dimanche 28 février 2021

Affamée de Raven Leilani

 « Ce n’est pas que je veux de la compagnie, mais j’ai envie que d’autres yeux attestent de mon existence. »


Edie vit à New-York dans un logement infesté de rat, et bosse dans l’édition depuis trois ans. Après deux avertissements à son actif, elle sait qu’elle est sur la sellette mais ça ne l’empêche pas de flirter avec Eric, un homme plus vieux quelle, sur son ordinateur pro.

Pendant un mois ils s’échangeront des messages, ils se confieront l’un à l’autre, jusqu’à la rencontre. 

La première rencontre est étonnante, chaotique un peu. Edie a la vingtaine, des formes généreuses et une immense envie de se faire sauter — faut dire que ça commence à dater la dernière fois. 

Mais ce n’est pas pour maintenant. 

Parce qu’Eric est marié. Elle le savait, attention il lui a dit « je suis marié mais on est un couple libre » quelque chose dans ce goût-là. Alors Edie elle s’inquiète pas plus que ça, elle préfère fantasmer. 


Rien n’est aussi simple et quand Eric lui tend une liste réalisée par sa femme, on sent que les ennuis commencent. 


Pourtant on en est encore qu’au début et la suite est encore plus brutale. 


Raven Leilani n’a pas la langue dans sa poche, elle esquinte tout et tout le monde au passage. Personne n’est à l’abri. Les failles des personnages sont dévoilées et même Edie n’est pas épargnée. 


Le titre Affamée traduit à la perfection de cette soif de vivre, ce besoin viscéral d’être aimé pour l’héroïne qui se cherche, qui a besoin d’exister aux yeux des autres pour se prouver qu’elle existe bel et bien. 

Elle est affamée à tous les niveaux : soif de vivre, ivresse d’aimer, appétit insatiable, elle qui n’a jamais rien dans son frigo et a des problèmes intestinaux. 


Affamée se dévore littéralement. On entre dedans et l’écriture nous hypnotise, le style, la mise en page, tout donne le sentiment d’entrer dans le jardin secret d’une femme. Les phrases s’enchaînent, longues parfois, et avec très peu de dialogues. C’est le journal de l’existence d’Edie, de cette peintre qui n’en est pas tout à fait une, une peintre qui ne sait dessiner un autoportrait. 


Le côté malsain de l’histoire est aussi intéressant, le fait qu’elle soit éprise d’un homme marié blanc engendre un contraste, illustre de la difficulté pour certains blancs de comprendre, de ne pas faire d’erreur au risque de passer pour un raciste — il faut faire attention à sa façon d’appeler Edie, qu’Eric n’hésitera pas à appeler Edith pour plus de commodité… 

J’ai aimé les passages autour des cheveux et de la difficulté de s’en occuper correctement quand on ne sait pas, quand on est entourés de blancs qui ne connaissent rien.  


Parfois je me suis perdue dans le dédale de réflexions, on passe des entretiens et du fait d’être une « noire comme on l’attend » aux réflexions sur la jeunesse et sur son enfance, vécue en tant que membre de l’église adventiste du septième jour. C’est à mon sens le seul petit bémol du roman qui va peut-être un peu trop vite, ou qui mélange trop de choses ? 


Affamée est brillant. Il nous entraîne au coeur d’une histoire à la fois malsaine et passionnante. Les pages défilent et on termine le livre avec une pointe au coeur ; alors tout ça, c’était qu’une parenthèse ? 


Bravo à la traductrice Nathalie Bru (dont le nom apparaît en couverture ce qui est très très bien) pour son travail ! Il est évident que le ressenti n’aurait pas été le même si elle n’avait pas si bien retranscrit l’urgence et la brutalité des mots de Raven Leilani. 

Et un grand merci à Benoit parce qu’une fois encore je me suis régalée !


« Rien ne m’est jamais arrivé qui coulait autant de source que lui, et partout en ville, d’autres femmes un peu cruches, pas complètement accomplies, vivent la même chose, excitées par des hommes qui cochent simplement toutes les cases d’une vie un peu plus pleine, c’est un truc terriblement quelconque, le genre de chose qui nous arrive quand on persiste à se lever le matin puis à se brosser les dents et à aller bosser en refusant d’écouter la petite voix qui le soir venu nous murmure qu’il serait plus facile d’être morte. »

mercredi 24 février 2021

La Dame en blanc de William Wilkie Collins

 « Nos mots sont des géants quand ils nous blessent, des nains quand ils doivent nous servir. »

Le nom de William Wilkie Collins vous est vaguement familier ? ou au contraire complètement inconnu ? 

