dimanche 20 mars 2022

Voyage au Liberland de Timothée Demeillers et Grégoire Osoha

Tout commence à Prague, lorsqu’un un homme, Jirí Kreibich, décide d’ouvrir un site internet intitulé Liberland. L’homme est un libertarien convaincu et il est tout sauf ravi du résultat des élections (un libertarien défend l’idée selon laquelle la liberté individuelle ne peut avoir de restrictions que par l’individu lui-même). 

Avec cette idée de site, Jirí entend bien mettre en avant ses idées politiques dont la plus centrale reste le rejet du contrôle de l’état.  

Deux ans après, le projet existe toujours mais aucune expansion n’est visible. Jirí entend parler de terres non revendiquées, il en existe une en Europe, entre la Croatie et la Serbie. Les 7 km non revendiquées deviendront la terre promise pour ce col blanc, la terre du Liberland. 

Jirí partage ses idées avec un ami, Vit Jedlička qui est tout de suite conquis. Lui aussi trouve que l’état a la main mise sur la propriété individuelle, les taxes n’en finissent plus… bref leur idée c’est que chacun ait son propre bout de terre qui lui appartiens, c’est-à-dire qu’on peut faire ce qu’on veut sur sa terre du moment qu’elle est à nous - donc en gros si t’es un bon vieux raciste, tu devrais pouvoir canarder les étrangers qui entrent sur ton terrain à coup d’AK-47, au Liberland, ça posera pas de problème ! 


En 2015 ils se décident à aller découvrir cette Terra nullius mais tout prend une direction déjà moins joyeuse. 

Face à la rumeur d’un terrain truffé de mines, Jirí renonce à son projet et passe le flambeau à Vit. Le périple pour arriver à bon port et planter le drapeau des libertariens est semé d’embuches et leur arrivée ne passe pas inaperçue. 


Par la suite les problèmes vont s’enchaîner. 

Qui voudrait vivre dans un État de 7km dans lequel on ne peut entrer ? 

L’armée serbe et et l’armée croate empêchent toute effraction. La zone du Liberland est une ancienne zone de conflit, elle se trouve à la frontière et l’installation des libertariens ne fait qu’ajouter de l’huile sur le feu. 


L’enquête menée par Timothée Demeillers et Grégoire Osoha interrogent tous les aspects du fantasme libertarien de Vit et des autres. Elle s’intéresse aux tensions déjà prégnantes dans cette zone entre la Croatie et la Serbie, elle nous montre à quel point personne ne prend au sérieux Vit et ses petits camarades.


Le Liberland veut devenir un pays sans État, un paradis fiscal puisqu’il rejète justement les impôts. Tout part d’une conviction selon laquelle l’État profite des contribuables. Quand on s’interroge notamment sur le système de santé, c’est plutôt évasif : pas d’impôt donc pas d’argent, mais ce sera apparemment selon le bon vouloir de chacun. 

Mais nous n’en sommes pas là puisqu’aucun pays n’a reconnu le Liberland comme étant un État et personne ne peut accéder au territoire puisque la police croate veille à ne laisser entrer personne. 


Les deux auteurs remontent aux origines de l’enquête, témoignant ainsi de la complexité déjà présente dans cette zone bien avant l’arrivée de ces fous de libertariens.

Les journalistes sont venus dans la région pour un documentaire sur la guerre entre la Serbie et la Croatie. Ils se rendent à Vukovar où les deux nationalités se côtoient mais vivent largement séparées (jusqu’en maternelle où il y avait avant un grillage pour empêcher les enfants serbes de jouer avec les croates et vice versa), et entendent parler du Liberland qui va fêter ses un an et qui se trouve à à peine à une centaine de kilomètres. 

La folle aventure commence mais rien ne se passe comme prévu et ce qui passait pour une vaste blague reste quelque chose d’abstrait.

Le « Président » Vit passe plus de temps à se montrer lors de conférences, etc. qu’à faire autre chose. 

Beaucoup se sont portés volontaires et ont vite déchanté face à l’ampleur des travaux mais aussi face à la difficulté de la tâche. Attirés par un fantasme sur le papier, des témoignages montrent comme l’idée est vaine, comme le projet du Liberland n’est finalement qu’une illusion. 

Car comment vivre là où on ne peut se rendre ? 



Voyage au Liberland est une enquête passionnante ancrée dans le temps. C’est l’époque qui permet de telles réflexions. De même l’épidémie de Covid qui s’insère dans les derniers chapitres (évidemment Vit et ses petits copains ne croient pas au virus…) nous rappelle comme cette histoire est une histoire d’aujourd’hui, avec des préoccupations d’aujourd’hui.

Dans une zone déchirée par les conflits, des hommes ont cru pouvoir s’emparer de ce qui est à personne, eux qui ne veulent aucune limite si ce n’est celle de la propriété se retrouvent au coeur d’une zone de tension entre deux pays vivant dans une paix toute relative. 


Certains passages font froid dans le dos, certains font lever les sourcils (impossible de m’empêcher de me dire que parfois, c’était vraiment une belle brochette de débiles, mais ça reste un jugement purement personnel…), certains amusent, mais quoi qu’il en soit, les journalistes ont écrit un livre ultra complet sur la question. Ils ont abordé chaque thème, chaque situation dans une écriture concise, mise au service de l’enquête.


Je ne connaissais pas les subtilités autour des libertariens, des anarco-capitalistes et j’en passe, je ne connaissais pas l’existence complètement folle de ce pays non reconnu, le Liberland. 


Un ouvrage ultra documenté et intéressant pour en apprendre un peu plus sur la réalité des folies de notre monde ! 







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