dimanche 25 avril 2021

Les Enfants du jazz de F.S. Fitzgerald

« La vie était venue vite pour ces deux-là et repartie sans laisser d’amertume, mais de la compassion ; nulle désillusion, mais de la douleur. » (La lie du bonheur) 

Fitzgerald et moi d’ordinaire, ça fait pas très bon ménage. J’ai lu Gatsby et ça n'a pas été la découverte à laquelle je m’attendais… 

Depuis je suis assez dubitative et je sais pas si le problème était l’histoire ou simplement le style. 


Alors j’ai retenté l’expérience avec le recueil Les enfants du jazz

Et bien je dois dire que c’était bien meilleur ! 




Les nouvelles se suivent mais ne se ressemblent pas. On en a pour tous les goûts, du mélo à l’humour, les talents de conteur de Fitzgerald sont confirmés ici. 

Sinon, on retrouve aussi la fameuse Étrange histoire de Benjamin Button — que j’ai lu en diagonale, l’ayant déjà lu par le passé. 


J’ai aimé découvrir Les enfants du jazz, ses nouvelles et ses courtes pièces de théâtre, parce que le recueil dépeint avec minutie les États-Unis des années 20. Dans cet esprit, j’ai aussi beaucoup aimé la première nouvelle, Guimauve racontant l’histoire de Jim Powell surnommé Guimauve et amoureux de la belle Nancy qui fait tourner toutes les têtes. 


Il est vrai que le recueil est inégal mais certaines méritent d’être lues. 

C’est le cas de La lie du bonheur où l’auteur, plus doux que d’ordinaire avec ses personnages nous raconte l’histoire tragique d’un couple, celui de Roxane et Jeffrey. Vivant un bonheur éclatant, la vie va forcément les rattraper…


« Au début, pendant la première année, Roxane recevait parfois une infime pression en retour quand elle lui tenait la main ; puis cela avait disparu, cessé un soir pour ne plus revenir, et Roxane était restée pendant deux nuits, les yeux grands ouverts dans l’obscurité, se demandant ce qui s’était arrêté, quelle fraction de son âme s’était envolée, quelle dernière trace d’intelligence ces nerfs détruits transportaient encore au cerveau. » (La lie du bonheur


Dans le registre amoureux il y a aussi La coupe de cristal taillé, une de mes préférées là aussi, mettant en scène le personnage d’Evelyn, aussi pathétique que touchant. Malgré la dureté du propos, on retrouve toute l’ironie du l’écrivain, perceptible rien que par le titre, conférant à l’objet le rôle central qu’il tiendra dans la nouvelle.  


« Je suis l’issue des événements et je diffère de tes petits rêves ; je suis la fuite du temps, la fin de la beauté et les désirs frustrés ; tous les accidents, les omissions, les instants qui déterminent les heures cruciales, m’appartiennent. Je suis l’exception qui ne confirme aucune règle, les limites de ton pouvoir, le condiment dans le plat de l’existence. » (La coupe de cristal taillé) 


Ou même La Sorcière rousse qui se focalise sur Merlin Grainger, librairie new-yorkais qui, un jour, tombe sur une femme magnifique, comme une apparition. 


Les trois nouvelles que je viens de mentionner ici sont mes préférées. J’y ai découvert un auteur minutieux qui nous emmène au coeur des années 20 par le biais d’un réalisme peut-être parfois classique et daté, mais personnellement j’ai trouvé ça passionnant. 


J’ai cru comprendre que si vous aimez Fitzgerald, vous serez déçu par la qualité de ce recueil. Pour moi ça a été l’inverse. 

Tous les goûts sont dans la nature. 


« La vie, ces temps derniers, avait perdu pour lui de son bonheur et de son charme. Peut-être s’était-il mieux initié aux procédés du monde, peut-être le charme s’évaporait-il à mesure que se précipitaient les années. » (Chaud et froid) 


Les Enfants du jazz de Francis Scott Fitzgerald, traduit par Suzanne Mayoux aux éditions Folio. 








mercredi 21 avril 2021

Petite d'Edward Carey

« Qu’attendez-vous d’une femme qui s’est consacrée à des imitations, plus qu’à des êtres de chair ? »

Le nom de Marie Grosholz doit être inconnu pour beaucoup, il faut dire que cette femme est mondialement renommée pour son nom d’épouse : Tussaud. 



