samedi 11 mars 2017

Le Coin des libraires - #46 Si c'est un homme de Primo Levi + Les naufragés et les rescapés

Je trouve ça toujours très délicat de discourir au sujet d'une oeuvre telle que Si c'est un homme. Le propos en lui-même est très dur humainement parlant et en qualité de témoin de l'histoire, ce livre n'est pas le genre de livre que l'on peut critiquer comme si on parlait d'un roman. 

Savoir que cette atroce vie décrite dans les témoignages du génocide de la Seconde Guerre mondiale (ou de tout autre génocide d'ailleurs) a réellement existé donne une tournure toute autre quant à l'appréciation du livre. Que l'on aime ou non le style de l'auteur, ça ne compte pas, pas une seule seconde, parce que le but, ce n'est pas de faire un exercice de style, c'est bel et bien de décrire une odieuse réalité, de la décrire avec des mots "communs", des mots que, dans notre confort, nous utilisons sans en sentir pleinement la signification. 


Il me paraît bête de revenir moi-même sur l'histoire, pour ceux qui l'ont lu, ils n'ont sans doute pas besoin d'une piqûre de rappel, pour les autres, Si c'est un homme est une oeuvre incontournable, une oeuvre qui doit être lue rien que pour sa propre conscience je pense. 

Je ne sais même plus depuis quand je voulais ce livre, je ne m'en souviens pas, mais en tout cas il figurait toujours sur ma liste de livres à acheter réalisée il y a plus de quatre ans ! Voilà que j'attends jusqu'au moment où il n'est plus question de vouloir le lire, mais de devoir le lire (pour un cours). Contrairement à ces oeuvres que l'on étudie et dont l'on sait qu'elles seront d'un ennui mortel, j'étais persuadé que ce ne serait pas le cas avec celle-ci. Simplement parce que c'est un témoignage des camps, parce que ça traite d'un sujet que j'adore lire, étudier, approfondir. 
Surtout, sans même y faire attention, je me suis retrouvée avec deux lectures qui traitent du même sujet, autant dire que durant cette semaine-là, j'ai été servi ! 


Sans parler du calvaire, de l'enfer qu'a vécu l'auteur - ainsi que tous les déportés - Si c'est un homme renferme tout un questionnement sur l'Homme et sur ses capacités à vivre. On trouve aussi un certain aspect "expérimental" par le biais d'interrogations sur les conditions de l'homme seul, mis à l'écart et qui doit donc compter sur lui-même et personne d'autre. 
Raconter quelque chose d'aussi ignoble, c'est tenter de mettre des mots sur ce que l'on ne peut pas décrire, c'est tenter de comprendre et de l'illustrer pour le faire partager. Le pathos est inexistant dans Si c'est un homme, simplement parce que ce n'est pas un livre destiné à émouvoir, c'est un livre destiné à expliquer, à montrer que l'horreur est possible et qu'il ne faut pas que l'humanité l'oublie. 

Si c'est un homme, Primo Levi, édition Pocket.

C'est vrai que j'ai longtemps repoussé cette lecture parce que j'avais peur que ce soit trop "clinique", détaché et ça l'est dans un certain sens. Mais dans un autre, c'est tellement évident, normal presque. Comment peut-on tenter d'écrire quelque chose comme ça, en en ressentant toute la douleur et en restant passif ? C'est ici que Primo Levi a parfaitement joué son coup. Il n'est pas un écrivain, il est un "écrivain-témoin" comme il s'appelle lui-même, son but, c'est de venir témoigner, de dire ce qu'il a vu et entendu, pas de créer une espèce de fil narratif ou quoi que ce soit. Il n'en rajoute pas parce qu'il n'y a pas besoin, mais aussi parce qu'il ne sait pas, tout simplement. 

Il ne mentionne pas les chambres à gaz, mais c'est normal puisqu'il n'y en avait pas sur son lager (mot allemand pour désigner le camp et que Levi utilise), pourquoi en aurait-il donc parlé ? Ici, il n'y a pas de fiction ou de "souvenirs arrangeants" qui se mêlent à la réalité, non, il n'y a que la réalité. 
Cette réalité s'impose à nous d'autant plus qu'elle repose sur certaines choses qui peuvent nous paraître "futiles" comme le fait de se procurer une cuillère, ou même du fil de fer rien que pour pouvoir nouer des chaussures. L'auteur nous montre à quel point toute une multitude de petites choses peuvent mener à la survie et ainsi éviter la mort.

