samedi 26 janvier 2019

Le Coin des libraires - #123 La force des choses II de Simone de Beauvoir

Ça y est, je crois que l'on peut dire que je suis arrivée à la moitié de l'autobiographie de Simone de Beauvoir. Avec le deuxième volet de La force des choses, l'auteure reprend là où elle s'était arrêtée à la fin de la première partie. Publié en 1963, il commence à la Libération (première partie) et se termine au début des années 60. 

L'auteure se confie sur son état d'esprit par rapport au communisme soviétique ou encore sur la guerre d'Algérie. On retrouve aussi les descriptions de ses voyages, ses surprises et ses déceptions, et aussi, on fait la connaissance d'un nouveau personnage haut en couleur : Claude Lanzmann, écrivain, cinéaste (notamment connu pour son documentaire culte Shoah, 1985) qui va devenir son amant, puis un de ses amis les plus proches. 
J'ai un peu étudié Lanzmann par le passé, mais j'ai vraiment pu apprendre à le connaître grâce au portrait qu'en brosse Beauvoir, ça a donc été avec une petite pointe de tristesse que j'ai appris son décès en juillet dernier. 

«Peu de temps après le jour V, je passai une nuit très gaie avec Camus, Chauffard, Loleh Bellon, Vitold, et une ravissante Portugaise qui s'appelait Viola. D'un bar de Montparnasse qui venait de fermer, nous descendîmes vers l'hôtel de la Louisiane ; Loleh marchait pieds nus sur l'asphalte, elle disait : "C'est mon anniversaire, j'ai vingt ans." Nous avons acheté des bouteilles et nous les avons bues dans la chambre ronde ; la fenêtre était ouverte sur la douceur de mai et des noctambules nous criaient des mots d'amitié ; pour eux aussi, c'était le premier printemps de paix.» 


J'ai encore mis énormément de temps à lire ce volet. Le précédent m'avait paru bien trop politique, pas assez intime. Il m'avait laissé sur ma faim on va dire. J'attendais beaucoup de cette deuxième partie et je n'ai pas été déçue. 
J'ai mis deux mois à le lire pour deux raisons, la première était que je voulais absolument le commencer lors de mon séjour à Paris, il s'avère que je logeais juste à côté de son dernier appartement - d'ailleurs, elle mentionne à un moment la rue dans laquelle j'étais et qui se trouve en face de sa plaque commémorative. 
La deuxième - qui n'est que répétition si vous avez déjà vu mon article sur L'invitée - est que la typo de chez Folio est un véritable calvaire. C'était pire encore que pour L'invitée, une police minuscule, des mots mâchés. Il m'arrivait de me retrouver comme une con dans le métro à essayer de déchiffrer un mot pour saisir la phrase. Ça n'a pas de sens. 

Ça a clairement gêné mon plaisir de lecture, je lisais 10 pages et j'en avais déjà marre. Pour qu'un livre me procure ce sentiment, c'est vraiment que c'est gênant. Si jamais Folio ou un autre éditeur se décide à les ré-éditer, il ne fait pas de doute que je les rachèterai. 

Bref, passons à ce qui nous intéresse, le contenu du livre ! 



"La petite fille dont l’avenir est devenu mon passé n’existe plus. Je veux croire, quelquefois, que je la porte en moi, qu’il serait possible de l’arracher à ma mémoire, de défroisser ses cils fripés, de la faire asseoir, intacte, à mes côtés. C’est faux. Elle a disparu sans même qu’un squelette menu commémore son passage. Comment la tirer du néant ?"
Simone de Beauvoir, La force des choses II.


Je suis immédiatement entrée dedans, c'est dans son style élégant que l'auteure nous ramène à sa vie peuplée d'écriture, de sorties et de voyages. 
On découvre donc Lanzmann, qu'elle mentionne au tout début. Ce portrait est important, dans la mesure où cet homme aura une place de choix dans l'avenir de l'auteure. Il est présent tout au long du livre - l'époque dont elle traite correspond à celle de leur liaison (1952-1959) - et même lorsqu'ils décident de se séparer, Lanzmann n'en reste pas moins un ami très proche de la philosophe puisqu'il deviendra le directeur des Temps modernes, la revue créée, entre autres, par Sartre et Beauvoir. 