Marie est née à Strasbourg en 1761, d’une mère fragile et d’une gueule-cassée, ce qui a durablement marquée la jeune fille. 


Il faut bien vivre alors il faut partir direction la Suisse, direction Berne pour entrer aux services d’un médecin, Curtius. 

Un être atypique que cet homme qui voue un culte à la cire et passe ses journées seul au milieu des reproductions d’organes ou d’attributs physiques. 


Marie, rapidement laissée seule, doit tout faire pour rester auprès de ce gentil monsieur. Non elle n’est pas épouvantée, non elle n’a pas peur de ces étranges créations.


Une rencontre plus tard et ils se décident à tenter leur chance en France, à Paris. Une fois arrivée, la solitude des deux êtres vole en éclats, Marie, devenue Petite doit accepter la tyrannie d’une femme et se plier à ses décisions : elle ne sera plus apprentie mais servante. Jusqu’à ce qu’une opportunité arrive et alors plus rien ne sera jamais pareil. 


L’Histoire arrive avec ses gros sabots et détruit tout, ou presque. 


Edward Carey en racontant l’histoire de Petite nous donne à voir la Révolution française, la Terreur vécue par les parisiens, la peur d’être tué sans raison apparente si ce n’est celle de s’être trouvé dehors. Le racisme aussi, l’étranger étant perçue comme un ennemi de la République. 


Pendant ce temps-là Marie côtoie les plus grands de son siècle, elle a un accès direct à ces hommes qui ont fait notre histoire mais sont déjà des statues inanimées : Marat ou encore Robespierre. 

Il y a une galerie de portraits impressionnantes dans le roman, on croise Rousseau au détour d’une page, on fait la rencontre du serrurier de Versailles qui n’est autre que Louis XVI, à la prison des Carmes elle découvre Rose, future Joséphine impératrice des Français. 


En retraçant la vie de cette femme d’exception, Edward Carey nous entraîne dans les tumultes de la fin du 18è siècle. Il démontre comment l’Histoire a fait bifurquer la vie de Marie, comment la méchanceté lui a ôté son seul amour, comment elle a dû survivre coûte que coûte. Comment elle a dû accepter l’horreur de mouler des têtes fraîchement découpées, comment elle a dû se plier aux autres elle qui n’a ni rang ni famille. 


Dans les remerciements Edward Carey mentionne le fait que la rédaction lui a demandé 15 années, c’est dire comme le projet lui tenait à cœur. 

Il s’agit d’un roman, l’auteur a donc pris certaines libertés avec la biographie de Marie Grosholz (en particulier pour permettre une meilleure adhésion au personnage de Marie). Je ne suis pas certaine qu’Edmond ait existé mais qu’importe, il ajoute une force au récit ce qui le rend indispensable. 


Malgré tout Marie a écrit elle-même ses Mémoires, considérées comme étant très romancés — elle donne par exemple une origine distinguée à son père... qui n’est autre qu’un descendant d’une lignée de bourreaux. 


J’aimerais beaucoup lire sa biographie romancée pour tenter d’en savoir plus encore, de démêler le vrai du faux, même si ce qui compte c’est le pouvoir du récit mené d’une main de maître. 

C’est la re-création d’un univers atypique et d’une époque à la fois brillante et morose. 

On côtoie la beauté et l’horreur, l’aristocratie, même la royauté, et la lie de la société. 

On rencontre Marie et ses objets qui ont façonné sa vie. On rencontre une femme extraordinaire qui a subi bien des choses pour en arriver à la renommée. Marie Grosholz est un exemple puissant de ce que la détermination et l’amour peuvent donner, une confirmation ; les femmes aussi peuvent être dotées d’un talent formidable. 


Je garderai de cette lecture la marche de l’Histoire, les personnages hauts en couleurs, que ce soit Louis XVI ou la veuve, Mme Picot (j’ai eu envie, plus d’une fois, de l’étrangler) que ce soit Curtius, cet homme en manque d’amour ou Edmond, ce garçon inadapté mais tellement attachant. 


