dimanche 20 septembre 2020

Tout ira bien de Damian Barr

Nous sommes en 1901, en Afrique du Sud. À cette époque, la Seconde guerre des Boers fait rage. Les britanniques veulent mater ces paysans blancs (= boers en néerlandais) qui ont émigré quelques siècles auparavant, et prendre le contrôle du pays. 


Sarah van der Watt est épouse d’un soldat boer, parti se battre aux côtés des autres. Mais pendant ce temps-là l’armée britannique, qui a cette époque promeut la politique de la terre brûlée arrive chez eux, et lui ordonne de se munir du strict nécessaire et de partir avec son fils sous le bras. Direction le camp de Bloemfontein crée l’année précédente pendant que leur maison, toute leur vie s’évapore dans les flammes. 


Sarah est cultivée (elle parle anglais) et décide d’écrire son quotidien pour le raconter à son mari absent malgré l’interdit. La première centaine de pages nous plonge dans l’horreur de la vie concentrationnaire. La chaleur en été, le manque d’air, le froid en hiver. La sous-alimentation — sauf peut-être pour ceux qui ont accepté de se rendre à l’ennemi, les « mains en l’air » — la peur, la fatigue, les conditions de vie odieuses… Évidemment les maladies ont tout le luxe de prospérer et c’est des milliers de personnes qui meurent… 


On estime 29 000 morts sur environ 145 000 femmes et enfants boers internés… 



L’histoire de Sarah apporte des éléments historiques passionnants. 

Et puis, on m’a coupé l’herbe sous le pied. 


L’arrivée en 1976 est chaotique parce que le changement est abrupte. 

Après quelques pages, on s’y fait et on prend même plaisir à découvrir une femme qui a grandi avec son temps : Rayna. 

Même s’il est certain qu’elle a des progrès à faire sur certains sujets, elle est bien plus tolérante que sa fille, Irma. 

La mère de Willem, l’adolescent qui va nous intéresser. 


Il y a différents sauts dans le temps à partir de 1976 pour en arriver à 2010 — 2015 pour la toute fin — au moment où Willem, considéré comme un gosse à problème trop sensible, est forcé d’intégrer le camp d’Aube nouvelle, sorte de camp militaire barbare et effrayant. 


La mise en perspective est intéressante d’autant plus quand on sait que les deux histoires sont réelles : Damian Barr explique dans ses Remerciements qu’il s’est inspiré de l’histoire d’un adolescent tué dans ce type de camp… 


Du point de vue du fond c’est une mine d’or qui renseigne et délivre un message d’urgence. Un parallèle concret d’une forme de répétition de l’Histoire. 

On nous fait comprendre que les temps ont changé, maintenant on paie pour entrer dans des camps, avant on était forcés, mais sinon, rien n’a bougé. 


Du point de vue de la forme honnêtement ça ne m’a pas transcendé. Comme je le disais je trouve la coupure entre l’histoire de Sarah et l’époque plus contemporaine trop abrupte. Je trouvais que ses émotions étaient bien retranscrites tandis qu’elles l’étaient beaucoup moins par la suite. Et puis on reste un peu sur notre faim. On entend au détour d’une phrase ce qui est arrivé à Sarah mais c’est trop elliptique pour qu’on soit touchés. 

Le sentiment qui a rythmé ma lecture a été la colère, évidemment.


Parce que je n’avais pas de connaissances sur cet affrontement du début du 20e, j’ai beaucoup aimé l’apport historique et le lien effectué par l’écrivain. 

Pour ce qui est du reste, Tout ira bien figure parmi ces oeuvres intéressantes mais qui ne m’ont pas touché outre mesure. 

Je crois que ça peut s’expliquer par le fait que Damian Barr est initialement journaliste et qu’il s’agit de son premier roman. À voir les suivants donc. 