Sachez que cet homme, ami de Dickens — qui, au passage, aurait rêvé pouvoir écrire The Woman in White — était très populaire de son vivant. Avec quelque chose comme une cinquantaine de romans à son actif, Wilkie Collins fait partie de ces écrivains peu à peu tombé dans l’oubli. 


Excepté pour un titre, encore plébiscité aujourd’hui : La Dame en blanc





Publié en 1860 le roman se lit comme un thriller contemporain. À deux trois éléments près, l’histoire n’a pas pris une ride et c’est avec un plaisir coupable qu’on s’enfonce dans les malheurs du dessinateur Walter Hartright. 


La construction du roman paraît sans doute banal aujourd’hui. Mais le choix d’impliquer divers narrateurs, quasiment tous les personnages en fait, de leur laisser la parole afin de dévoiler une parole qui se veut la plus vraie possible, devait être un sacré tour de force pour l’époque ! 

Ainsi on s’immerge dans l’histoire avec Hartright, dessinateur talentueux mais faisant partie du petit peuple puisqu’il n’est pas un noble. 


Et au fur et à mesure les narrateurs vont se multiplier si bien que peu importe le rang, le métier, chaque témoin a sa place — c’est le cas d’une cuisinière par exemple. 

Ce choix, d’entrée de jeu, de se donner pour objectif d’aller au plus près de la vérité, d’éviter les discours rapportés pour s’intéresser uniquement au témoignage entraîne dans le mystère que met en scène le roman. 


Le suspense distillé tout au long de l’oeuvre est parfois insoutenable. Le roman fait plus de 650 pages et pourtant durant la majeure partie, j’avais peur à toutes les pages de voir un protagoniste mourir, d’être prise au dépourvu et d’être témoin d’un meurtre atroce. 

Nos nerfs sont malmenés de bout en bout et je crois que j’ai rarement ressenti ça avec une telle intensité. 

L’atmosphère étouffante, anxiogène même, et couplée avec la richesse des personnages, tous différents et tous plus ou moins méprisables, entraînent une hésitation, une oscillation entre ce qu’il va réellement se passer et ce dont le lecteur pense (ou redoute). 


L’appréhension ne cesse de monter, bien qu’on comprenne de plus en plus où l’auteur veut en venir. 

C’est prenant parce qu’à mon sens ça a superbement vieilli. 


L’élément qui m’a le plus chiffonné, c’est les remarques de Marian au sujet des femmes, sorte de trahison envers son sexe. Mais Marian ne pourrait pas être plus forte, plus féminine ! 

C’est mon personnage favori de l’oeuvre parce qu’il est d’une telle force ! Et c’est pour cette raison si mon seul bémol est de ne pas avoir découvert plus de passages de son point de vue. 


Wilkie Collins est parvenu à écrire un chef-d’oeuvre du suspense avec une enquête construite et dont toutes les ficelles sont maîtrisées jusqu’à la dernière. 

Je suis ravie d’avoir enfin découvert ce roman, de pouvoir vous en parler parce qu’il est une lecture formidable, une lecture qui devrait ravir tous les fans de thriller ou de roman policier. 


Si vous connaissez d’autres titres qui méritent le détour je suis preneuse !! 


Le souvenir du passé, la pensée de l’avenir étaient ensevelis dans ce cadre trompeur, bercé par le chant de sirène que mon coeur se fredonnait à lui-même, les yeux clos devant le danger, les oreilles fermées aux avertissements de la prudence, j’approchais d’heure en heure du rocher fatal ! 

La Dame en blanc de William Wilkie Collins, traduit par Lucienne Lenob chez Libretto. 

dimanche 21 février 2021

Coup de vent de Mark Haskell Smith

« Ne m’appelle pas Bae s’il te plaît, ça veut dire ‟merde” en danois. Tu savais ça ? Tu aimerais qu’on te traite de merde ? »

Quand on m’a mis ce roman de Mark Haskell Smith entre les mains j’étais mitigée entre la beauté de la couv’ et les deux premières lignes d’un résumé qui ne me plaisait pas des masses. 



Une histoire de bateau, d’un homme perdu au milieu de l’océan avec des tonnes de fric dont, évidemment, il n’a pas l’utilité. 