J’avais bien aimé la trilogie des Ferrailleurs du même auteur mais là il monte d’un cran en s’attaquant à la biographie romancée de Mme Tussaud. Avec cette lecture on vit au 18ème et on apprend nous aussi la sculpture de cire, l’amour pour la cire qui peut tout faire : 

« Elle est vision, elle est mémoire, elle est histoire. »


On découvre un autre monde grâce à l’écriture du romancier autant que grâce aux dessins du dessinateur, deux casquettes qu’Edward Carey porte à merveille. 


À lire si vous aimez la Révolution française, les biographies romancées et le destin d’une femme remarquable ! 


Traduit par Jean-Luc Piningre. 





dimanche 18 avril 2021

La fille au revolver d'Amy Stewart

1914, Constance Propp, première femme à devenir shérif adjointe (dans la vraie vie hein !) se balade tranquillement avec ses soeurs jusqu’à ce qu’un accident survienne. 


En apparence sans gravité, cet accident va être à l’origine de tout une enquête. L’accident (une voiture est entrée dans la carriole des soeurs Kopp) permet de faire la rencontre de l’inquiétant Kaufman. 


Si vous me suivez depuis un moment vous savez que je suis friande des sagas qui mettent en scène des enquêteurs, policiers comme détectives. Là, un premier volet avec une femme dans le rôle principal, et en plus une femme ayant existé, non mais que demande le peuple ? 


Bon après tout n’est pas parfait, clairement pas même. Il y a quelques longueurs ici et là, un manque d’action à certains moments qui entraine une certaine distance, mais globalement c’était une bonne lecture — je l’ai lu très vite alors on peut dire que cet augment suffit à lui tout seul à dire que c’était agréable. 


La fille au revolver est, disons, un bon premier tome, une mise en bouche assez lente parfois, mais il laisse penser que le meilleur reste à venir. 


Faire la connaissance de Constance Kopp et ses soeurs, c’est avoir la possibilité de découvrir les États-Unis au début du XXe siècle, avant même l’entrée du pays dans la Première Guerre mondiale. 

Il me semble d’ailleurs que le deuxième volet se situe toujours dans les années 1910, mais à vérifier. 


Bref, La fille au revolver c’est les premiers pas de Constance dans la cour des grands (à comprendre, celle des hommes), c’est son affirmation en tant que femme différente des autres de par son physique mais aussi par son courage. 

Constance ne se laisse pas berner. C’est tout ce qu’il y a à retenir de ce premier volet. 


Je me laisserais peut-être tenter par la suite, au moins par le deuxième tome, La fille à l’insigne. Juste parce que je suis d’une curiosité insatiable, et qu’il est possible que ce premier tome ne soit qu’un apéritif avant d’entrer dans la phase du plat de résistance - si vous l'avez lu, n'hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé !







mercredi 14 avril 2021

Le musée des femmes assassinées de Marie Hummel

Ce titre, tellement accrocheur : Le musée des femmes assassinées m’a tout de suite donné envie. 



Maggie travaille pour le Rocque Museum à Los Angeles, un musée d’art contemporain. 

Chargée de traquer les coquilles dans les communiqués de presse et autres papiers officiels, Maggie nous entraîne au coeur de la vie d’un musée. 

Entre l’envers du décor, la scénographie, le personnel insoupçonné derrière chaque expo, etc., Maggie va nous donner un aperçu de l’artifice de l’art, des tractations douteuses et de l’omniprésence du bénéfice. On ne peut envisager une oeuvre d’art sans s’arrêter sur le prix que celle-ci pourrait rapporter. 


Ça c’est pour l’aspect « immersion dans le monde artistique » et c’est pas toujours réjouissant ! Mais l’auteure, Marie Hummel a elle-même travaillé dans un musée de ce style, elle s’est inspirée de son expérience personnelle pour pondre toute l’ambiance du Rocque et de ce milieu impitoyable. Force est de reconnaître que c’est intéressant comme plongée. 


Si les réflexions sur les oeuvres d’art, sur le concepteur, sur le galeriste et le collectionneur sont très intéressante, le propos du livre ne s’arrête pas là. 


