mercredi 10 novembre 2021

La Maison dans laquelle de Mariam Petrosyan

Quand est venu le moment de refermer une fois pour toute cette brique, je me suis sentie vidée et incapable d’avoir une pensée cohérente. 

Car la Maison exige une forme d’attachement mêlé d’inquiétude. Du mystère. Du respect et de la vénération. Elle accueille ou elle rejette, gratifie ou dépouille, inspire aussi bien des contes que des cauchemars, tue, fait vieillir, donne des ailes… C’est une divinité puissante et capricieuse, et s’il y a bien quelque chose qu’elle n’aime pas, c’est qu’on cherche à la simplifier avec des mots. 


Siphonnée par le roman, voilà ce que c’était. 

Un univers gigantesque, une histoire à couper le souffle. C’est tout ce qui me venait à l’esprit. 

À ce moment j’ai sobrement écrit : « Coup de coeur. 

Je n’ai pas les mots. Comment est-il possible d’écrire dessus ? » 

Quelques semaines ont passé et je ne me sens pas de ne pas en parler. J’ai été trop bouleversée pour laisser un blanc.





J’ai lu La Maison dans laquelle en gardant bien en mémoire la définition donnée par Tzvetan Todorov dans son Introduction à la littérature fantastique


« Celui qui perçoit l’événement doit opter pour l’une des deux solutions possibles : ou bien il s’agit d’une illusion des sens, d’un produit de l’imagination et les lois du monde restent alors ce qu’elles sont ; ou bien l’événement a véritablement eu lieu, il est partie intégrante de la réalité, mais alors cette réalité est régie par des lois inconnues de nous. Ou bien le diable est une illusion, un être imaginaire ; ou bien il existe réellement, tout comme les autres êtres vivants : avec cette réserve qu’on le rencontre rarement.

Le fantastique occupe le temps de cette incertitude ; dès qu’on choisit l’une ou l’autre réponse, on quitte le fantastique pour entrer dans un genre voisin, l’étrange ou le merveilleux. Le fantastique, c’est l’hésitation éprouvée par un être qui ne connaît que les lois naturelles, face à un événement en apparence surnaturel. »


Cette définition caractérise pleinement le roman, c’est-à-dire que dans mon esprit, La Maison dans laquelle est la parfaite illustration des propos de Todorov. Du moins je n’ai jamais aussi bien compris cette définition depuis que j’ai lu ce roman. 


La Maison dans laquelle représente la suprématie de l’entre-deux : l’impossibilité de trancher entre étrange et merveilleux, la tension du passage de l’enfance à l’adolescence, de l’adolescence à l’âge adulte. 


Il y a une forte dualité dans le roman, dualité qui là aussi correspond à un entre-deux. On joue sur deux époques (au moins), celle de Sauterelle et celle de Sphinx et tous les autres. 


La Maison dans laquelle est étrange, extrêmement étrange. Il nous entraîne dans un monde bizarre où les handicaps sont omniprésents et où toute l’intrigue se concentre sur une chose : l’adolescence. 


Un entre-deux indispensable, un moment de vie dont l’auteure a déclaré qu’il est « moins agréable que celui de l’enfance, mais beaucoup plus intense et plus riche en émotions et en sentiments que celui des adultes. Le monde des adultes est ennuyeux. Les adolescents ont hâte de grandir, parce qu’ils croient que l’indépendance va leur apporter la liberté. Alors qu’en réalité, ils vont se retrouver dans une espèce de prison à vie, faite d’obligations et d’interdictions dont ils ne pourront sortir que lorsqu’ils auront atteint la vieillesse – pour les plus chanceux. […] ». 


La Maison dans laquelle compte parmi les lectures les plus atypiques que j’ai pu lire jusqu’ici. Foisonnant, bouleversant et d’une réflexivité infinie ; le genre de roman qu’il faut lire plusieurs fois pour tenter d’en comprendre rien qu’une infime partie. 


Impossible d’attraper un sourire, de le presser contre ses paumes, de l’étudier, millimètre par millimètre, de l’imprimer dans sa mémoire… Ils sont éphémères, on ne peut que les deviner.


Merci Toussaint Louverture pour avoir édité une telle beauté. 

Merci Théo et Gwen pour ce fabuleux cadeau. 







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