J’avais une vague idée qui ne m’emballait pas plus que ça. 


Et puis comme il y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis, j’ai décidé de m’y coller. 


Coup de vent est un roman polyphonique mettant en scène pas moins de cinq personnages. On suit leur point de vue, signalé à chaque fois par l’insertion d’une petite illustration. Pour le premier par exemple, Neal, c’est un canapé, parce qu’il a un gros problème avec son canapé et la solitude directement liée à l’objet. 


J’ai trouvé sympa cette manifestation des personnages et leur évolution (certains changent d’objet en fonction des événements). 


À la base je pensais à une histoire attendue, un truc assez bateau (vous noterez le jeu de mot de haute voltige !) mais que nenni ! 


L’auteur nous entraîne dans une histoire loufoque où un traider pour le moins doué se donne pour mission de voler l’entreprise pour laquelle il travaille (entreprise à Wall Street, évidemment). Ce personnage, Bryan, est fin et intelligent. Les raisons qui le motivent sont banales et en même temps tout à fait compréhensibles. 

Bryan est l’occasion d’une critique acerbe contre les « loups de Wall Street », ces êtres qui se font des tonnes de fric à la minute au détriment du reste du monde — il suffit de voir la crise des subprimes… 


Pour retrouver Bryan (qui a échafaudé un plan en apparence digne des meilleurs films de gangster), l’entreprise fait appel aux services de Neal, employé homosexuel destiné à « ramener l’argent » en cas de pépin, et à l’intelligente Seo-yun, supérieure de Bryan. 


Le duo va s’embarquer pour une escapade sur les chapeaux de roue à la recherche de Bryan, et va tomber sur des gens pas très friendly… 


En commençant le roman, le lecteur est directement envoyé sur un bateau avec Neal pour seul occupant. Où sont les autres ? 

On va suivre tout le déroulé de l’histoire, de l’idée de Bryan à son exécution et sa fuite dans l’espoir de ne pas être retrouvé. 


Et puis une fois toute l’histoire racontée, on revient à Neal, mal en point. 


La fin est étonnante, vraiment étonnante. 


Je ne m’attendais pas à ça, comme je ne m’attendais pas à un style aussi agréable et drôle. J’ai passé un excellent moment avec cette plume acide et piquante où l’humour tient une place prépondérante dans le roman. 


À lire si vous aimez les histoires wtf et les punchlines tantôt tordantes, tantôt glaçantes. 


« Comme l’avait si bien dit Pablo Picasso : ‟L’art lave notre âme de la poussière du quotidien”. Tant mieux. Il aurait besoin de beaucoup d’art, car son âme allait accumuler pas mal de poussière. »



Coup de vent de Mark Haskell Smith, traduit par Julien Guérif. 










mercredi 17 février 2021

La Voix des vagues de Jackie Copleton

9 août 1945, Nagasaki 


Pendant longtemps je culpabilisais parce que, quand je lis sur la Seconde Guerre mondiale, je lis toujours sur les camps, la situation en Allemagne, l’Occupation en France. Mais jamais sur les bombes atomiques lâchées à Hiroshima d’abord, à Nagasaki ensuite. 



Je n’ai pas d’explication à donner à cette lacune si ce n’est que je ne trouvais pas vraiment de livres qui donnaient suffisamment envie — si vous avez des titres, je suis preneuse ! 


Tout ça pour dire que j’ai fini l’année 2019 avec ce cadeau, La Voix des vagues de Jackie Copleton et alors je me suis dit que c’était un signe. 

L’auteure n’est pas japonaise mais elle a vécu et enseigné à Nagasaki durant des années donc c’est tout comme. 

D’ailleurs j’ai aimé l’inclusion d’un mot japonais accompagné de sa traduction en tête de chaque chapitre. C’est une plongée au cœur de la culture japonaise, de leur façon d’être ou de se représenter les choses. 


À titre d’exemple


« Kodakara : comme le dit un poète japonais du VIIIᵉ siècle, il n’est pas de trésor plus précieux que les enfants. Selon les croyances populaires japonaises, les enfants sont des cadeaux du paradis, et ceux qui sont âgés de moins de sept ans méritent une attention particulière. Ces croyances ont une profonde influence sur leur éducation, avec pour résultat une relation étroite entre mère et enfant. »


Le roman débute bien des années après la catastrophe, nous sommes aux États-Unis et une femme âgée, Amaterasu Takahashi voit un homme apparaître sur son perron. Il déclare être son petit-fils, Hideo, présumé mort à 7 ans le 9 août. 


