« Les partis ne vous ont pas manqué. Vous avez toujours refusé. Pourquoi ? One ne le saura jamais. » Ainsi parle à Mademoiselle Clarisse – cinquante-quatre ans – un client de son café-épicerie-mercerie de village. Nous non plus, nous ne saurons pas pourquoi Clarisse – fort sociable pourtant, et qui entretient avec sa clientèle des relations harmonieuses – a vécu et vit solitaire. Mais nous comprenons qu'il y a en elle quelque chose de noué, et qui ne favorise pas les relations avec les hommes. Dans sa jeunesse elle fuyait les rencontres, maintenant elle rêve «d'un homme ne sachant pas se défendre». Et voilà que survient un homme inattendu. Il s'est réfugié dans la salle de café, il y est mort. Aussitôt Clarisse s'empare de lui. Une tempête de tendresse, d'amour et de dévouement la saisit devant ce corps qui lui est livré, et de qui elle prend soin comme si son activité terrestre n'était pas interrompue à jamais. Elle invente son histoire, s'invente une histoire avec lui, mais doit vite reconnaître que le mort ne pourra rien lui donner.
Clarisse a donc la cinquantaine, elle vit tranquillement, on va la suivre tout au long du récit dans un lieu unique : son épicerie. Son épicerie semble être en quelque sorte le cœur du village ou en tout cas, un lieu de rencontre. Sa vie semble être relativement triste, elle est entourée de gens, mais également de la solitude. Vieille fille, on ne sait pas vraiment ce qu'il s'est passé, mais elle est seule et n'a jamais connu l'amour.
Mais les choses changent quand justement elle découvre cet homme qui est venu mourir chez elle, cet homme qu'elle ne connaît pas mais dont elle va prendre soin. Elle va s'inventer toute une vie avec lui, elle va s'interroger sur ce qu'il était avant d'arriver là, comment il est arrivé aussi, après tout, ne le connaissant même pas on peut facilement se dire que c'est incongru de le trouver là, mort, chez elle.
Clarisse va lui faire sa toilette, elle va attendre de lui qu'il se réveille en quelque sorte, en tout cas qu'il revienne à la vie pour être avec elle, pour qu'elle ne soit plus seule.
Tout en étant très étrange comme situation : une femme qui trouve un homme mort chez elle et qui décide de le cacher afin le garder pour elle, on ne peut que ressentir de la compassion pour elle. Clarisse a toujours été seule de ce qu'on en sait, on ne connaît pas son passé mais pour je ne sais quelle raison, personne n'a jamais été là pour elle. Finalement, elle s'accroche à cet homme mort, elle en fait son amour inconnu, elle le transforme en cette chose qu'elle n'a jamais eue.
Ce récit très touchant et perturbant de l'intimité de Clarisse avec ce mort est dérangé par la présence d'un enfant qui revient sans cesse, un enfant dont l'on sait qu'il a coutume de venir se réfugier chez notre protagoniste. Tout comme cette dernière, nous voudrions que l'enfant s'en aille, qu'elle retourne auprès de son "homme", mais au bout du compte, cette personne qui a interrompu sa vie est bel et bien morte et il n'y a rien à trouver dans la mort, rien à aimer et bien que ce soit douloureux, Clarisse va devoir se résoudre à le laisser partir.
Lors de ma lecture de ce récit, j'avais été fasciné par le comportement de Clarisse vis-à-vis de cet homme mort, le soin qu'elle mettait dans sa toilette, pour remettre son col, pour remarquer des détails relativement insignifiants quand l'on trouve chez soi un inconnu mort, comme le fait de parler du fait qu'il porte des chaussures sans chaussettes - je ne sais pas pourquoi ça m'a marqué.
La vieille fille et le mort est une histoire très courte, même pas 100 pages, une histoire originale de cette pauvre femme qui n'a jamais vécu autrement que par le biais de l'amitié, qui n'a jamais eu personne sur qui compter, malgré le fait qu'elle semble entourée.
Mon premier Violette Leduc, je voulais commencer par un texte court, on m'avait mis en garde sur la plume authentique et parfois difficile de l'auteure et je ne voulais pas la découvrir avec le petit pavé qu'est La bâtarde. Bien évidemment, vous vous doutez bien que si j'ai lu La femme au petit renard, c'est que je n'ai pas été déçu, parce que non, je ne l'ai pas été une seule seconde.
"La
bouche était grande et triste, sans rancœur, sans rancune. Des
sourires anciens laissaient de bonnes traces dans les coins. C’est
au milieu de la lèvre inférieure, de grosseur moyenne, c’est là
que la détresse s’épanchait. La lèvre supérieure, lèvre
d’enfant gâté qui se déforme à la moindre contrariété devait
tanguer sous l’ouragan du malheur."
Violette
Leduc, La vieille fille et le mort.
Je comptais lire La bâtarde cet été, je pensais avoir le temps, mais comme toujours, je veux lire tellement de livre pendant l'été que je finis par ne pas réussir à en lire la moitié. J'ai lu d'autres livres et je me suis dit un peu pas acquit de conscience qu'étant donné que La femme au petit renard sortait début septembre, je lirai celui-ci à la place, ce que j'ai fait. J'ai acheté le livre le lendemain de sa sortie, j'ai terminé ma lecture en cours et environ une semaine après l'avoir acheté, je me suis plongée dedans.
La femme au petit renard de Violette Leduc édition Imaginaire Gallimard.
