mercredi 11 mai 2022

Patrick Procktor, le secret de David Hockney de Fabrice Gaignault

« j’aime bien l’idée que l’art soit vu comme une façon de divertir le regard ». 


« Il est impossible de représenter vraiment la réalité. […] Je voulais de mon côté divertir le spectateur, avec des pointes d’intensité et d’humour, pour que le spectateur me suive dans cette tentative et cet échec, à la fois inévitable et comique, de représenter parfaitement le monde. Malgré tous les efforts que vous pouvez fournir, la seule chose à laquelle on ne peut échapper est le désir que cette image soit parfaite, mais dès le premier coup de pinceau, vous êtes déjà dans l’erreur. » 

 Patrick Procktor, le secret de David Hockney est une biographie passionnante sur le peintre et aquarelliste du 20e siècle, grand ami du spécialiste des Pool Paintings (il fut un temps). 


L’auteur, Fabrice Gaignault, retrace cette amitié vieille de plusieurs décennies.

Comment se sont-ils rencontrés ? Qui a influencé qui ? Pourquoi une amitié en apparence si fusionnelle a-t-elle volé en éclats ? 


Contrairement au peintre vivant vendu le plus cher, Procktor aimait l’extravagance, il aimait les soirées. Il aimait l’alcool. 

Interrogé à deux reprises, notamment lors d’une rencontre dans sa maison en Normandie, Hockney se remémore. C’était surtout un problème d’alcool, de manque de travail. Hockney a quitté l’Europe pour qu’on le laisse travailler en paix, Procktor est rester s’enivrer. 

Ce dernier a délaissé la peinture pour l’aquarelle, considéré comme un art mineur. 

Hockney ne manque pas de lui mettre cher en disant qu’il aimait plus trop ses oeuvres - comment rester ami avec une personne dont tu n’admires plus le talent du coup ? 


D’anciennes fréquentations de Procktor donnent aussi leur avis. Certains le voient comme un grand artiste qu’il faut redécouvrir. 

Ses derniers moments d’errance et de désespérance sont tellement tristes… C’était au fond un garçon très spécial qui n’a jamais su apprivoiser le bonheur. J’ai longtemps craint qu’il soit oublié, ce qui serait affreux parce que c’est un superbe artiste. Je suis heureuse de constater que beaucoup de jeunes amateurs d’art le découvrent et le chérissent. Personne ne doit jamais oublier Patrick.

D’autres comme un peintre mineur, jaloux du talent de son ancien compagnon. 

Procktor a vécu une vie dissolue. Il a aimé un homme, peint des dizaines de toiles de lui pour en faire une expo temporaire aux US. - ça a été un bide. Par la suite il s’est mariée avec sa voisine. Les deux ont fini par mourir. Son appartement a brûlé (on pense qu’il a mis le feu sans faire exprès, à cause d’une cigarette probablement). Finalement il meurt pauvre et incapable de se sortir de l’emprise de l’alcool en 2003. 


Le destin malheureux de Patrick Procktor explique-t-il sa déchéance - provisoire - en tant qu’artiste important de son temps ? Ou son oeuvre s’est-elle fait l’écho peut-être trop hyperréaliste de sa descente aux enfers et éloigne-t-elle les amateurs d’art, comme un mauvais oeil, à l’image de ces poupées vaudoues de la rue des Beaux-Arts qui lui faisaient face le temps de l’accrochage chez Love&Co ? Toute oeuvre gagne en intérêt à la lumière de ses zones d’ombre et des secrets qu’elle renferme.


Hockney était présent à son enterrement. Il voulait rendre hommage à celui qui fut son acolyte, son ami de jeunesse devenu personnalité gênante. 


Gros + pour l’insertion des photographies et la qualité de l'objet livre (la souplesse est super agréable et les larges marges permettent d'annoter), il ne manque que des reproductions des oeuvres de l’artiste pour avoir une biographie complète - la note explicative au début nous indique le refus des galleristes d’autoriser la reproduction. Il est étrange de voir qu’on a refusé la comparaison avec Hockney à un artiste que l’on considère comme mineur, sans grand intérêt. 

Forcément le lecteur tique quand il apprend l’interdiction de reproduction, quel mal aurait-il pu y avoir ? quelle peut bien être la raison ? 


Patrick Procktor, le secret de David Hockney n’en reste pas moins une excellente biographie sur un artiste passionnant et laissé dans l’ombre comme tant d’autres. Fabrice Gaignault nous plonge à la fois dans l’effervescence artistique des années cinquante, soixante, soixante-dix, etc. et dans le destin tragique d’un homme qui n’a pas su garder la tête hors de l’eau. 


Chez Procktor, une grande partie du travail a été effectuée avec une économie de moyens. […] Il y a, chez lui, quelque chose de l’ordre de la tendresse qui est très beau. Il est plus affectif, je dirais même plus adolescent que Hockney et cela apporte un charme en plus. Il y a plus d’émotions dans son dessin que chez Hockney qui reste plus froid.  


Le grand homme fragile devint une montagne russe d’émotions, que le rire, l’alcool, la fête et le sarcasme enveloppaient telle une cape magique pour le protéger des ombres tristes de l’enfance et des amours enfouies qui remontaient parfois en lui comme une méchante marée. 



À lire si vous êtes curieux de découvrir un artiste oublié à la sensibilité émouvante. 









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