S’ensuit un retour en arrière, une plongée dans le Nagasaki d’avant avec de belles descriptions pour célébrer la beauté d’une ville qui finira en cendres. 

On fait la connaissance d’Amaterasu plus jeune, avant même qu’elle ne rencontre son mari, son roc, Kenzo, avant même qu’ils aient une fille, Yuko, et avant même que celle-ci donne naissance au petit Hideo. 


Fragmenté, enchâssé, le récit qu’on nous délivre recolle au fur et à mesure toutes les pièces du puzzle pour donner à voir un plan d’ensemble. Pour expliquer comment on a pu en arriver là, comment sa fille Yuko, infirmière, a pu se retrouver dans le secteur où la bombe a tout annihilé sur son passage. 


Entre culpabilité, haine et regrets, Amaterasu, devenue vieille femme est petit à petit grignotée par son passé ; elle qui a perdu son mari, elle qui doit vivre dans un pays qui n’est pas le sien. 

Voilà quasiment 40 ans que les faits se sont produits et Amaterasu, terrassée par le chagrin, dévorée par l’alcool qu’elle s’enfile pour oublier son déchirant passé, n’est pas prête à remettre en question ses convictions. 


Non, Hideo est mort, non il n’a pas pu survivre. 

Kenzo et elle l’ont recherché mais on leur a dit que de leur fille, de leur petit-fils, il ne restait rien. Ils ont disparu voilà tout.


La venue d’Hideo remet évidemment en cause toutes ses croyances. En refusant d’accepter cet homme sans mémoire comme son petit-fils, Amaterasu pose la question du pardon. D’un pardon qui est un voyage, un pardon qui ne s’accorde pas aisément. La Voix des vagues tente de redonner une voix à ces êtres qu’on a cru disparu, illustre par le biais d’une histoire familiale, l’horreur vécue ce fameux 9 août. 


Cette chose atroce, inhumaine que les japonais nomment « Pikadon ». Jackie Copleton en use souvent pour nommer le bombardement mais ne sachant pas exactement ce que ça veut dire j’ai trouvé qu’il s’agit d’une alliance entre Pika (pour les connaisseurs de Poké, pas besoin de vous expliquer que ça signifie « étincelle ») et Don qui veut dire « boum ». Littéralement : étincelle et boum. Je pense que la force d’évocation suffit à elle-même… 


Le seul bémol selon moi c’est l’omniprésence de l’histoire intime qui prend le pas sur l’histoire du bombardement de Nagasaki. 

Je trouve que les pages où se passe le bombardement sont exceptionnelles de réalisme. La fuite du temps qui semble comme bloqué, cette poussière, cette destruction massive, tout y est et pour le coup ouais, c’est extrêmement bien écrit. 

Mais les pages concernant Amaterasu et Sato, mouais bof. Je comprends l’intérêt de cette relation, notamment par rapport à l’idée du besoin de pardonner à autrui pour continuer à vivre et ne pas finir comme une coquille vide, morte à l’intérieur. Mais ça m’a bien moins intéressé parce que je le lisais vraiment pour découvrir le déroulé de cette journée noire… 

Au-delà de ça j’ai aimé cette lecture, je l’ai trouvé intelligente, sensible, j’ai aimé cette attention donnée aux coutumes japonaises, à leur tradition, etc.


La Voix des vagues est un très bon premier roman, on sent l’attachement de l’auteure pour le Japon et en particulier pour Nagasaki. D’ailleurs à ce sujet, dans ses remerciements, elle déclare : « La Voix des vagues est mon remerciement le plus sincère aux gens de Nagasaki, pour la gentillesse et la générosité dont ils ont fait preuve à mon égard, pour leur compassion et leur dignité face à une inimaginable tragédie et pour le message de paix qu’ils continuent à envoyer au monde. Plus jamais ça. »


C’est bien ce qu’on espère. Ce plus jamais. 


La Voix des vagues de Jackie Copleton traduit de l’anglais par Freddy Michalski, éditions Pocket collector. 







dimanche 14 février 2021

Le Mal-épris de Bénédicte Soymier

Bon je vous préviens tout de suite ce post n’aura rien de bien original. Si j’avais pu attendre quelques semaines avant de le publier je l’aurais fait. Juste pour ne pas donner cette impression de trop-plein, ce rabâchage de voir un livre passer des dizaines de fois. Tellement de fois que sa couverture nous sort par les yeux et son titre nous donne le tournis. 




