samedi 5 mars 2022

L'Énigme Gerstein d'Alain le Ninèze

Connaissez-vous Kurt Gerstein ? Cet ingénieur allemand a grandi auprès d’un père antisémite, il s’est notamment fait arrêter et a été envoyé en camps durant 6 semaines dans les années 1930 car opposé au parti nazi. 

En 1941 il apprend la mort de sa belle-soeur, atteinte de schizophrénie, décédée d’une pseudo pneumonie. Kurt comprend qu’il y a anguille sous roche et décide d’entrer dans la SS pour en savoir plus. 



Intelligent et débrouillard Kurt va entrer à l’Institut d’hygiène et être chargé de s’occuper de l’assainissement et de la désinfection des camps, mais faisant preuve d’un vrai talent, il va finir par être chargé de subvenir aux besoins en acide cyanhydrique, autrement dit, en zyklon. 


Il a notamment visiter les premiers camps d’extermination, Belzec et Treblinka et être ainsi témoin de la mise en à mort de milliers d’êtres humains. 


Pris d’effroi il essaiera diverses combines pour tenter de faire disparaître un maximum de cargaison de zyklon. 


Finalement après avoir passé des mois dans la peur de se faire démasquer par ses collaborateurs, il ira au devant des alliés, plus précisément des français pour leur raconter sa folle histoire. 

De cela naîtra les « rapports Gerstein » au nombre de quatre. 

Deux en français et deux en allemand. 

Face à certains membres de l’ORCG (Organe de Recherche des Criminels de Guerre) qui ne croient pas à la version de Kurt, celui-ci s’est pendu dans sa cellule le 25 juillet.


Il faudra attendre vingt ans, 1965 pour qu’une campagne permette sa réhabilitation. Entre temps sa femme et ses enfants ont été contraints de vivre dans la précarité. 


Le personnage Kurt Gerstein est bien complexe, dans ses actes plus que dans ses pensées (du moins de ce qu’on peut en déduire suite à ses déclarations et aux interview de ses proches) mais il semble qu’il demeure une constante, celle de sa foi en la religion chrétienne qui est en quelque sorte ce qui l’a entraîné à détester le nazisme — il pensait notamment que les nazis allaient devoir faire face au jugement divin après avoir exterminé le peuple élu. 

Il a raconté ce qu’il a vu à Belzec à diverses personnes : un suédois en espérant que celui-ci transmette son témoignage aux alliés (témoignage qui a été découvert… en août 45 !), il a essayé d’atteindre le pape Pie XII, sans succès. 


Alain Le Ninèze, l’auteur de ce livre formidable a écrit un roman, il met en scène des personnes qui ont véritablement existé ainsi que des situations, en s’inspirant toujours d’un élément historique fiable que ce soit des rapports Gerstein que j’ai mentionnés ou bien de compte-rendu, d’interview effectués par des historiens. D’ailleurs il précise à chaque fois la source en la citant. Ainsi on trouve des passages des rapports écrits par le principal intéressé ce qui donne un caractère fiable à la démarche. 


Alors oui il y a un petit côté HHhH dans le sens où l’auteur confie également ses doutes concernant l’écriture de telle ou telle scène pour reconnaître que les propos d’untel seront dans tous les cas meilleurs que tout ce qu’il peut écrire. Il y a un côté de « l’oeuvre en train de se faire » par l’entremise d’interrogations sur la démarche. 

Pourtant au-delà de cette similitude les oeuvres n’ont rien à voir. Si j’ai pu trouver à HHhH la mise en scène d’une volonté d’exactitude sans qu’elle transparaisse toujours au coeur du récit, ici il y a une volonté d’exactitude pour le lecteur qui se retrouve avec la mise en scène du romancier et est confronté aux sources historiques, aux documents qui font l’Histoire telle qu’elle est. 


Le rôle du romancier n’est pas de réhabiliter Kurt Gerstein. D’autres l’ont fait avant lui et il relance en quelque sorte le débat sur le rôle qu’il a joué pendant la guerre, sur ses motivations et son choix de mettre fin à ses jours. 

Alain Le Ninèze nous raconte ici une histoire extraordinaire mais vraie, une histoire où s’entrechoquent littéralement l’invention du romancier et le pouvoir historique


Une belle découverte, parfois dérangeante, mais toujours passionnante. 


À lire pour ceux qui ont envie d’en apprendre plus sur une personne prête à tout pour connaître la vérité et stopper les massacres auxquels il a été témoin. 

Néanmoins ça ne plaira pas à tout le monde : en ajoutant à chaque fois la source qui lui a permis d’écrire ses chapitres romancés les informations que l’on apprend sont quasiment toujours dédoublées. En d’autres termes ce n’est pas un ouvrage qu’on dévore. 





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