mercredi 21 septembre 2022

Euphorie d'Elin Cullhed

 La vie est si à vif, ai-je pensé, si crue, si écorchée. Si… rétrécie. Personne n’écoute mon bonheur, personne ne veut de mes intentions grandioses par rapport à la vie. Personne ne veut me suivre dans mes projets. 

J’appelais en criant, mais personne pour m’entendre, dans toute cette folie.


Sylvia est mère d’une fille, Frieda, un autre enfant, Nicholas, est en route. Mariée à Ted Hughes, un poète anglais rencontré sur les bancs d’une université à Cambridge ils ont vécu une parfaite petite vie à Londres avant de partir pour la campagne anglaise. Ted qui travaille à la BBC s’y rend de temps à autre. 

Bien vite le charme disparaît, l’homme se détourne, la femme se cogne à son désir inassouvi. 

L’espace d’un instant, pendant que nos yeux d’un brun différent reposaient dans le regard de l’autre, il a vu à quel point l’édifice était fragile. Sa tiédeur et mon feu brûlant, comment pourrions-nous jamais les concilier ?


Avec EuphorieElin Cullhed créer une espèce de suffocation, elle nous abreuve de remarques, de réactions, d’actes excessifs et de plaintes désespérées. 

Je me suis inquiétée de ce qu’il pensait, lui, de mon choix de coloris, que tout ce rouge était un appel à l’aide, comme si je nous avais crée une caverne de sang, l’intérieur d’un coeur ; comme si j’avais désespérément besoin de nous fourrer dans quelque chose qui pulsait un sang chaud, faute de quoi je passerais l’hiver à me perdre en panique et en crises d’angoisse.


Emprisonnée dans un bocal Sylvia tourne en rond. La litanie de l’écriture elle-même tourbillonne, elle ne se fixe que dans des moments bien trop aléatoires, ponctuels, indépendants d’elle. 


Il n’y avait qu’une réponse, il n’y avait qu’une seule réponse à tout : des mots, des mots avec lesquels écrire, des mots avec lesquels reboucher le silence, des mots à sculpter dans le silence, des mots pour tout faire brûler en flammes pleines de remords.


Ted était un homme ; il pouvait disparaître dans la petite pièce sous les combles et écrire comme bon lui semblait. Moi, j’étais propriété publique, j’étais matériau. J’étais femme.


Sylvia est écrivain mais comment l’être quand on n’a pas une minute à soi ? quand on voit son mari monter au grenier écrire pendant qu’on en est réduit à s’occuper des enfants, seule ? Comment trouver un moment entre une couche et un cri, entre un corps dodu posé sur son épaule et une main d’enfant tirant sa robe ? Quand sa mère qui rend dingue vient passer l’été et qu’il faut endurer des connaissances qu’on a invités ? 


Et encore, s’il n’y avait que ça… 


Elin Culhed imagine à quoi ont pu ressembler les dernières années de celle que l’on considère comme l’une des plus grandes poétesses américaines. Elle aborde des thématiques fortes, entre autres : la création, l’émancipation, le désir, l’exil, la maternité, l’adultère. 

Elle mentionne en filigrane la dépression que Sylvia Plath a connue, la peur de la publication, la certitude face à l’écriture, seul rempart contre le tourment et la tristesse d’un présent qui écrase, la femme trompée, abandonnée, lessivée ; au bord de l’implosion. 

Je voulais revenir en arrière, si j’avais pu, je serais revenue sur tout ce que j’étais, mes paroles, mes actes, la façon dont j’apparaissais aux yeux du monde.

J’avais de grandes attentes envers ce roman, les éditions de l’Observatoire m’ont habitué à du très haut niveau (surtout en terme de romans étrangers) et un roman qui se targue de raconter les dernières années de Sylvia Plath, je dis oui (!!) et je n’ai pas été déçue. 

Les obsessions sont là tout au long du texte, de même que la montée en puissance qui nous rappelle que le gouffre de la destruction n’est qu’à un pas. 

L’inexorable est là mais nous ne le voyons pas encore. 

Était-ce encore une de mes méthodes ? Était-ce le moment, une fois de plus ? De me rendre vulnérable pour ensuite être rejetée pour ensuite ouvrir en moi cette béance affamée, celle qui se nourrissait du rejet ?


Traduit par Anna Gibson. 

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