dimanche 4 juin 2023

Nathalie Sorokine - la passion folle de Julie Duchatel

Elle a la tristesse crue et sans pathétique celle-là, songe Beauvoir.

Simone de Beauvoir compte parmi les écrivains qui ont imposé une marque durable sur mon parcours de lectrice, en particulier les Mémoires d'une jeune fille rangée

Mais je ne connaissais pas du tout Nathalie Sorokine ! et pour cause : je me suis arrêtée avant la lecture de Tout compte fait

Des relations de Simone de Beauvoir il y a évidemment Sartre, évidemment Nelson Algren, évidemment Olga (que l'on retrouve dans L'Invitée)... décidément je n'ai pas été assez loin dans l'oeuvre autobiographique de Beauvoir pour rencontrer l'étonnante, l'indomptable Nathalie Sorokine. 

La biographie débute sur le lycée, sur la rencontre entre Nathalie et sa nouvelle professeure de philosophie ainsi que sur les rivalités parmi les élèves. Les discussions autour de la philosophie sont autant de passages qui donnent une autre vision de la plus jeune agrégée de France à l'époque. J'ai eu le sentiment de découvrir une nouvelle facette de Beauvoir, quelque chose d'absent de son oeuvre autobiographique. 

J'ai eu l'impression de voir se fusionner la grande dame et la femme simple, l'être humain qui respire et prend le métro pour rentrer, qui fait la cuisine pour les autres. 

Malgré tout, je crois que j'ai préféré les passages sans Beauvoir, les pages où Sorokine rencontre Sartre ("On va la surnommer Sarbakhâne.. Elle a l'exotisme de l'arme et le charme du jouet.") ou Giacometti, celles où elle rencontre Bourla, brièvement mais intensément, celles où la jeune femme s'émancipe de ses parents...

Le sous-titre du livre (La passion folle, sans parler du bandeau : 30 ans d'amour avec Simone de Beauvoir) insiste sur la philosophe, faisant d'elle le personnage central au même titre que Nathalie Sorokine (effectivement c'est un bon argument de vente) mais la vie de Nathalie est déjà tellement riche ! Sa relation avec Beauvoir est centrale mais elle ne raconte pas la flamboyance, la sauvagerie presque qui habitait Nathalie. 

Que Simone de Beauvoir soit un pilier à l'origine de la fondation, aucun doute, mais Nathalie Sorokine n'est pas remarquable uniquement pour cette raison ; Nathalie est remarquable par sa force de penser, sa vivacité, son culot.

J'ai adoré suivre cet esprit libre, indépendant, et même quand elle perd un peu de son éclat, quand la vie devient dure et qu'elle s'y perd, quand elle part en Amérique et change du tout au tout, Nathalie reste passionnante.  

Le comportement de Simone de Beauvoir pose questions : après Olga et Bianca (Beauvoir a subi une suspension de sa carrière d'enseignante pour "incitation de mineure à la débauche") Nathalie est la nouvelle jeune protégée de la militante. On suit d'ailleurs le moment où Beauvoir et sa famille attendent le verdict de l'Académie pour trancher son cas. La question n'est pas frontalement abordée mais n'empêche : était-ce normal ? ces relations n'ont-elles pas porté préjudice à ces jeunes femmes ? 

Pour info : Olga, Bianca et Nathalie auraient toutes trois confié que leur relation avec Beauvoir et/ou Sartre aurait eu un impact psychologique sur elles (voir Philosophers Behaving Badly). Chose qu'il me semble utile de préciser puisque cette question des conséquences me semble évacuée un peu trop rapidement. 

Bref, ce n'est pas tout à fait le propos. 

La fin est déchirante, elle conclut une amitié durable malgré l'éloignement et les aléas de la vie. Sorokine demeure dans le coeur de ceux qui ont eu le plaisir de la rencontrer. Sorokine demeure aujourd'hui grâce à Julie Duchatel et à sa biographie qui donne à voir une femme battante et libre, une femme qui, peut-être, s'est perdue à cause de la guerre, mais qui n'en demeure pas moins une femme d'exception.

Selon elle, cette famille de coeur, bien que parfois orageuse, vaut mieux que sa famille de sang qui s'est rompue comme une hémorragie.

Une belle biographie sur une femme qui gagnerait à être connue ! Le style de Julie Duchatel est à la hauteur de son propos, les pages se tournent sans que l'on s'en rende compte. 

Pour celles et ceux qui aiment Beauvoir et sa clique, ou pour une plongée dans la France de la fin des années 30 et des années 40. 

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