J'aurais pu le lire d'une traite sachant qu'il ne fait même pas 130 pages et que c'est écrit relativement gros, mais souvent, pour les auteurs qui sont morts et où je sais que du coup, ils ne produiront jamais rien de plus, je préfère prendre mon temps pour découvrir, pour me plonger dans l'histoire et non pas la dévorer - bon, je dis ça mais je l'ai lu en deux fois, en deux jours, haha !
Cette fois, je n'avais absolument aucune idée de ce que le livre allait raconter, j'ai lu la quatrième - chose que je fais que très rarement - et j'ai eu la bonne surprise de découvrir qu'il n'y avait pas de résumé, mais plutôt un petit mot de celle qui l'a encouragé à écrire jusqu'à lui verser une pension pour qu'elle se consacre à l'écriture, bien évidemment, il s'agit de Simone de Beauvoir.
«Malgré "les larmes et les cris", les livres de Violette Leduc sont "ravigotants" - elle aime ce mot - à cause de ce que j'appellerai son innocence dans le mal, et parce qu'ils arrachent à l'ombre tant de richesses. Des chambres étouffantes, des cœurs désolés ; les petites phrases haletantes nous prennent à la gorge : soudain un grand vent nous emporte sous le ciel sans fin et la gaieté bat dans nos veines. Le cri de l'alouette étincelle au-dessus de la plaine nue. Au fond du désespoir nous touchons la passion de vivre et la haine n'est qu'un des noms de l'amour.» Simone de Beauvoir.
Alors voilà, j'ai commencé l'histoire à l'aveugle comme j'aime tant le faire, mais cette fois, ça a été un peu difficile. On tombe dès le début dans une espèce de divagations de l'auteure où on suit cette femme "Elle", celle qui n'a pas de prénom et qui est perdue au milieu de brouhaha parisien. Durant les 80 premières pages, soit plus de la moitié, on nous livre un récit décousu, où on nous parle de ses vagabondages dans Paris, mais surtout de sa faim, de cette faim qui lui tord l'estomac, celle qui la rend faible. On peut donc penser que ce "délire" textuel provient de cette faim que ressent l'auteure - oui je rappelle que cette histoire comme toutes ses histoires sont fortement inspiré de sa vie et que durant plusieurs années, notamment durant la Seconde Guerre mondiale, Violette Leduc a vécu dans la misère, elle a d'ailleurs acheté et vendu bon nombre de choses au marché noir, mais aussi au Mont-de-piété dont la narratrice fait référence dans le livre.
Cette histoire est vraiment décousue au point que l'on a parfois du mal à suivre, l'on s'interroge sur le but de l'auteure, ce qu'elle veut nous faire comprendre. S'ajoute à ça tout un délire sur un renard (un accessoire de mode hein, pas un vrai renard !) qu'elle trouve dans une poubelle alors qu'elle était à la recherche d'une orange. L'objet va devenir très important pour elle, elle va s'afficher avec, mais aussi le cacher, par peur qu'on lui vole sans doute.
Personnellement, j'ai compris la chose, son affection pour ce renard comme une métaphore de cet enfant qu'elle n'a jamais eu. Oui, je ne l'ai pas dit mais Violette Leduc a failli mourir à cause d'un avortement réalisé lors de son cinquième mois de grossesse. Je rappelle que l'avortement était alors interdit en France à cette époque et qu'il était très dangereux de pratiquer ce genre d'opération, évidemment. C'est un évènement de sa vie qui l'a profondément marquée et dont elle a souvent parlé dans ses écrits.
Peut-être que je suis complètement à côté de la plaque, mais j'ai assimilé ce renard dont elle nous parle comme une allégorie de cet être qu'elle n'a pas eu, qu'elle a refusé d'avoir, mais qu'elle a peut-être chérie, je ne sais pas.
Si quelqu'un a un meilleur avis à me fournir ça m'intéresserait énormément parce que pour le coup, je ne sais pas trop quoi en penser.
Avec La femme au petit renard, j'ai retrouvé le style très agréable de Violette Leduc, ses phrases courtes, ses pérégrinations poétiques au travers d'un Paris extrêmement bien détaillé entre le métro aérien, le boulevard de la Villette, ses boulangeries, son atmosphère aussi. J'ai beaucoup aimé et j'ai eu beaucoup de plaisir à la lire dans une autre œuvre, mais j'ai aussi eu un peu de mal au début, j'ai trouvé le récit un peu trop décousu, que l'on partait un peu dans tous les sens sans qu'il y ait de réels rapports entre toutes les informations données et, c'est dommage.
Il n'empêche que cette auteure me fascine - tout comme Simone de Beauvoir faut dire -, j'aimerais tout lire d'elle et tout savoir et même si j'ai été plus mitigée sur ma lecture de La femme au petit renard, je reste persuadée qu'elle a encore beaucoup de choses à m'apprendre et surtout, que j'ai encore du bon temps à passer grâce à sa plume.
Ce qui me fait penser, Arte a diffusé un documentaire sur l'auteure appelé Violette Leduc la chasse à l'amour (2013). Si jamais un jour vous avez l'occasion de le visionner et que madame Leduc vous intéresse, n'hésitez pas, il est vraiment très intéressant !
"Un
malheur finissait dans un bonheur, c’était vivre. Et c’était
simple comme un ménage d’aveugles. Si simple que ses yeux
voulaient bien pleurer des ruisseaux de larmes d’amour."
Violette
Leduc, La femme au petit renard.
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