dimanche 20 février 2022

Grand Hotel Europa d'Ilja Leonard Pfeijffer

On pourrait décrire l’histoire de l’Europe comme une histoire de nostalgie de l’Histoire. 


Difficile d’écrire sur un roman quand il a déjà été présenté un nombre incalculable de fois et de manière bien plus pointue et réflexive que ce que je m’apprête à écrire. 

Durant ma lecture j’ai écrit quelques mots clés : mise en abîme, relecture, nostalgie, amour, art. 



La beauté de ce roman réside dans tous ces éléments là. L’auteur s’est servi de ce qui fait la richesse de notre continent pour tenté de répondre à la question qu’il se posait depuis 14 ans, depuis son départ des Pays-Bas pour l’Italie : pourquoi s’est-il senti plus européen après avoir emménagé à Gênes ? Qu’est-ce que l’identité européenne ? 


Grand Hotel Europa est à la croisée des genres, que ce soit du point de vue formel (ni tout à fait un roman, ni tout à fait une biographie) ou thématique (ce n’est pas à proprement parler un roman d’amour, pas à mes yeux en tout cas, ni un essai, ni même un roman d’enquête) et c’est ce qui fait sa richesse. Ça et toutes les réflexions autour de notre passé d’européen, autour de la situation actuelle en Europe. 


Notre patrimoine est une force, mais n’est-il pas aussi une faiblesse ? 


Ilja Leonard Pfeijffer, le protagoniste, arrive au Grand Hotel Europa pour écrire sur son amour évaporé, Clio. C’est douloureux mais raconter cette relation sera salutaire alors le personnage (accessoirement il est aussi écrivain et poète, comme notre auteur !) se rend dans ce grand hôtel, symbole du prestige perdu de l’Europe, de l’Europe vieillotte et dépassée. 


Ce Grand Hotel Europa est un personnage à lui tout seul, c’est une énigme, elle renvoie le personnage à la question de base : qu’en est-il de l’Europe aujourd’hui ? 


Dans cet hôtel Ilja va faire la connaissance de différents personnages, de la poétesse un brin cinglée à Abdul le génial Abdul. 

J’ai aimé son personnage parce qu’il est aux antipodes de tous les autres. Il y a partout cette nostalgie, ce regard braqué vers le passé. Abdul lui ne veut plus du passé, il ne veut plus de ses souvenirs douloureux, lui veut oublier et ne penser qu’au futur : 

« Abdul n’aime pas parler du passé. Il dit que c’est un lieu mauvais que chacun ferait mieux d’oublier. Il dit que l’avenir est plus important, car il est encore à venir et que donc on a encore prise sur lui. Il a raison, mais je suis curieux. J’aimerais mieux le connaître et, de mon point de vue, il est impossible de connaître un homme sans connaître un tant soit peu son passé. Il ne partage pas cette vision. D’après lui, un homme est connaissable à son visage, et ce visage est tourné en direction de l’endroit où il va et non de celui d’où il vient. »


Accessoirement, l’un de mes passages préférés concerne l’inspiration latine dans l’histoire d’Abdul. Le parallèle avec Ulysse est si ingénieux ! 


Pourtant ce n’est pas le passé d’Ilja ni même sa relation avec Clio qui m’ont passionnés, ce sont les réflexions sur l’Europe, l’Europe destinée à être dépassée par les autres puissances, l’Europe, victime du tourisme de masse. Et à chaque fois des statistiques, et toujours des exemples concrets pour confirmer un raisonnement ou un fait - Venise ensevelit sous les eaux dans quelques années est l’exemple le plus frappant de la nocivité du tourisme de masse. 


Grand Hotel Europa est à mes yeux le roman des fins. Il commence sur la fin d’une histoire d’amour, il se termine sur la fin de quelque chose, sur une forme d’abdication, un déclin peut-être. Il parle d’une fin possible ou peut-être même déjà advenue, celle de notre beau continent. Grand Hotel Europa est un roman monde plein de poésie et de pensées. 

L’Europe est devenue un musée à ciel ouvert, un fantastique parc à thèmes historique pour les touristes. Et l’ingrédient principal de ce destin touristique est, conformément au premier critère essentiel de notre identité, notre excellent réseau d’hôtels et de restaurants. L’omniprésence de cafés et la richesse de nos formidables traditions culinaires font de notre continent la destination touristique idéale. L’avenir du Vieux Continent est déjà sous nos yeux. L’Europe est la villégiature du reste du monde.


L’écriture visuelle et rythmée est impeccable, bravo à Françoise Antoine pour sa superbe traduction ! 


— 


Une fois mon article écrit, j’ai été regarder la vidéo de la rencontre vleel avec l’auteur et son interprète Marianne de Susbielle. Ilja Leonard Pfeijffer parle à un moment du rôle du poète et de l’écriture. Pour lui, il y a un devoir de dire la vérité, mais celle-ci est peut-être restreinte à notre vision du monde. Dès lors le meilleur moyen de raconter la vérité serait par la fiction.

Ça explique la porosité entre la réalité disséminée dans le roman : les éléments biographiques communs au protagoniste et à l’auteur (le nom, le métier, le déménagement, l’éditeur…) mélangé à une histoire d’amour fictionnelle, à des personnages mi-réels mi-fictionnels (c’est le cas d’Abdul comme on l’apprend lors de l’entretien). 


Bref je vous recommande cette vidéo si vous êtes curieux d’en apprendre plus sur ce grand Grand Hotel Europa







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