Paul Paul Paul. 


Quelle est cette vie que tu as vécu, cette enfance que tu as supportée, toi l’écorché, toi le « pas beau », toi qui n’intéresse personne et vit seul reclus. 


Les beaux. Tous ces faux moches du dedans, ces vernis à gratter. Que de la couche de surface, qui trompe et qui cache. Les beaux, c’est laid. 


Tu en as connu des femmes. D’abord Léa, ce fantôme qui t’a quitté pour un autre, un malabar. Puis Mylène, ah la belle Mylène aussi belle que toxique pour toi, Paul, qui ne sait pas différencier un sentiment d’un autre. 

L’amour, le désir, la jalousie, la honte, la fuite, la colère. 


Paul fait de la peine, il s’enferme dans sa tristesse jusqu’à sa rencontre avec Angélique. 

Peut-être y a-t-il un espoir, après tout Angélique non plus n’est pas un canon de beauté. Ce n’est pas Mylène. Elle est ronde et s’habille comme une pute cette aguicheuse. 

Enfin ça, c’est ce que pense Paul.  


Le Mal-épris raconte la descente aux enfers, la folie d’un homme perdu, d’un homme « qui n’est pas comme ça » mais qui doit bien reconnaitre qu’il l’est quand même. 

Un homme violent violenté toute sa vie. Sans repaire, sans attache, sans rien.


Paul c’est des beaux yeux et un bel intérieur, au-delà il n’y a rien. 

Mais pourquoi ? 


Est-ce que Paul ne sait pas aimer ? Est-ce qu’il y a besoin d’apprendre à aimer correctement ? 


Je pense que Paul aime, il aime à en crever, lui que personne n’a jamais vraiment aimé jusqu’à Angélique. Jusqu’à ce qu’il brise tout. Parce qu’on ne lui a jamais donné la possibilité d’aimer comme il faut. 


« Il ne sait que prendre comme lui-même on l’a pris, l’amour à l’arrache, sans douceur, sans conscience. Des miettes. Il ne sait pas aimer, lui qui aime si fort. »


C’est ce qui est le plus touchant et difficile dans cette histoire, la détresse de Paul. Sa détresse malgré sa brutalité, sa rancoeur. 

Le problème ce n’est pas qu’il ne sait pas aimer, le problème c’est qu’il ne sait pas parler, ne sait pas se confier. 


La rupture est consommée avant même le début de la relation car il ne sait pas raconter ses peines, ses blessures. Il ne sait pas comment partager ce qui le rend si dur, ce qui lui fait si peur. 


Paul le Mal-aimé. 


Paul que j’ai adoré détester et adoré aimer.


Bénédicte Soymier nous entraîne au coeur de cette douleur, au creux d’une histoire de souffrance, où l’un boxe les sentiments de l’autre, le met au tapis par la violence de ses mots d’abord, la violence de ses coups ensuite. 


L’empathie pour Angélique est immédiate. Comment faire autrement face à cette femme dont le seul tort a été de se bercer d’illusion ? De croire qu’elle pouvait espérer mieux, plus… 

Celle pour Paul est plus complexe, on la ressent avec parcimonie. L’envie de le secouer et celle de le câliner se rejoignent et c’est dérangeant. C’est énervant aussi. Comment aimer un tel homme ? 


Le Mal-épris percute, il touche juste. Le style de l’auteure est à l’image de son histoire : hachée, prise dans le vif. Son plus grand succès ? Écrire l’histoire de Paul sans chercher à l’excuser, la tension est là, toujours plus forte, toujours plus difficile à regarder en face. Son Paul, une figure entre le héros et l’anti-héros, quelque chose de flou, pour tenter de comprendre les mécanismes d’une telle histoire d’amour. 

Comprendre sans jamais excuser. 

Raconter sans jamais décharger. 


Une vive réussite.


Prends-moi. Aime-moi. Moi. Moi que tu ne vois pas. Moi, cachée derrière les rires et les talons. Aime mes peurs, mes chagrins et mes peines, prends mon passé et mon histoire. Aime-moi au-delà de ce que tu crois. Aime-moi parce que je suis moi.







mercredi 10 février 2021

La Part des chiens de Marcus Malte

 « Sonia, Sonia, tu as pris mon coeur et mon âme avec toi. Ma maison est en flammes, Sonia. 

