dimanche 13 mars 2022

Dating fatigue : amours et solitudes dans les années (20)20 de Judith Duportail

La dating fatigue. C’est un épuisement mental d’un nouveau genre. La version XXIe siècle de la mélancolie amoureuse. […] La dating fatigue, c’est quand on se sent trop petit pour notre liberté amoureuse. C’est la nouvelle saveur du vide dans la multitude. Le vide qui nous happe quand notre téléphone ne cesse de sonner, mais qu’aucun message ne nous semble directement adressé. […] C’est le sentiment de mort qui durcit au sein de son coeur lorsqu’il nous semble avoir emprunté pour la millième fois le même ascenseur émotionnel, entre espoir, date, projection, ghosting et déception. C’est quand on se rejète que la prochaine fois on ne se laissera pas avoir. On y croira un peu moins fort, on en donnera un peu moins on restera davantage recroquevillé à l’intérieur de soi. Mais alors, si on se renferme trop, ne risque-t-on pas de passer à côté de quelque chose ? La dating fatigue, c’est ce dilemme.


Judith Duportail est connue pour avoir écrit L’Amour sous algorithme, un livre-enquête où elle dévoile les dessous peu reluisants de Tinder. Pas besoin de l’avoir lu pour apprécier Dating fatigue, amours et solitudes dans les années (20)20



Judith s’interroge sur l’état de l’amour aujourd’hui, sur le couple, l’amour hétérosexuel (parce qu’elle se considère comme tel), mais l’amour homosexuel et même le « polyamour » sont aussi présents et interrogés. 

La société impact profondément nos rapports les uns des autres, d’autant plus quand il s’agit d’une relation homme/femme. L’auteure décrit une situation intime vécue avec une femme, elle en use comme exemple pour montrer à quel point la situation aurait été bien différente si elle avait été face à un homme. 

Elle déplore cette situation, l’impossibilité de se comporté d’une certaine façon parce qu’elle est une femme. Son comportement qui n’est pas choquant quand il est dirigé contre une femme devient aguicheur, voire sulfureux face au sexe opposé. 

À l’inverse si ça avait été un homme, nul doute qu’on aurait pris son comportement pour de la virilité…  



Avec Dating fatigue, il ne s’agit pas seulement de relation de couple mais d’amour et de société. De la place de la femme dedans, de son image. 

Comment être heureuse et épanouie quand il faut sans cesse jouer un rôle ? Quand on s’oublie au détriment des autres ? 

Comment, dans ce contexte, dans une société qui nous insulte des centaines de fois par jour depuis notre enfance, qui, selon le philosophe Simon Lemoine, fait de nous des « manque d’être », des personnes qui ne se définissent plus que parce qu’elles ne parviennent pas à être, prendre conscience de notre valeur ? Se respecter soi-même dans un tel contexte relève de l’acte de bravoure extrême. 

Je repense à toutes les fois où j’ai ri à des blagues que je trouvais humiliantes pour ne pas avoir l’air coincée, où je me suis couchée tard quand l’autre ne voulait pas dormir, à toutes les fois où j’ai souri pour avoir l’air agréable, toutes les fois où j’ai tu mes opinions pour ne pas envenimer les choses, toutes les fois où le bien-être de l’autre est passé avant le mien, toutes les fois où je me suis écrasée, rapetissée toute seule (enfin toute seule…, plutôt bien aidée par la société), et je me rends compte que ce sont toutes ces fois-là où je me suis manqué de respect. Ce n’est pas le sexe qui salit, non, c’est de se trahir pour correspondre aux attentes d’un autre. 


En revenant sur son travail sur Tinder, l’auteure insiste sur la difficulté de rencontrer du monde quand on refuse les sites de rencontre. C’est bien simple on a l’impression que c’est le seul outil permettant de rencontrer des inconnus. Depuis l’émergence de ces sites de rencontres, on sur-consomme et on transforme les êtres en vulgaires objets dignes, ou pas, d’être swipés du bon côté.


Néanmoins il ne faut pas perdre espoir et c’est en cela aussi que j’ai aimé ce titre. Judith Duportail est complètent paumée. Elle ne sait plus ce qu’elle aime, a peur que ses goûts aient changé. Cet essai est une exploration dans le coeur d’une femme au 21e siècle. Une femme seule qui aimerait ne plus l’être mais ne sait comment faire pour palier à la solitude. Une femme esseulée qui se cherche et espère bien se trouver. 

 

L’auteure conclut sur le journalisme narratif « exige[ant) d’enquêter autant à l’extérieur qu’à l’intérieur de soi ». Un journalisme d’un nouveau genre donc où il n’est plus question d’être impartial : 

« Tant de journalistes prétendent ne pas vouloir  se mettre en avant en se réfugiant derrière l’emploi de la troisième personne du singulier. Je crois, moi, qu’il s’agit de fausse pudeur et qu’ils ne veulent pas assumer ce qu’ils écrivent. […]

J’appartiens à la génération de femmes et de journalistes qui assument leur subjectivité pour espérer - je dis bien espérer, car nous savons, nous, qu’il n’est pas possible de l’asséner - porter un propos universel. Mon livre est un appel à l’introspection, un appel à creuser au fond de soi pour déconstruire les entraves à notre liberté que le patriarcat nous a imposées. Une fois ces carcans explosés, notre devoir est d’aider quelqu’un d’autre à s’en libérer : « La fonction de la liberté est de libérer quelqu’un d’autre », écrivait Toni Morrison. »

 

Peu habituée aux essais j’étais curieuse de voir ce que pouvais donner ce titre. Judith Duportail nous entraîne dans des interrogations à la Bridget Jones 2.0 où la virtualité a pris le pas sur le réel et où les femmes essaient courageusement de se faire aimer sans se trahir. 

Une réflexion intéressante sur notre société et la place laissée à l’amour.






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