À lire pour ceux qui veulent en savoir plus sur la Seconde guerre des Boers, sur le machisme contemporain et l’homophobie, même dans le pays d’Afrique le plus avancé au sujet des lois LGBT… 



Tout ira bien de Damian Barr, traduit par Caroline Nicolas au Cherche midi 






mercredi 16 septembre 2020

Le Wagon d'Arnaud Rykner

 « Tout ce qui est raconté ici est vrai. Tout ce qui est inventé ici est vrai aussi. Bien au-dessous de la réalité. Ce n’est pas une fiction. » 


Arnaud Rykner écrit dans sa préface du Wagon que son histoire relève non pas de la fiction, mais de l’Histoire. 




L’auteur s’est donné pour pari d’écrire sur un des derniers convois de déportés, direction Dachau. La raison de cette nécessité d’écrire ? Le fait qu’un des membres de sa famille ait été dans ce wagon, et que ce wagon ait été particulièrement funeste (environ 500 morts sur un peu plus de 2000 déportés). 


Ils sont de plus en plus nombreux les auteurs qui ressentent le besoin d’écrire sur la Seconde Guerre mondiale dans une impulsion qui trouve son origine dans la famille (on trouve aussi Daniel Mendelsohn, avec son génial Les Disparus). 


L’invention relève de la nécessité dès lors qu’on n’a pas la possibilité de connaître la vrai du faux. Dans un monologue qui s’étend sur presque 150 pages, le narrateur va nous décrire la peur, l’enfermement, la honte, la solidarité ou au contraire la désunion qui règne dans le wagon. 

Dans ce wagon, mais aussi dans tous les autres. 

Il y en a eu 24 des wagons qui, en date du 2 juillet 1944 sont parties de Compiègne direction Dachau. 


Il y est question des privations, de la mort, de la réjouissance de la mort des uns pour permettre aux autres de vivre plus longtemps, du moins de pouvoir respirer moins péniblement. Il y est aussi beaucoup question de la chaleur et de l’attente. L’attente de savoir où on sera emmené, où va-t-on arriver. Est-ce que quelqu’un connaît les lieux par lesquels ils passent ? 


La lecture, comme le récit, se fait en apnée. Le lecteur doit accepter la claustrophobie. Sauf à un moment, court moment d’accalmie. On peut respirer à l’air libre, se dégourdir les jambes, oublier, même si ce n’est que durant une poignée de secondes, l’horreur de l’instant. Puis c’est le retour dans les wagons. C’est le moment où le narrateur se demande combien de personnes ont péri. Son wagon est moins rempli qu’avant, c’est horrible à dire, mais c’est une libération pour les vivants qui sont un peu moins entassés. 

La réjouissance de la mort, quelle ironie… 


Ce qui est horrible dans ce livre, c’est la tension entre l’écriture, le style d'une vraie beauté, les phrases, le plus souvent courtes et percutantes, et la gravité du propos. Il y a une difficulté à lire ce récit, mené par un « je » lucide, réaliste qui comprend l’horreur de la situation mais qui doit compiler avec. Sans doute comme l’ont fait ceux qui, comme lui, ont été déportés dans un wagon bien trop étroit pour contenir autant de monde, pour une direction inconnue, pour ceux qui ont survécu jusque-là. 


Le Wagon est un court récit très puissant, où la solidarité côtoie la mort, où le « je » perd de son individualité pour se fondre dans les autres ; faute de vivre, il faudrait au moins survivre et se souvenir. Se souvenir de chaque visage, de ces compagnons de malheur qui ont fait la route avec lui et qui ne sont plus, que ce soit au sens littéral ou figuré. 



« Que vont-ils faire de nous ? Que peuvent-ils faire de nous ? Rien à en tirer. Nous ne servons à rien. Nous ne sommes plus rien. Des fantômes. Déjà, nous nous effaçons. Déjà nous ne sommes plus là. » 






mercredi 9 septembre 2020

Portrait d'un cannibale de Sinar Alvarado

 Pas de métaphore ou de sens caché dans le titre. Ce livre, Portrait d’un cannibale, porte bien son nom.


Sinar Alvarado, journaliste colombo-vénézuélien a choisi d’écrire sur un sujet pour le moins atypique : retracer les méfaits et la vie du tueur et cannibale vénézuélien Dorancel (Dorángel) Vargas. 