Sonia, mon amour. Est-ce trop demander ? 

Ce qui reste, tout le reste, n’étant que la part des chiens. »


Un roman qui laisse une trace. Comme une chaussure qui viendrait nous piétiner, incapable de bouger. 


La Part des chiens c’est le voyage de Zodiak et Roman le polac à travers une route toujours plus sombre et crasseuse.

C’est le périple de deux hommes à la recherche de la femme de l’un, la soeur de l’autre, Sonia. 






L’histoire est d’une rare obscurité. Pas un rayon ne passe, nous sommes confrontés à l’âme humaine dans tout ce qu’elle a de plus débauchée. 

Certaines scènes font vraiment froid dans le dos — je pense notamment à ce passage surréaliste dans un vieux cinéma, où le propriétaire et ancien projectionniste projette un film d’une brutalité et d’une atrocité assez hors norme. 

J’aime les lectures qui bousculent, qui brillent par leur violence, mais là ce n’était pas exactement ce sentiment. Plutôt une profonde gêne, un malaise sans fond. Quelque chose de dérangeant. Une place de spectateur non désiré, forcé de suivre une scène abominable sans que ça apparaisse comme tel dans le roman. C’était spécial, et passionnant - oui j’ai conscience de passer pour folle en cet instant ! 


Zodiak représente le roman à lui tout seul, tiraillé entre l’horreur du monde, sa solitude, et la beauté, l’espoir, sa femme. Le roman joue sur le même registre, c’est-à-dire qu’il joue toujours sur la beauté des choses, sur un certain lyrisme, quand en réalité il n’y a que des atrocités. 

Des atrocités qui montent crescendo au fur et à mesure de la lecture. 


Si bien qu’on arrive à un point de non retour. On arrive là où on aimerait ne pas être. On entend la réalité qu’on aimerait autre. Tout ça pour ça ? Toutes ces souffrances, toutes ces horreurs ? Comment est-ce que ça peut se terminer ? Comment est-ce que ça va se terminer ? 


La route est semée d’embuche, et La Part des chiens raconte ce voyage, plus que son arrivée… La fin est à la hauteur du roman, dur et probablement sans espoir. L’auteur nous convie à faire une balade avec ses personnages, une balade grinçante et dérangeante où le lecteur doit accepter la part d’ombre de chacun. 


Le style de Marcus Malte n’a rien d’ampoulé, les mots sont là, jetés à la figure et pourtant travaillés, assomant de brutalité. 

C’est violant, bien plus que les autres que j’ai pu lire de l’auteur, adepte du roman noir. 

Mais qu’importe ? Les personnages sont là, posés, et ne demandent qu’à être découverts. 

Zodiak, son enfance, sa rencontre avec Sonia, c’est à cela qu’il faut se raccrocher pour ne pas dériver. C’est l’amour le seul espoir. 

Et quand l’amour nous trahit ? 

Ou quand l’amour est mort, que se passe-t-il ? 

Est-ce qu’on continue à avancer ? 


Il faudra lire le roman pour le savoir ! 


« Nulle part, ni dans les traités, les précis, les manuels, les grimoires, ni sur la carte sans cesse renouvelée du ciel, nulle part n’était décrit cet élément à l’incommensurable puissance qui introduit la dissonance ou l’harmonie, qui engendre le chaos ou la paix, la souffrance ou la joie, qui créent le néant ou la plénitude, qui absorbe tout entière la matière d’une existence, qui la fait voler en éclats ou qui la comble au contraire, la parachève et la maintient dans son sens et son intégrité - selon qu’il vienne ou non à manquer. 

Nulle part il n’était question de son amour. »







dimanche 7 février 2021

Mind MGMT - Rapport d'opérations 1 & 2 de Matt Kindt

Mind MGMT - Rapport d'opérations 1/3 : Guerres psychiques et leurs influences invisibles 


!! Ceci est un message envoyé par le Mind MGMT, seul les agents dormants sont habilités à le comprendre !!

Les nouvelles parutions de Monsieur Toussaint Louverture sont toujours à regarder avec attention, elles promettent souvent de beaux moments d’évasion. Il n’est pas étonnant alors si après avoir reçu la brochure j’ai été très intriguée par ce roman graphique, premier tome d’une trilogie dont le dernier paraîtra en janvier 2021. 
Intitulé "Guerres psychiques", ce tome introductif nous entraîne au coeur de machinations à l’échelle planétaire. 