En effet, le roman est très concentré sur le temps - l’essentiel des événements se passe sur une dizaine de jours - et il ne faut pas attendre pour que le vernissage de la troisième expo de l’extraordinaire artiste Kim Lord commence. 

Au programme, des portraits de femmes, toutes assassinées à L.A., toutes ont réellement existé. 


Je me souviens d’une déclaration de Kim Lord au sujet de la peinture, le médium qu’elle a choisi pour s’exprimer : le Tueur des Femmes esseulées, le Rôdeur nocturne, le Dormeur macabre - on donne aux monstres de Los Angeles des surnoms très évocateurs. Dans le même temps, leurs victimes ressemblent à des mannequins. Il y a ce vernis de glamour sur leur souffrance et leur humanité, a-t-elle dit.


Le seul hic c’est l’absence de l’artiste à son propre vernissage, où peut-elle bien être ? 

On suit Maggie qui n’a pas particulièrement d’affinités avec Kim mais qui va vouloir savoir ce qu’il en est. Est-ce qu’il s’agit d’un coup de pub de sa part ? a-t-elle été agressée, ou pire ? 


J’ai adoré l’ambiance et le sujet même du livre. En se fondant sur les histoires de multiples femmes ayant été tuées à L.A., Marie Hummel s’interroge aussi sur la ville, ce qu’elle promet et ce qu’elle donne. 

C’est passionnant et en même temps j’ai pas eu le sentiment d’aller au bout de la réflexion première : les femmes assassinées sont élevées au niveau de star presque (je pense par exemple à Elizabeth Short, le Dahlia noir…) et leur identité est d’une certaine façon engluée dans celle de leur meurtrier. 

Ou si celui-ci est inconnu, ces femmes ne sont définies uniquement par leur mort et non pour la vie qu’elles ont vécu… 


C’est assez horrible d’envisager les choses de cette façon et pourtant c’est bien ce dont il s’agit. L’attraction qu’on éprouve pour ce genre d’histoire (moi la première) oscille entre abjection et hommage. Le roman traduit bien ce paradoxe je trouve même s’il aurait pu aller encore plus loin. 



Le musée des femmes assassinées est intelligent. Marie Hummel s’est bien appropriée les codes du genre pour donner à voir une histoire prenante ! Son héroïne, Maggie, est elle aussi bien construite mais l’importance de son passé est sans doute ce qui m’a le moins intéressé — c’est tout à fait subjectif évidemment ! 


Pour celles et ceux qui éprouvent une certaine fascination pour les féminicides et la façon dont les médias s’en emparent, ou si vous êtes intéressés par l’envers du milieu de l’art. 


Avant longtemps le ravissant minois d’une énième femme assassinée apparaîtra à côté de celui de Laci, et celle-ci s’effacera pour rejoindre à son tour la toile de fond des autres victimes d’homicide. Nous qualifierons son cas de résolu ou non résolu, comme si connaître l’identité du meurtrier expliquait pourquoi elle a vu sa vie abrégée. Au final la raison de sa mort deviendra le cadre de toute son existence, et non pas le nombre infini de raisons pour lesquelles la défunte méritait de vivre. 


Le musée des femmes assassinées de Marie Hummel, traduit par Thierry Arson 


dimanche 11 avril 2021

Les Papillons de Barcella

Au début Alexandrin rencontre Mylène, un brin vulgaire et tout sauf faite pour lui. Ça lui met la puce à l’oreille : où sont donc passés ses papillons ? et comment les récupérer ? 


Alexandrin n’est pas poète, il est ébéniste - vous l’avez pas vu venir celle-là hein ? - mais ça ne l’empêchera pas de distiller de la poésie dans sa vie grâce à Marie, la personnification de l’amour. 


Tout s’enchaîne vite, très vite, trop vite peut-être mais quoi qu’il en soit les pages se tournent et c’est avec plaisir qu’on avance au rythme de la prose absolument sublime de Barcella


Les histoires d’amour c’est pas franchement mon dada, d’autant plus quand les obstacles qui semblent insurmontables sont en réalité facilement résolus. 

