mercredi 27 novembre 2019

Le Coin des libraires - #144 L'Âge de la lumière de Whitney Scharer

Reçu un peu avant la rentrée littéraire, laissé de côté, entamé, puis de nouveau laissé de côté. C’était difficile de repousser cette histoire. 
D’ailleurs, avant d’entrer dans le vif du sujet, j’aimerais souligner l’excellent travail de la traductrice, Sophie Bastide-Foltz, car si j’ai trouvé ce livre aussi bien écrit, aussi entraînant, c’est grâce à l’auteure bien sûr, mais c’est tout autant grâce au fabuleux travail de traduction — les traducteurs ne sont pas reconnus à leur juste valeur, et pourtant, ils contribuent grandement à la découverte des pépites en langues étrangères ! 




L’âge de la lumière est un récit enchâssé. Le premier chapitre nous propulse dans les années 1960 en Angleterre. Lee Miller vivant désormais à la campagne avec son mari Roland propose de rédiger un article un peu spécial : un portrait de Man Ray et surtout, de sa relation avec lui. Un moyen de donner sa version des faits concernant leur idylle destructrice survenue presque 40 ans plus tôt. 

Arrivée à Paris, 1929
Lee Miller, jeune mannequin américaine rêve du beau Paris, de s’y établir et de profiter de ce que la ville lumière a à offrir. 
Désoeuvrée, dégoûtée du mannequinat qu’elle considère presque avec dédain Lee choisit de se réinventer à l’aide de l’appareil photo qu’elle trimballe partout. Un cadeau de son père, lui-même photographe.

De fil en aiguille la rencontre avec Man Ray est inévitable. D’inconnue elle deviendra assistance, d’assistance à maîtresse, de maîtresse à égale. 

Mélange de découvertes photographiques (la solarisation) et de scènes amoureuses, L’Âge de la lumière fait le jour sur Lee Miller, femme aux multiples vies. 
On côtoie les surréalistes, les beaux noms des années 20 dont la fameuse Kiki de Montmartre. On découvre un monde élitiste où jamais Lee n’est considérée pour ce qu’elle est réellement : une photographe à part entière. 


Solarisation. C’est le nom qu’ils lui donnent. Ça dit bien ce qu’elle éprouve, une sensation d’éblouissement, comme si, ayant libéré son corps de ses entraves, tous deux l’avaient rapproché du soleil. 


D’amour blessé aux désillusions il n’y a qu’un pas, et le Man Ray jaloux et possessif s’avère être fragile autant qu’insupportable. 

Whitney Scharer, par le biais d’une plume minutieuse et délicate nous immerge dans le Paris des années folles au travers des visions de la ravissante Lee, encore trop souvent laissée dans l’ombre au profit du grand Man. 
Whitney Scharer brosse un portrait tout en ombres et lumières où la condition humaine revient au galop car malgré les amours, malgré les attaches, la vie composée de noir et de blanc, ne fait pas de cadeaux. 

Whitney Scharer a écrit un roman foisonnant, passionnant où se rencontrent la Lee des années folles à Paris, la Lee reconvertie en reporter de guerre, chargée de photographier les camps et la libération, la Lee vieillissante, meurtrie par la vie, qui préfère se cacher dans le Sussex aux côtés d’un homme dont on est même pas certain qu’elle l’aime. 

Le seul petit élément qui m’a un peu déçu, c’est le fait qu’on ne parle pas de sa transformation : à quelle moment Lee est passée de photographes du temps présent, du bon endroit au bon moment à photographe de guerre ? 
Qu’a-t-elle fait durant les années qui ont suivi sa séparation avec Man Ray ? 
Mais cette dose de mystère contribue aussi à la beauté de l’ouvrage. 


Ce qu’elle cherche avant tout, c’est cet instant où l’évidence s’impose, où la décision doit être prise. Elle veut créer des moments et les saisir sur la pellicule. Saisir l’expérience en train de se vivre, la sensation d’être vivant. 


Rien que d’y penser, je me sens toute chose. Je repense au voyage de Lee et Man, à leurs corps amoureux couchés sur le sable. Je repense à la soirée des objets avec les surréalistes. Je repense à la trahison de Lee, puis à celle, plus grande encore de Man. 
Lee. Man. Ou la représentation des passions humaines. Ou la difficulté d’aimer à la suite d’un passé trop lourd. La promesse d’une éternité face à l’impossibilité du futur. 

L’Âge de la lumière c’est tout ça à la fois. C’est un roman qui marque, un roman qui retourne le coeur et laisse un sentiment d’abattement. 
Une fois la dernière page tournée, impossible de ne pas se demander ce qu’ils se sont dit, impossible d’oublier cette beauté. 









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