Sans entrer dans les détails (mieux vaut garder tout le mystère avec ce genre d’histoire), on rencontre Meru, auteure d’un livre d’enquête paru deux ans plus tôt. Voilà que son livre a été un best-seller complet mais depuis, bah la Meru elle se tourne un peu les pouces. 

Désespérant de trouver un sujet à sa mesure elle commence à s’intéresser au vol 815 dont les passagers ont mystérieusement perdu la mémoire (à l’exception d’un petit garçon). 
En voilà un sujet passionnant et qui promet une bonne histoire, mais Meru ne se rend pas bien compte d’où elle met les pieds et va se retrouver au centre d’une affaire absolument dingue. 

Car le Mind Management, organisation secrète centenaire a bien des secrets. 

Même si je ne suis pas hyper fan du dessin des visages j’ai adoré le travail de colorisation. L’utilisation de l’aquarelle et son détournement en quelque sorte — les couleurs traduisent de la violence notamment, tandis qu’on a l’habitude de voir l’aquarelle comme quelque chose de doux, avec des couleurs vives, gaies… 

Véritable OVNI, Mind MGMT est un livre qui part dans tous les sens. Les pages sont truffées de texte, d’informations, de récit dans le récit comme avec l’utilisation des marges. 
J’ai adoré cette la mise en abîme ainsi que les différents points de vue. On suit principalement Meru, mais pas seulement et c’est ce qui permet la création d’un suspense qui véritablement te donne envie d’aller plus loin, de toujours tourner la page suivante pour comprendre tout. 

Et surtout, surtout, ce que j’ai préféré, c’est l’ajout d’une page (ou une double page) à chaque début de chapitre pour nous présenter un des agents du Mind MGMT. 
Matt Kindt ce n’est clairement pas n’importe qui (il est très connu pour avoir contribué à l’écriture de comics notamment) et effectivement son travail vaut le détour ! 
La création de son monde, la facilité pour le lecteur de se perdre mais aussi de se retrouver… Mind MGMT est une oeuvre de qualité, une oeuvre prenante et dans laquelle on entre pour ne plus sortir. 

Apprenez-en le moins possible dessus. Jetez-vous à corps perdu dedans et laissez-vous entraîner par cette histoire de dingue, c’est tout ce que je peux vous conseiller. 



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Mind MGMT - Rapport d’opérations 1/3 de Matt Kindt 
(publication originale : 2012, publication fr. chez Monsieur Toussaint Louverture, 2020). 
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Thomas de Châteaubourg 
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Mind MGMT - Rapport d'opérations 2/3 : Espionnage mental et son incidence collective


Et on continue dans la découverte du roman graphique Mind MGMT de Matt Kindt avec la sortie du deuxième tome.


Souvenez-vous, tous les éloges pour le premier tome : la puissance des couleurs, le détournement de l’aquarelle, présente pour illustrer des scènes violentes, la sur-présence du texte… 


Tous ces compliments valent pour le deuxième tome intitulé « Espionnage mental et son incidence collective ». 





Si j’ai retrouvé tout ce qui me plaisait esthétiquement parlant dans le premier tome, il en a été de même pour le fond. 


En s’enfonçant encore plus dans les méandres du Mind Managment, l’intérêt grandit plus encore que dans le premier. 

Là on a une idée précise des choses et on veut savoir ce qu’il va bien pouvoir se passer pour tous ces personnages, Meru en tête. 


Il est impossible d’aborder ce deuxième tome sans raconter le premier alors je ne m’y essaierai pas. 


Dans le premier je vous avais parlé de mon enthousiasme concernant la double-page à chaque début de chapitre. Pages consacrées à la présentation d’un espion du Mind MGMT. On retrouve toujours le même principe mais cette fois pour atteindre les « étages supérieurs », ceux qui sont vraiment badass. Ou alors pour nous présenter les ennemis du Mind… 

Je crois que c’est ce que je préfère dans cette histoire, la présentation de nouveaux personnages ayant de nouveaux pouvoirs. Ça montre la richesse créative de l’auteur et ça s’emboîte parfaitement dans l’histoire qu’il souhaite raconter ! 


Enfin, j’ai adoré les dernières pages, consacrées aux mémoires d’Henry Lyme. Les couleurs, les dessins… je suis fan. 