Si ce tueur en série a quand même droit à sa page Wikipédia en français, c’est à peu près le seul site où vous pourrez trouver des infos dans la langue de Molière. 


Les éditions Marchialy, surtout connues pour leurs parutions signées Jack Adelstein (que je n’ai pas lues) publient de la « littérature du réel ». Moi qui suis très friande de ce genre de littérature, je regarde toujours avec attention leurs publications. Et ce livre, Portrait d’un cannibale était sur le haut de la liste. 


L’ouvrage démarre sur un Dorancel qui sort de prison. Le lecteur, quelque peu bouleversé se demande où il se trouve chronologiquement parlant. En effet, durant tout l’ouvrage nous allons subir un va-et-vient assez brusque du point de vue de la temporalité et des acteurs. 


J’appelle acteurs les membres de la famille des personnes décédées. Il me paraît étrange de parler de personnages pour nommer des êtres qui sont encore vivants et qui ont été interrogés… 

Bref, Portrait d’un cannibale se tisse autour de trois procédés : du côté de Dorancel, de ses victimes, et de la famille de ces derniers. 


Je parlais du titre au début, disant qu’il était bien choisi. Il est intéressant dans la mesure où il englobe la vie du principal agent (Dorancel) autant que les bouleversements liés à ses actes (la perte pour les familles d’un fils, d’un frère…). Mais il l’est aussi parce qu’il est question « d’un » cannibale. En l’occurence Sinar Alvarado s’attache non pas à nous dépeindre la vie d’un fou, mais bien à nous faire comprendre que ce genre de problèmes mentaux n’ont pas leur place dans la société vénézuélienne. 


L’ajout pour l’édition française à la fin est particulièrement éclairant : Dorancel est placé dans une prison de transit, où légalement, un détenu n’a pas le droit de rester plus de huit jours, Dorancel y est resté plus de dix ans. 

Sa prise en charge médicamenteuse est elle-même désastreuse, réglée sur les passages bien trop inégaux des médecins. 


Finalement, Dorancel a encore fait parler de lui en 2016, lorsqu’il y a eu une mutinerie en prison et qu’il a été choisi pour cuisiner trois prisonniers…


Portrait d’un cannibale a ses lacunes, avec une narration intelligente et invisible où le jugement n’a pas sa place, il souffre par des répétitions trop nombreuses, par des va-et-vient qui, finalement n’apportent pas forcément quelque chose en plus. 

J’ai trouvé l’emboitement intéressant, mais trop obscur pour permettre une vue d’ensemble. 


Le travail d’investigation lui est passionnant, ainsi que les descriptions des Andes vénézuéliennes. Je n’ai jamais lu de livre mettant en scène ce pays et pourtant je n’ai pas eu de mal à visualiser le paysage. C’était accessible et ça permettait d’accéder plus facilement au quotidien de Dorancel.


Si le sujet vous intéresse je crois qu’il faut lui laisser sa chance. Entrer dans Portrait d’un cannibale c’est entrer dans un territoire inconnu, un monde où la maladie n’est pas traitée comme il faut, où la communauté est soudée, où le manque d’équipements, de lois claires autour de la prise en charge d’individus malades et inaptes à la vie n’est clairement pas au point. 

Aucune pitié n’est possible pour Dorancel, qui a reconnu être coupable d’une dizaine de meurtres, et pourtant on se prend à le plaindre, lui et ses morts qui ne cessent de lui hurler dans la tête. Parce que Dorancel est malade, mais que la situation médicale du pays ne peut le prendre en charge, le laissant sur le  bas côté... 



Portrait d'un cannibale de Sinar Alvarado, traduit de l'espagnol par Cyril Gay, aux éditions Marchialy.

dimanche 6 septembre 2020

Dans le jardin de l'ogre de Leïla Slimani

« Ça n’en finit pas, Adèle. Non, ça n’en finit pas. L’amour, ça n’est que de la patience. Une patience dévote, forcenée, tyrannique. Une patiente déraisonnablement optimiste. » 


Lors de la sortie de Chanson douce en 2016, avec son couronnement par l’Académie Goncourt, j’avais trop envie de le découvrir. Surtout le nom de l’auteure m'était inconnue. Mais trop de médiatisation, une visibilité à en vomir. 




