lundi 10 juillet 2017

Le Coin des libraires - #58 Le Jardin de Winter de Valérie Fritsch

Ce livre est une pépite, vraiment il me le fallait rien que pour la beauté de la couverture - c'est pour cette raison que je l'ai acheté... -, mais en plus l'histoire qu'il renferme est touchante, poétique, symbolique, j'ai pris un très grand plaisir à découvrir Le Jardin de Winter, le premier roman de Valérie Fritsch, auteure autrichienne. 


Il est vrai que c'est un livre assez étrange dans son genre, il se situe entre le récit apocalyptique et le romantisme. Il nous emmène rapidement dans son univers où on y rencontre Anton Winter, le protagoniste qui va surtout nous parler du jardin de son enfance, tout en décrivant son présent : la fin du monde, en tout cas de l'humanité. 



Anton Winter a grandi en pleine nature, dans un jardin luxuriant et des bois touffus, un cocon de verdure gouverné par sa grand-mère, à distance du monde. Adulte, il s’occupe de ses oiseaux au dernier étage du plus grand immeuble de la ville, tandis qu’en contrebas, l’humanité vit ses dernières heures avant une apocalypse programmée.

Hanté par le souvenir du jardin merveilleux de son enfance, il refuse de se résoudre au pire et tente d’imaginer avec Frederike, qu’il vient de rencontrer, le jour d’après.


On apprend assez vite que c'est la fin du monde, l'apocalypse est là, l'humanité va être décimée, mais on ne sait pas pourquoi, ce qu'il s'est passé ou autre, les raisons sont floues, on doit juste accepter ce constat : c'est la fin. 
Comme souvent quand l'on se sait au bord de la mort, l'homme se remémore sa vie passée, son monde disparu. C'est le cas d'Anton, qui vit dans la ville, mais qui est resté en partie chez lui, dans ce jardin où il a passé son enfance, entouré de sa famille, ses grands-parents, ses parents, son frère. 

Il nous parle ensuite de son départ - on suppose que les raisons de ce dit départ sont liées à la grand-mère - il décrit ensuite une vie solitaire, au sommet du plus grand immeuble de la ville. C'est dans cette tour d'ivoire qu'Anton s'est réfugié, qu'il vit parmi les oiseaux. On sent une certaine distance lorsqu'il décrit le jardin de son enfance, distance mêlée à de la nostalgie. 

Forcément, on comprend dès le début que le jardin a une importance primordiale pour Anton et donc aussi pour nous. Évidemment il y a toutes sortes de symboliques dans cette vision du jardin, celle du Paradis, d'un paradis qui a disparu lorsqu'Anton a grandi, qu'il a été confronté à la solitude, à la mort et qu'il a dû partir parce que ce paradis était désormais entaché par la douleur. Il doit sans doute y avoir plein de lectures possibles quant à ce jardin, qui est présent tout au long du livre, sur ce personnage qu'est le jardin et qui paraît être plus important encore que le protagoniste Anton - pour preuve, c'est lui qui figure d'abord dans le titre, c'est d'abord le Jardin, puis le nom de famille d'Anton. 


Le Jardin de Winter de Valérie Fritsch, édition Phébus.


Le monde continu pourtant, malgré que ce soit les prémisses de la fin, l'humanité retient son souffle, mais elle respire toujours. C'est dans ces conditions très étranges qu'Anton va rencontrer une femme avec qui il va passer ses derniers moments - en sa compagnie et avec une autre femme et son enfant, qui ne sont autre que la famille du frère d'Anton, retrouvée un peu par hasard. 
Ensemble, ils décident de retrouver la terre familiale et donc le fameux jardin où ils verront la fin de leur vie arriver. 

Le personnage d'Anton est attachant, mais il est comme déjà disparu, il est déjà mort alors la distance entre lui et le lecteur se creuse toujours plus. Pour les autres personnages qui sont au nombre de trois (je ne compte pas le bébé évidemment) ils semblent être des coquilles vides. La copine d'Anton a l'air complètement à côté de la plaque, je crois qu'elle n'a pas bien compris que c'est la fin de tout. C'est pareil pour le frère d'Anton, la distance entre les deux frères est si grande qu'on ne peut pas s'attacher à lui. Tout ce qu'on peut faire c'est suivre leur destruction de loin sans rien pouvoir faire, sans avoir à imaginer une autre alternative parce que l'on sait qu'il n'y en a pas, que la sentence est connue depuis le début et qu'il va falloir l'accepter. 

Symbole de la fin du monde, du passage de l'enfance à l'âge adulte, du retour aux origines, Le Jardin de Winter est tout ça à la fois et bien plus encore. 

Le point fort de ce livre est sans conteste son écriture, la poésie des mots. Franchement pour un premier roman, un premier essai, Valérie Fritsch a réussi avec brio. Le style est poignant, il est touchant et j'ai vraiment ressenti beaucoup de plaisir à lire un texte si juste et si étrange à la fois. C'est le troisième Phébus que j'ai lu jusqu'ici et je ne peux pas le dire avec certitude (je ne sais pas parler autrichien), mais j'ai bien l'impression que les traducteurs font un boulot très minutieux pour traduire au mieux la volonté de l'auteure et si c'est le cas, bravo parce que franchement, j'ai été conquise. 


"Cela faisait longtemps qu’il n’avait plus pris autant de plaisir à quitter son appartement. Cela faisait longtemps qu’il n’avait plus eu autant de choses à voir. Cela faisait longtemps que le monde s’était arrêté, et voilà qu’il tournait sur lui-même comme un manège et traversait en une course effrénée un univers funeste."

Valérie Fritsch, Le Jardin de Winter






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