mercredi 20 octobre 2021

État d'ivresse de Denis Michelis

J’ai l’impression de ne plus rien connaître, de ne plus rien savoir. D’être une comédienne privée de ses répliques. Je suis prête à rester muette, à me contenter d’un geste, d’un déplacement. Mais les jours passent, les semaines, puis les années, et j’erre toujours sur ce grand plateau démesuré, seule. J’aimerais partir, mais on me dit que c’est interdit, dans ce cas donnez-moi un rôle, mais ce rôle-là, paraît-il, n’existe pas.

Après nous avoir régalé avec Le bon fils, Denis Michelis est revenu avec État d’ivresse publié en janvier 2019. Le bon fils m’a beaucoup plu, les personnages, l’action et surtout le style. J’ai retrouvé cette même aération et ce même ton mordant, oscillant entre cynisme et humour noir. 

Une femme, mère de famille sans nom, vit avec son fils adolescent dans une banlieue comme il en existe des tas. 

En face de chez elle, sa voisine, ancienne amie devenue ennemie. Bah oui faut dire que la jalousie entre voisins c’est pas le meilleur moyen pour conserver des liens. 

En même temps cette voisine fourre son nez partout. Et elle veut lui piquer son fils, son mari, elle qui est incapable d’avoir des gosses à elle. 


Notre héroïne elle fait rien pour mériter ça pourtant. 

Elle vit tranquille, recluse dans sa baraque, à crever de solitude et à attendre que le temps passe, une bouteille de pinard en main. 


Que faire d’autre quand son mari court les routes, que son ado est un vrai ingrat insupportable, que son taff se résume à écrire des inepties pour psychologie magazine (elle qui donne des conseils alors qu’elle patauge) ? Surtout, surtout, madame ne peut pas partir parce que madame n’a plus son permis. 


Ouais c’est souvent ce qui arrive quand on se noie dans l’alcool et qu’on prend le volant pour aller faire des provisions de tease. 


Mais la situation n’est plus vivable, le fils s’inquiète pour sa mère qui refuse de voir la réalité en face. Cette même réalité qui, sans doute, l’a poussée dans ses retranchements, l’a poussée à boire plus que de raison. 

Quelle idée aussi de s’enfermer dans une baraque pavillonnaire, de mener une vie bien réglée.

On dit que l’espoir fait vivre, alors que c’est tout le contraire. L’espoir nous épuise, il nous ronge de l’intérieur, à cause de lui sans cesse nous scrutons l’obscurité à la recherche de lumière, nous tendons les mains, nous crions à l’aide.

Le gros point fort de ce roman c’est là aussi la maîtrise stylistique de l’auteur. Découpé en courts paragraphes eux-mêmes découpés en courts chapitres, Denis Michelis donne à voir une héroïne schizophrénique, un personnage saoul qui parle tout seul. 

Cette femme est une représentation plus que fidèle des dégâts que l’alcool peut engendrer, notamment dans les relations. 

Elle refuse d’admettre ses erreurs, refuse d’admettre qu’elle est coupable. La mauvaise foi est là, partout, dans toutes les fibres de cet être suintant l’alcool. 

Le mensonge est alors le porte-étendard de son addiction. 

Non elle n’a pas menti à la voisine en prétextant que son fils avait eu un grave accident et qu’il lui fallait aller le récupérer. Non elle n’a pas menti en inventant cette histoire pour en réalité aller à Lidi acheter quelques bouteilles histoire de survivre aux jours à venir. 


Non elle n’a pas de problème avec l’alcool. Non elle n’est pas fautive. Ce sont les autres qui le sont, son fils, ingrat et incapable d’éprouver une once d’amour pour elle, c’est à cause de lui tout ça. Forcée de rester enfermée toute la sainte journée avec ce gosse insupportable, qui ne deviendrait pas alcoolo, qui ? 


C’est fin, c’est cynique, c’est fort. 

C’est aussi particulièrement touchant car s’il est vrai qu’on rit plus d’une fois des situations, il n’empêche qu’il s’agit d’un humour grinçant, un rire jaune. 

En réalité les situations n’ont rien de drôle. Les mésaventures de cette femme à Lidi sont tordantes mais si je croisais une telle femme dans un supermarché, aucun doute, je ne rirai pas. 


C’est donc ça la force de Denis Michelis : choisir un thème dur et le transformer en une histoire à double facette. D’un côté il y a la réalité, la représentation de cette femme empêtrée dans l’alcool et qui a cruellement besoin d’aide, et de l’autre il y a le traitement apporté au thème, la noirceur cohabitant avec l’humour et ce au sien même du monologue intérieur. 


Finalement État d’ivresse c’est aussi pointer du doigt une réalité sociale : l’environnement dans lequel évolue cette femme est précisément ce qui l’a rendu comme ça. Les réflexions autour des dérives que provoquent l’alcool sont à double tranchants car l’alcoolisme c’est une addiction, une maladie et comme bien d’autres, elle entraîne le rejet et l’exclusion comme en témoigne l’animosité entre les deux voisines. 


Au compte goutte l’héroïne se retrouve sur le banc de touche. Laissée de côté, oubliée dans sa banlieue elle ne peut faire autre chose que se laisser enivrer pour oublier. Oublier que sa vie n’est pas telle qu’elle l’aurait voulue, oublier qu’elle est seule et incapable d’aider qui que ce soit. 


J’ai retrouvé l’aspect théâtral déjà présent dans Le bon fils, les monologues intérieurs comme un lancé de balles, madame joue des deux côtés du terrain. 


Tu sembles essoufflée. C’est parce que je cours après mon existence, ai-je envie de répondre.   


Un roman excellent confirmant l’idée selon laquelle Denis Michelis est un auteur à suivre ! 


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