Mais j’ai dévoré ce court roman, je l’ai lu en sachant pertinemment la fin et en voulant malgré tout la découvrir, l’écriture m’a tellement immergé dans l’histoire que j’ai fermé le roman avec une petite pointe au coeur. Une déception à l’idée d’être venu à bout et de devoir non plus quitter Alexandrin mais plutôt la beauté du texte. 


Nous échappions au temps, émus que nous étions d’être libres comme l’air. Libres. C’est le mot qui convient. Défaits de toutes attaches, cancres sans artifice. Comme si nos deux passés n’avaient plus raison d’être, comme si seul le présent se réchauffait de nous.


Je ne suis pas la seule à le dire (et certains ont dû le dire bien mieux que moi !) mais j’ai adoré cette lecture pour toute la poésie qu’elle dégage, pour le style de l’auteur qui est magnifique. 


Dès la deuxième page j’étais conquise, c’est pour vous dire ! 


La simplicité de l’histoire peut décevoir, néanmoins l’objectif d’écrire une histoire qui s’apparente au conte est complètement réussi, et les amateurs de ce genre seront à coup sûr ravis de découvrir ce premier roman. 


Mais voilà si j’ai tant aimé ce livre, si j’ai pris autant de plaisir à le lire c’est sans conteste pour la qualité du texte, pour la poésie qui se dégage que ce soit grâce aux rimes ou à l’usage de l’alexandrin. 


Mon coeur s’emballe sans frein au nez des injustices. Je vis tout à l’excès. Le bon comme le sévère. En fait, je crois que « j’ai mal aux autres », comme le disait Brel. Moi, je veux croire encore en la beauté du monde. Ma sensibilité est ma force, monsieur. Pleurer vos papillons me semble raisonnable car ne pas s’en soucier serait mourir un peu.


Les Papillons se lit à la vitesse de l'éclair et ravira les amateurs de conte de fée tragique et les adeptes de la poésie du texte. 








mercredi 7 avril 2021

Rouvrir le roman de Sophie Divry

Dans la collection Notabilia des éditions Noir sur Blanc, Rouvrir le roman de Sophie Divry tient à une place un peu différente des autres. Seul et unique essai de la collection, l’auteure a tenté, avec ce livre, de penser le romanesque d’une autre façon. 


De prime abord il semble que l’essai s’adresse aux professionnels, aux auteurs principalement. Mais le lecteur peut y trouver son bonheur (la preuve !). 


Sophie Divry, par le biais de deux parties (Sur quelques idées reçues / Sur quelques chantiers) s’attaque à la très difficile tâche de commenter le roman contemporain. Et elle le fait avec une clarté que beaucoup doivent envier ! 


« Pour Bergounioux, un bon livre doit nous faire vivre d’autres vies, palpiter avec d’autres existences. Ce qu’il admire dans la littérature, « "c’est la capacité de notre esprit à se détacher de lui-même, à s’introduire dans un autre esprit. […]." » 


Je ne suis pas adepte des essais parce que c’est un peu à celui qui aura le langage le plus pompeux, le plus spécifique pour perdre le lecteur. Et malgré le fait que j'ai fait des études de lettres, ça ne signifie pas que je connais toutes les théories, les concepts, ou même les mots — loin de là même !

Alors les essais, bah ils ont tendance à me tomber des mains ! 


Là par contre, pas une seule fois j’ai eu envie de le refermer pour ne plus jamais l’ouvrir. Sophie Divry donne dans sa première partie des pistes intéressantes, elle interroge le narrateur, la présence du passé simple, le besoin de changer le roman. 


Surtout, ce que j’ai adoré, ce sont les exemples choisis. L’auteure est aussi lectrice est bon nombre de ses exemples sont tirés de littérature dite "populaire" comme la science-fiction par exemple. Elle cite des théories, les commente. 

Le style est fluide et agréable et c’est vraiment, pour moi, le gros point fort de ce livre parce qu’il permet de saisir ce qu’elle veut dire et où elle veut en venir. 


Alors oui, j’en vois déjà venir pour me dire : non mais n’importe quoi, son style est pompeux, elle se regarde écrire, etc. peut-être bien, mais en tout cas pas une fois j’ai eu ce sentiment. Au contraire j’ai trouvé qu’elle mettait en avant son avis de manière modeste, sans la prétention de délivrer une vérité mais bien de discuter de la situation et en quelque sorte de relancer un débat inépuisable. 