Alors j’ai repoussé et à la place, je me suis procurée Dans le jardin de l’ogre publié initialement en 2014 et réédité en 2018 dans cette magnifique édition collector de chez Folio. 


Dans le jardin de l’ogre parle de d’Adèle, mariée, mère d’un garçon, et accro au sexe

Enfin je ne suis pas bien sûre qu’il s’agisse uniquement d’une dépendance. Car Adèle est esclave de son sort. Incapable de ne pas coucher à droite à gauche, avec des collègues journalistes ou alors avec un mec un tant soit peu à son goût, de ne pas courir les rues de Paris, pendant que son mari l’attend chez eux.


Adèle souffre, Adèle est malade. Maladie de sexe, probablement de celle qu’on appelle trouble du comportement sexuel compulsif. À cause d’un manque d’amour aigu dans son enfance, sans doute ressent-elle le besoin de reconnaissance. Là où sa mère, jalouse de sa fille n’a engendré qu’un manque, une incomplétude, les hommes dont elle fait la rencontre au gré des nuits, des voyages d’affaires la font de sentir entière. Du moins rassasiée pour un temps. 


Voilà que son mari, Richard, désire quitter Paris, s’installer dans une maison, à la campagne, loin des remous de la ville. Quitter Paris ça signifie quitter les autres, les hommes, ceux qui peuplent ses pensées et ses cauchemars. 

Puis un jour, le pire arrive.


Adèle, démunie face à la réalité des choses se voit contrainte de se battre, de se réfugier auprès de son mari et d’espérer des jours meilleurs car personne ne la sauvera. 


C’est un premier roman audacieux que livre ici Leïla Slimani en s’attaquant à un sujet encore largement tabou : la sexualité féminine, plus particulièrement la dépendance sexuelle chez les femmes. Dans le jardin de l’ogre s’impose et cri à qui veut l’entendre que les femmes aussi ont des désirs, des fantasmes. Elles aussi peuvent être accro au sexe.


Jonglant entre l’énervement et l’émotion, Adèle apparaît comme un personnage fin, tiraillée entre une vie rêvée par beaucoup : le mari aimant, le fils, la carrière qui pourrait être quelque chose si on s’en donne la peine, la maison à la campagne pour se ressourcer ; et une vie de dépravée, à écumer les soirées, à ramener des hommes chez elle pendant que son mari est en déplacement. À mettre de côté sa vie familiale à cause de ça, de cette obsession qui ne la quitte jamais vraiment. 


Adèle est un personnage qui m’a touché parce que c’est un malheur qu’elle vit, une prison mentale. J’aurais aimé la suivre encore un peu plus, pouvoir me faire une idée de Richard, mais je ne me sens pas le droit de juger, ni Adèle, ni Richard, deux âmes en peine, forcés de compiler avec leur chagrin. 

La tristesse de Richard m’a touché dans les dernières pages, sa retenue face au corps de cette femme qui est la sienne. 


Dans le jardin de l’ogre est pour moi une lecture unique. J’ai été chamboulée, traversée d’émotions contradictoires pour les personnages. De la pitié à la haine, de l’énervement à la clémence. Un premier roman maîtrisé et intelligent sur des souffrances de femmes encore peu abordées. 


Adèle a déchiré le monde. Elle a scié les pieds des meubles, elle a rayé les miroirs. Elle a gâché le goût des choses. Les souvenirs, les promesses, tout cela ne vaut rien. Leur vie est une monnaie de singe. 


Le ciel en sa fureur d'Adeline Fleury

Quand le varou m'emportera je m'endormirai dans le ciel de tes yeux. Sous les auspices de Jean de La Fontaine, Adeline Fleury nous ...