mardi 21 février 2017

Le Coin des libraires - #44 Charlotte de David Foenkinos

J'ai reçu Charlotte de David Foenkinos à Noël. Je le voulais depuis sa sortie, lorsqu'il a fait grand bruit après avoir été couronné par le Goncourt des lycéens et le prix Renaudot si je ne dis pas de bêtises. 

Comme souvent, je préfère lire un livre quand la tension médiatique baisse, donc j'ai attendu et beaucoup repoussé. J'ai vu en fin d'année dernière que Folio sortait une nouvelle édition, illustrée des oeuvres de Charlotte Salomon et en format "semi-poche". Ensuite, j'ai dû tellement en parler qu'on me l'a offert ! 

L'avoir en ma possession m'a rappelé à quel point je souhaitais le lire, à quel point il m'intriguait. 
En ce moment, je n'ai le temps de rien, pourtant, je ne sais comment, j'arrive à trouver le temps pour lire, alors je lis. 


Le roman de David Foenkinos retrace la vie de Charlotte Salomon, artiste peintre morte à vingt-six ans alors qu'elle était @enceinte. Après une enfance à Berlin, Charlotte est exclue par les nazis de toutes les sphères de la société allemande. Elle vit une passion amoureuse fondatrice, avant de devoir tout quitter pour se réfugier en France. Elle y entreprend la composition d'une œuvre picturale autobiographique d'une modernité fascinante. Se sachant en danger, elle confie ses dessins à son médecin en lui disant : «C'est toute ma vie.» 



Dès la première page, les choses décollent, on découvre une famille, deux soeurs extrêmement liées et le suicide de l'une d'elle, prénommée Charlotte. Cette Charlotte, c'est la tante de celle qui nous intéresse, et qui s'est suicidée à l'aube de la vingtaine. 
C'est dans cette atmosphère assez glauque et saturée par le chagrin que nous entrons dans la vie de Charlotte Salomon. Pourtant, bien que l'histoire soit absolument horrible pour notre héroïne, on trouve une pointe de tendresse dans la plume de l'auteur, une fascination omniprésente qui fait vivre Charlotte même quand celle-ci semble éteinte. 

Lire Charlotte en même temps que Si c'est un homme de Primo Levi (dont je vous parle bientôt) a été une expérience très intéressante. Les deux livres traitent du même sujet : la Seconde Guerre mondiale, mais les vies sont si différentes qu'elles ne sont comparables en rien. Ici, on ne parle pas seulement de la guerre, on parle de la vie d'une femme, de son début jusqu'à sa fin, jusqu'à sa postérité. La vie de Charlotte en débute en 1917, la guerre est présente en Allemagne, mais elle est inhibée, on ne parle essentiellement que de la mère de Charlotte et de son père. 

Charlotte va naître, elle va grandir et devoir vivre avec la perte de sa mère, un suicide là encore. Le récit va s'étaler jusqu'à la mort de l'artiste en 1943, soit à l'âge de vingt-six ans. Notre protagoniste découvre alors la vie, l'adolescence, la vie de jeune femme, la montée du nazisme et avec elle la haine envers les juifs. Mais Charlotte est allemande, elle n'est pas juive. Pourtant si, elle l'est et elle va devoir se battre pour vivre. 

Mais avant ça, elle fait la connaissance de l'amour de sa vie : Alfred, professeur de musique de sa belle-mère, Paula. Son amour pour lui est parfait, étouffant, déchirant aussi. Elle voudrait tout lui donner, mais il n'accepte rien. 
Un soir, le père de Charlotte se fait arrêter à leur domicile et sera envoyé en camp, après quelques mois, il sort finalement, complètement changé. 


Charlotte de David Foenkinos, Folio illustré.

Finalement, il est décidé que Charlotte doit partir, que ce n'est pas sûr pour elle en Allemagne, elle s'en va donc rejoindre ses grands-parents exilés en France. 
Sans compter les nombreux retours au présent lorsque l'auteur parle de ses recherches sur les traces de Charlotte, j'ai eu l'impression que le livre est coupée en deux parties : la première est celle où Charlotte est entourée par sa famille, celle où elle vit dans sa patrie, ressent une passion démesurée pour un homme. La deuxième représente l'exil, l'arrivée en inconnue dans un lieu qu'elle ne connait pas, où elle retrouve une partie de sa famille qui semble très loin d'elle. Dans cette partie, Charlotte est seule avec elle-même. 

Pourtant, plus que la vie de Charlotte, c'est son oeuvre qui est au centre de tout. Sa vie, c'est sa peinture, son art c'est un mélange des arts qu'elle a mixé pour en faire son chef-d'oeuvre : Vie ? ou Théâtre ? qui est très souvent évoqué car c'est ce que la peintre a laissé, toute sa vie est ici

Une fois la dernière ligne lu, le dernier point passé sous mes yeux, j'ai eu envie d'en savoir plus encore simplement parce que je ne comprends pas comment une femme comme elle a a pu demeurer quasi inconnue durant plusieurs décennies comme c'est dit dans l'épilogue. 
J'ai également été écoeurée, dégoutée de voir que sa mort était le fait d'une personne, de ce qu'on appelle une balance, un être humain qui a simplement passé à coup de fil pour que la jeune Charlotte alors enceinte de quatre mois se fasse arrêter, se fasse tuer. 

La vérité éclate au grand jour et avec elle nous avons ce rappel de la collaboration française qui a joué un rôle majeur dans la traque des juifs en France. Et dire qu'ils pensaient être en sécurité ici... 

Illustration 4235 (p. 36) de Charlotte Salomon

Illustration 4366 (p. 84) de Charlotte Salomon.

Charlotte étant ma première lecture de l'oeuvre de David Foenkinos, je peux dire que j'ai eu de la chance de débuter par celui-ci, parce qu'il me donne envie d'en lire d'autres. 
Je ne sais pas vraiment si je le considère comme un coup de coeur ou alors une excellente lecture, je sais uniquement que tout ce qui compte dans ce roman, c'est l'histoire. Digne d'un roman, on partage les émotions de Charlotte, on se retrouve propulsé dans les années 40 en Allemagne d'abord, puis en France. Cette impression de réalité est également renforcée par les illustrations bien évidemment. Pouvoir avoir un aperçu du travail de Charlotte Salomon et surtout pouvoir lier les peintures avec la biographie écrite par Foenkinos, c'est tout simplement génial. 

Je sais que je n'ai pas parlé du style de l'auteur ni même de la forme choisi par celui-ci. Pour ce qui est de la mise en page, je n'ai pas été particulièrement touché, je n'ai pas eu l'impression que ce choix de poème en prose renforçait le propos, car celui-ci est à la base très fort. La poésie si elle est présente se trouve dans la vie de Charlotte, dans l'objet décrit et non pas dans la mise en page ou l'écriture. Après, dire que la plume de David Foenkinos est mauvaise serait un mensonge, elle est agréable et douce, mais ce n'est pas ce qui m'a fait aimer le livre, non, ça, je le dois à Charlotte Salomon et à sa vie semblable à une tragédie. 


"Merci pour tes dessins.
Ils sont naïfs, approximatifs, inaboutis.
Mais je les aime pour la puissance de leur promesse.
Je les aime car j’ai entendu ta voix en les regardant.
J’ai ressenti une forme de perte et une incertitude aussi.
Peut-être même l’esquisse d’une folie.
Une folie douce et docile, sage et polie, mais réelle."
David Foenkinos, Charlotte.







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