Rouvrir le roman est un essai stimulant qui interroge autant les pratiques d’écriture que de lecture. Même si l’auteur tient une place de choix dans les développements, le lecteur n’est pas éclipsé et on lui redonne la place qu’il aurait dû avoir depuis toujours : celle, indispensable de récepteur d’un texte. 


« Alors, pour les plus sensibles d’entre nous, savoir que le monde va mal, que les inégalités se creusent, et rester dans sa mansarde à se torturer sur la place de ses virgules, ce n’est pas possible, tôt ou tard, ça nous démange : la culpabilité. L’écrivain se sent coupable  d’être inutile, inactif, improductif, oisif, entretenu, coupable d’écrire dans la langue des dominants, dans celle des colonisateurs, coupable d’être passé de l’autre côté, coupable de trahir les valeurs des siens, coupable d’être fasciné par des enfantillages, coupable de jouir de fins plaisirs, alors que l’injustice, la guerre, la famine, etc. »






dimanche 4 avril 2021

L'A26 de Pascal Garnier

Ça se passe dans le Nord de la France, près de l’A26 qui est en construction. 

Il y a Bernard, la cinquantaine, employé de la SNCF, mais il a dû se mettre en arrêt maladie. 

Bernard n’est plus qu’un frère, et un malade. 

Un cancer, un foutu cancer vient pour finir de l’achever, après une vie de merde passée aux côtés de sa soeur. 



Sa soeur, c’est Yolande.

Elle est recluse chez elle.

Elle refuse de passer la porte. 

Alors elle regarde par le trou de la serrure les jours qui passent, les enfants qui vont prendre le bus scolaire. Cette fenêtre sur autrui, sur l’extérieur, elle l’appelle le « trou du cul du monde ». Mais dans ce trou elle ne voit décidément pas grand chose.


Mais Yolande ne sortira pas. 

Faut dire qu’elle a vécu un épisode assez traumatisant : 

Elle est une tondue, c’est-à-dire qu’à la Libération il a été décidé de lui faire une petite coupe, pour la remercier de sa Collaboration. 


Alors Bernard se retrouve malade comme un chien, forcé de quitter son emploi, de continuer à s’occuper de sa soeur qu’à sa place, j’aurais bien étranglé 2-3 fois. 


Mais Bernard aussi a un secret. Un lourd secret et s’il se fait démasquer, c’est la fin. 

Un indice : Bernard sait couler le béton de l’A26 pour y cacher ses méfaits. 


L’A26, premier roman de Pascal Garnier, m’a alpagué au coeur de cette petite ville du nord de la France. 

C’est dans un ton à la fois sérieux et amusant que l’auteur nous délivre ce roman noir. 


Le roman fait un tout petit peu plus de 100 pages et pour moi, c’est là que réside sa force. En 100 pages Pascal Garnier nous délivre une intrigue bien ciselée, des personnages profonds et il pose un décor suffisamment détaillé pour qu’il soit crédible. 

On s’attache à Bernard malgré sa folie, on s’attache à Yolande malgré qu’on sache dès le début qu’il lui manque une case. 


L’A26 c’est donc l’histoire de ce frère et de cette soeur, mais c’est aussi plus largement l’histoire de ce petit village, c’est les ragots en continue et directement sponsorisés par le seul bar de la ville, le Café de la gare. 

C’est Bernard qui n’a jamais eu de vie intime parce qu’il y avait Yolande, c’est Yolande qui n’a jamais pu voir plus loin que ce fameux jour où elle a été tondue.


Ce roman est mon premier de Pascal Garnier, un auteur décidément parti trop, mais il ne fait aucun doute qu’il y en aura d’autres, j’ai trop adhéré à l’histoire, et surtout au style pour m’arrêter en si bon chemin. 









Le ciel en sa fureur d'Adeline Fleury

Quand le varou m'emportera je m'endormirai dans le ciel de tes yeux. Sous les auspices de Jean de La Fontaine, Adeline Fleury nous ...