Les descriptions sont très minutieuses parce que c'est ce qui compte le plus : exemplifier puis s'interroger. La haine et la vengeance sont absentes du récit parce que la volonté de l'auteur est simplement de dire, de raconter pour que ça ne se produise plus jamais.


Je suis toujours subjuguée face à la force de ces personnes qui ont le courage et la volonté de parler de leur expérience, de revenir sur des souffrances inimaginables, pour raconter et peut-être se libérer un peu d'un poids en le faisant et en permettant aux autres d'essayer de comprendre.
Je suis hébétée à chaque fois devant tant d'horreurs, pourtant je sais, je sais ce qu'il s'est passé, depuis longtemps maintenant, et pourtant dès que j'en lis, je suis choquée (je ne suis pas certaine que ce soit le terme approprié) comme si c'était la première fois. C'est souvent ce qu'il se passe quand on se heurte à quelque chose qu'on ne comprend pas et dont on a conscience qu'on ne le comprendra jamais, je crois.

Quoi qu'il en soit, je n'oublierai jamais ce livre, il m'a marqué comme tant d'autres, mais pas pour la même raison. Pour moi, il compte tout autant qu'Au nom de tous les miens de Martin Gray (aussi sur la WWII) même si ce dernier possède une large part fictionnelle (de ce que j'ai entendu) que n'a pas Si c'est un homme.



"Les souvenirs de notre vie d’autrefois nous revenaient encore, mais vaporeux et lointains, et par là même pénétrés de douceur et de tristesse, comme le sont les souvenirs de la petite enfance et de toute chose révolue. En revanche, l’entrée au camp marquait pour chacun de nous la première étape d’une tout autre série de souvenirs, cruels et proches ceux-là, et sans cesse ravivés par l’expérience présente, comme le seraient des blessures chaque jour rouvertes."

Primo Levi, Si c'est un homme.



  • Les naufragés et les rescapés


Voilà quarante ans que Primo Levi est revenu du lager, qu'il a repris une vie ayant un semblant de normalité. Celui-ci nous livre un roman rempli d'interrogations, de réflexions personnelles, de rétrospection aussi. On retrouve donc tout un tas de questionnement au sujet des bourreaux - j'ai particulièrement aimé le chapitre où l'auteur explique qu'il a reçu un bon nombre de lettres d'Allemands après la publication de Si c'est un homme en Allemagne. Cette "exploration" et ces tentatives d'explications ne sont pas réellement satisfaisantes, même si l'on comprend qu'il faut s'en contenter, car il n'y en aura pas d'autres.
J'ai aimé aussi le chapitre au sujet des Sonderkommandos, ces commandos chargés de sortir les morts des douches, de les mettre dans les crématoires, etc. Ce chapitre fait énormément réfléchir sur la culpabilité de ces hommes. D'un côté, ils acceptaient de "participer" au massacre, d'un autre, c'était ça ou la mort, mais il faut savoir que dans tous les cas, la mort leur était destinée puisque chaque membre de ces commandos étaient remplacés tous les quatre mois environ.
Il y a aussi tout une réflexion sur l'oubli, sur les souvenirs qui ne sont peut-être pas toujours très fiables surtout après un certain nombre d'années.

Une fois encore, Primo Levi s'interroge sur l'humanité en tant que tel, sur la cruauté sans nom présente dans les camps. Néanmoins,  à la fin de cette lecture, une question subsiste : lui qui voyait le lager comme une expérience "pédagogique", lui qui a survécu quarante ans après sa libération, pourquoi décider de mourir maintenant ?

Contrairement à d'autres récits de témoignage (pas forcément sur la WWII) qui sont désespérés et dégoutés de la vie, Primo Levi choisi le parti de l'optimisme - si je puis dire - pour finalement s'ôter la vie, non, vraiment, l'incompréhension demeure.


Les naufragés et les rescapés, Primo Levi, édition Arcades Gallimard.


C'est avec une immense modestie que j'ai lu ces deux oeuvres de Primo Levi. Il y a de ces auteurs comme ça où seule l'histoire compte, les livres de cet auteur en font partie. Il n'est pas question de style ou autre, non il est question de rapporter un témoignage qui soit réel, un témoignage qui permet aux générations futures comme la mienne ou la suivante de connaitre, de savoir ce qu'a été la Seconde Guerre mondiale autre part que dans les bouquins d'histoire.







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