Un deuxième tome encore meilleur que le premier où le lecteur est de nouveau baladé d’un coin à l’autre sans possibilité de souffler. 

La création de nouveaux personnages apporte un souffle d’air frais et la multiplication de récits au coeur du récit est sans doute l’un des plus grands tours de force de cette saga ! 


Mind MGMT 2 de Matt Kindt, traduit par Thomas de Châteaubourg aux éditions Monsieur Toussaint Louverture.






mercredi 3 février 2021

Le Dit du Vivant de Denis Drummond

L’année dernière je vous parlais de La Vie silencieuse de la guerre qui m’avait beaucoup plu. J’avais aimé l’ambiance, les personnages ainsi que la construction du récit. 


Avec Le Dit du Vivant, Denis Drummond continue de frapper fort. 

La construction est là encore ambitieuse. Roman découpé en six parties, elles-mêmes découpées de manière identique. Il y a le récit, le journal de la protagoniste paléogénéticienne, Sandra, les chroniques et autres articles de presses ou des extraits de correspondance. Enfin il y a le point de vue de Tom, fils autiste de Sandra, avant de terminer par la prise de parole du Vivant. De celui dont on a découvert la présence, celui au centre de la découverte. 


Et quelle découverte ! 


Il aura fallu un séisme au Japon, un écroulement, l’affaissement de tout un village pour en arriver à cette découverte, celle d’une sépulture qui révolutionne nos certitudes concernant l’évolution humaine ! 


« La structure du vivant se prenait dans l’ellipse du temps. Les doubles hélice d’ADN des graminées et de l’homme d’Atsuma allaient placer la science dans un ailleurs sans lieu. Elles raconteraient une histoire qui défierait les récits, déférait les icônes et donnerait aux mots un sens nouveau. Les lumières naissantes s’accompagnent toujours de leur cortège d’ombres. »


Denis Drummond nous entraîne dans une histoire hors norme autant du point de vue de sa construction que de son sujet. Il est vrai que c’est parfois un peu redondant car les différentes parties reprennent des éléments déjà abordés dans la partie « récit » par exemple. À l’instar de La Vie silencieuse de la guerre, Le Dit du Vivant n’est pas un roman à lire sur les chapeaux de roue. Il faut prendre son temps, le déguster et accepter d’avoir ces répétitions sous différents prismes. Parfois par l’entremise du récit de Sarah parfois grâce aux articles de presses par exemple.


L’histoire en elle-même est passionnante, les coupures de presse permettent notamment de donner des éléments de compréhension au lecteur lambda, loin des données scientifiques et du tumulte autour de la théorie de l’évolution notamment. 


C’est captivant et tout à fait lisible grâce au soin apporté à l’écriture. 

Denis Drummond s’attaque à un sujet pointu et passionnant tout en arrivant à le rendre accessible. — C’est un élément fondamental à mon sens, un peu comme j’ai pu le retrouver dans un autre roman du Cherche midi, Contagion de Lawrence Wright ; l’apport scientifique, la multitude de faits est passionnante et j’ai trouvé que les deux auteurs parviennent très bien à nous délivrer des informations sans donner l’impression de donner la main au lecteur. 

Là encore je n’ai aucune base, je n’y connais rien du tout et malgré cela j’ai été embarquée du début à la fin dans cette histoire extraordinaire ! 


Les personnages sont attachants mais ce n’est pas ce qui compte le plus. La relation de Sandra et de son fils Tom est intéressante mais il m’a manqué quelque chose même si elle complète bien l’histoire. 

Ils sont bien construits et ont des préoccupations importantes c’est simplement que ce n’est pas ce qui m’intéressait de prime abord. 


Le Dit du Vivant est un roman passionnant et foisonnant. Il interroge les théories de l’évolution, les capacités humaines ; il pose des questions ontologiques et pertinentes : que ferions-nous si toutes nos croyances se trouvaient bouleversées ? si ce que nous croyions être une fait indiscutable se révélait en réalité aussi faux que l’idée selon laquelle la terre est plate ? 


Merci une fois encore à Benoit pour cette excellente découverte ainsi qu’à Denis Drummond ! 











Le ciel en sa fureur d'Adeline Fleury

Quand le varou m'emportera je m'endormirai dans le ciel de tes yeux. Sous les auspices de Jean de La Fontaine, Adeline Fleury nous ...