mercredi 15 septembre 2021

Le Voyant d'Étampes d'Abel Quentin

Je m’étais trompé et j’avais raison. Mon Robert Willow existait ; je ne l’avais pas inventé. Je l’avais compris intimement, et des types qui avaient appris son existence en ouvrant mon bouquin prétendaient me faire la leçon.

Après avoir rencontré Dounia et Chafia dans Soeur, son premier roman, Abel Quentin revient avec un roman qui interroge plus encore notre société : Le Voyant d'Étampes.


Jean Roscoff est parfaitement dépassé. 

Divorcé, père d’une jeune femme et ancien universitaire désabusé, Jean Roscoff a besoin de créer quelque chose qui restera, quelque chose qui sera une forme d’héritage et qui dissipera la honte ressentie lors de la sortie de son premier livre dans lequel il s’est imposé en tant que défenseur du couple Rosenberg, communistes arrêtés pour espionnage et exécutés en 1953. 


Roscoff pense dur comme fer qu’il s’agit là d’une imposture, que l’on s’est trompé et que les Rosenberg n’étaient pas ce que l’on pensait qu’ils étaient.


Manque de bol : trois jours après la sortie de son livre, les archives sont déclassifiées et qu’apprend-t-on ? Les Rosenberg étaient bien des espions au profit de l’URSS. Sacré coup dur pour cet homme, spécialiste de la question communiste. 


En regardant en arrière, Jean Roscoff se remémore un poète qui a fait battre son coeur. Un poète américain ayant (selon Roscoff) fuit le maccartisme, un homme peu connu et dont le pari du protagoniste est justement de le faire sortir de l’oubli.

Ce poète s’appelle Robert Willow et au moment où il prend la plume pour écrire sa biographie, Roscoff est à des années lumières d’imaginer comment il sera reçu. 


Jean Roscoff, superbe anti-héros refuse de se remettre en question, refuse de voir ce que tous les autres ont remarqué : son racisme.

Mais comment pourrait-il être raciste, lui qui dans sa jeunesse a été membre de SOS Racisme, lui qui s’est fatigué à fouler des kilomètres de bitume pour manifester ? 

Entre mauvaise foi, aveuglement et incompréhension, Roscoff se demande bien comment un tel acharnement est possible. Il y a oublié de mentionner la couleur du poète, et alors ? En quoi cela a-t-il un impact sur la plume de Willow ? Sur son communisme ? Sur sa disparition ? 


Le Voyant d’Étampes nous plonge dans une immensité sans fond, un gouffre où le protagoniste ne cesse de dégringoler malgré les efforts pour en sortir. 

En interrogeant sur l’importance (même la nécessité) de la nuance, Abel Quentin décrit un monde malheureusement existant. Un monde où la pensée à contre courant est assassinée, tuée dans l’oeuf avant même d’éclore.  


Les dernières pages du roman sont parfaites, elles renvoient dos à dos les idées de chacun, car, quand l’un a tort, l’autre a-t-il forcément raison ? 


Pétri de cynisme, Le Voyant d’Étampes est une juste observation du monde d’aujourd’hui. Un roman actuel et sacrément bien mené. 

Un des meilleurs romans de cette année ! 


Selon Frederic Beigbeder, l’auteur fait partie de ces écrivains qui « décrivent la déliquescence française avec un sarcasme vengeur », il est évidemment impossible de dire mieux ! 


Et je ne peux décidément pas conclure cette chronique sans parler des diverses références égrenées tout au long du livre. Ainsi, Les Visiteurs côtoie la Bible : « Emmaillotée dans quatre ou cinq couches de vêtements, elle ressemblait à la Dame Ginette des Visiteurs ; elle se présenta comme une poétesse et précisa crânement qu’elle avait connu bibliquement T.S. Eliot. » et ça, ça n’a pas de prix ! 



 



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