Elle nous emmène aussi lors de ses voyages, avec elle on découvre l'Italie, l'Espagne, Cuba, Brésil... On découvre tout un tas de pays par le biais de ses impressions, que ce soit sur le paysage ou sur le pays en lui-même - c'est à ce moment que l'on se rend compte à quel point elle était pour le régime de Castro par exemple. 
Néanmoins, l'événement véritablement au centre du livre, c'est bien évidemment la guerre d'Algérie et la nomination de de Gaulle à la tête du pays. 




C'est à la lecture de ces pages que je me suis rendue compte à quel point tout l'aspect politique de la première partie est importante. Je vous disais dans mon article sur La force des choses I que j'avais moins aimé ce tome à cause de la trop grande place qu'occupait la politique, plus particulièrement les pensées et actions de Sartre. Finalement, à la lumière des événements relatés par l'auteure, on se rend compte qu'il est important d'avoir un minimum de connaissances sur l'état du pays à cette époque. 

Lorsqu'il est question de la guerre, des violences faites aux Algériens sur le sol français ou en Algérie, j'avais vraiment le sentiment de lire son journal intime. Déjà parce que l'auteure a retranscrit les événements tels qu'elle les avaient écrit, c'est-à-dire qu'elle faisait bien attention à écrire la date et qu'elle expliquait absolument tout, ce qu'elle a lu dans le journal, ce qu'elle a appris, ce qu'elle a vu. Les dangers qu'elle a encouru aussi - même si on ne va pas se mentir, c'est surtout Sartre qui était dans de beaux draps. 

J'ai adoré cette façon de relater quelque chose d'aussi important au jour le jour. C'est évidemment tout sauf objectif, mais c'est pour moi une mine d'informations historiques, fin faut quand même voir l'audace quand on y pense. 
Elle dénonce les violences policières, les lynchages dans la rue, les massacres tout ce qu'il y a de plus arbitraire - si tant est que ça peut ne pas l'être... - fin vraiment elle n'y va pas avec le dos de la cuillère. Elle affiche son dégoût pour son pays, son incompréhension et sa colère. 

À côté de l'Histoire, on retrouve une femme qui prend conscience du temps, qui regarde son âme soeur dépérir et se tuer à la tâche. Sartre est surmené, Sartre boit trop, Sartre devrait se reposer... C'est par le biais des faiblesses de son âme soeur (dans un sens large) qu'elle comprend que la mort rôde. 
Et la mort, c'est quelque chose qui commence peu à peu à hanter son écriture, la peur de la mort est omniprésente et on la retrouve de plus en plus fréquemment au fil des pages. 


C'est dans un style élégant et poétique que Simone de Beauvoir se livre, elle en arrive à un âge où elle comprend que la vie a passé, où elle refuse d'être assimilée à quelque chose qu'elle dénonce. 
Bien plus sombre que ces prédécesseurs, La force des choses apparaît comme livre charnière, celui qui fera la transition entre les jeunes années de l'auteure, l'insouciance, les premiers succès, les premiers voyages, et les dernières années, celle où la fraîcheur a laissé place à la désillusion, où la mort a gagné du terrain sur la vie. 
Plus qu'une autobiographie centrée sur soi, l'auteure décortique les événements, elle prend le temps de détailler, d'expliquer, de se révolter - je pense par exemple à la manifestation mise en place dans les rues de Paris alors qu'il était interdit de se réunir dans les rues pour protester. 
On découvre un monde qui ne tourne plus rond, et qui, malheureusement, résonne énormément avec notre monde actuel, empli de violences policières, de crimes perpétrés au nom du racisme et de la différence. 


"J’ai perdu ce pouvoir que j’avais de séparer les ténèbres de la lumière, me ménageant, au prix de quelques tornades, des ciels radieux. Mes révoltes sont découragées par l’imminence de ma fin et la fatalité des dégradations ; mais aussi mes bonheurs ont pâli. La mort n’est plus dans les lointains une aventure brutale ; elle hante mon sommeil ; éveillée, je sens son ombre entre le monde et moi : elle a déjà commencé. Voilà ce que je ne prévoyais pas : ça commence tôt et ça ronge."
Simone de Beauvoir, La force des choses II.




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