui rendre visite. 


Cette lettre, elle sera comme si Jeanne avait mangé du plomb : elle reste sur l’estomac et l’abîme en même temps. 


Voilà que Toussaint rentre enfin. Affublé d’un bandeau qui mange la moitié de son visage, il est silencieux, presque inexistant. Il ne bouge pas, il reste prostré à attendre on ne sait quoi. 

Il refuse de parler, de se laisser regarder. 

Jeanne a peur de son retour, elle a peur parce qu’au final, elle est presque plus seule depuis qu’il est rentré que quand il n’était pas là. 


Parallèlement on suit d’autres personnages, deux autres femmes, qui vivent elles aussi dans le même immeuble que Jeanne. Dont une femme, celle qui a tout perdu. Il lui restait un garçon avant la guerre, et voilà que ça aussi, on lui a pris.


Les Fleurs d’hiver interroge sur la perte. La perte inexorable et la perte "partiel". 

Comment appelle-t-on ces femmes dont leur mari revient mais dont il n’est plus le même ? Jeanne n’est pas veuve, mais son mari, à l’instar d’un fantôme, n’est plus que le reflet de ce qu’il était. 

Comment appelle-t-on une petite fille qui n’a jamais rencontré son père, que l’on décrit d’une telle façon, et qui s’avère, à cause des aléas de la vie, complètement différent ? 


Les Fleurs d’hiver se concentre sur un type bien particulier de perte. Sur la mort, tangible et immanquable, et sur la guérison, qui ressemble parfois à une mort lente. 


Jeanne m’a ébloui par sa force, Toussaint m’a touché par son mutisme, par sa honte peut-être à devoir vivre avec ces pensées atroces, à devoir vivre avec son visage, cette gueule cassée qui ne peut que lui rappeler des mauvais souvenirs. 


Tous victimes de la guerre mais à des degrés différents, Les Fleurs d’hiver est un roman délicat sur l’amour indestructible, sur les gueules cassées et la difficulté de retourner à la vie après cela. 

Un court roman intimiste et touchant, tant par le style fin de l’auteure, que par le choix de son sujet, fort et fragile. 








Le ciel en sa fureur d'Adeline Fleury

Quand le varou m'emportera je m'endormirai dans le ciel de tes yeux. Sous les auspices de Jean de La Fontaine, Adeline Fleury nous ...