dimanche 26 février 2023

L'Odyssée de Firuzeh d'E. Lily Yu

Atay dit : Je savais que nous t’avions donné le prénom qui te correspondrait le mieux. Dure comme la pierre. Guidée par la soif de victoire.

Firuzeh a six ans quand des bombes sont lâchées sur Kaboul. 

Ses parents décident que pour avoir un semblant de vie, pour vivre sans être perpétuellement menacé, il leur faut partir. 


Le départ est rapide, léger. Ils partent direction l’Australie sans certitude, mais avec l’espérance de jours meilleurs. 


Ils paient cher le passeur qui les mène du Pakistan à Jakarta avant d’embarquer, avec beaucoup d’autres, sur un petit bateau de pêche. Très vite, la réalité de leur condition « d’immigrés clandestins » les rattrape. 



Firuzeh et sa famille endurent la traversée et son lot de tragédies, la rencontre avec Nasima et les siens, la brutalité de la séparation. 

À l’arrivée sur l’île de Naura ils respirent un peu mieux car malgré les obstacles tout n’est pas perdu. Ils sont vivants, tous ensemble, ils gardent espoir même si la Terre promise n’est pas encore à leur portée. 


Le camp est synonyme d’insalubrité, brutalité, précarité ; le camp c’est l’attente que l’on attend plus. C’est l’anesthésie, ou l’engourdissement, parce qu’il faut vivre même quand ce n’est plus vivable. 

Et pourtant, on est toujours ici, à attendre. Chacun de nous attendait quelque chose, et c’était cela qui nous faisait tenir. À présent, on n’a plus rien à attendre. À présent chaque minute de nos vies est un gâchis. Le temps nous cisaille les nerfs. Et ça fait mal. Très mal.

Ils sont déshumanisés au même titre que tous les migrants clandestins ; « en transit » ils sont dans l’expectative d’un feu, qu’il soit rouge ou vert, de la part de l’Australie. 


E. Lily Yu dévoile une histoire douloureuse, principalement portée par cette petite fille, Firuzeh, innocente et la tête pleine d’histoires. Son odyssée, qu’elle voit initialement comme une aventure au même titre que celles racontées par son père, lui ôte son enfance ainsi que celle de son petit frère Nour. Le temps des illusions a passé parce que la vie est une brute, parce que le monde n’accepte pas qu’elle soit une adolescente qui s'émancipe, une jeune femme qui prend des décisions ou donne son point de vue. Firuzeh n’a pas son mot à dire de part son âge et sa condition. Elle est empêtrée dans une vision dépréciative en même temps qu’elle est déracinée. 

Je n’étais qu’un espace en forme de fille dans l’univers. Quelque chose à nourrir. Auquel on met des chaussures et des robes. Qu’on élève comme il faut, comme un mouton, afin de pouvoir l’amener un jour au marché. Mais quelque chose qu’on ne voit pas, pas vraiment. Personne ne voit jamais vraiment sa fille. Pas comme on voit ses fils. Qui eux valent quelque chose. Qui eux travailleront un jour.

L’Odyssée de Firuzeh est roman marquant sur la situation de ceux que l’on nomme des « migrants clandestins » ceux qui vivent l’horreur dans leur pays et se retrouvent contraint de le fuir, ceux dont on dit que, quand même, ils pourraient retourner chez eux, à la tété on dit que ça va…


En s’intéressant à la fuite des Afghans (entre autres) et à la politique migratoire de l’Australie (en 2011 un accord avec Kaboul a été signé dans le but de renvoyer en Afghanistan les migrants qui ne possèdent pas le statut de réfugié, depuis l’Australie n’a eu de cesse de dissuader les Afghans qui tenteraient d’entrer sur leur sol), l’auteure choisit le particulier pour dire l’universel. 


Firuzeh est la voix principale d’un récit qui convoque de multiples acteurs : ceux qui ont réussi à émigrer et qui attendent leurs proches, ceux qui ont émigré d’un autre pays et décident d’aider les autres, et il y a l’auteure qui est là pour constater, apprendre et raconter.

Il y a les histoires, l’importance des histoires que l’on raconte pour s’évader et celles pour se confier. 


Un roman passionnant à l’écriture juste et à la construction parfois atypique (en témoigne le chapitre 1) qui prend aux tripes et donne envie de crier à l’injustice, à l’infamie, à l’horreur d’être considéré comme moins qu’un humain… 

Raconter des histoires, ce n’est pas facile. Même quand on sait comment elles doivent finir. Et vivre, c’est encore plus dur.


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Quand le varou m'emportera je m'endormirai dans le ciel de tes yeux. Sous les auspices de Jean de La Fontaine, Adeline Fleury nous ...