dimanche 16 janvier 2022

Au café de la ville perdue d'Anaïs Llobet

« Qu’est-ce qui unit des zones disparates en une seule et même ville ? Un passé commun ou le vide qui les délimite ? En séparant avec un fil de fer les différents quartiers de Varosha, les Turcs ont-ils crée une nouvelle ville ? »

1974, invasion de Chypre par l’armée turque. 

Point de départ du destin de la jeune Ariana et surtout de la disparition de cette ville, Varosha. Ville fantôme entourée de barbelés. 

L’exil est le mot d’ordre du roman qui nous entraîne au sein d’une histoire méconnue. 

La situation réelle de Varosha, ce statut de ville vidée de ses habitants en 1974 et devenue zone d’occupation par les turques, donne l’occasion à Anaïs Llobet d’élaborer l’histoire d’Ariana et de sa famille. 



Par le biais de la mise en abîme, la narratrice qui s’installe dans le café du père d’Ariana, Andreas, enclenche le déroulement du récit. 

Le café, Tis Khamenis (« La Ville perdue ») est le théâtre du livre, le lieu où la ville respire, renaît de ses cendres grâce aux récits des témoins. 

J’ai aimé en apprendre plus sur l’Histoire de Chypre, sur cette intervention militaire et toutes les conséquences qui en ont découlées. C’est l’aspect qui m’a le plus intéressé, qui m’a tenu en haleine tout du long. 

S’attacher au particulier, à une famille et une seule, peut éclairer l’Histoire de tout un peuple à un instant T, c’est le cas de la famille d’Ariana dont on perçoit qu’elle représente l’histoire de cette maison en particulier, cette adresse en particulier : le 14 rue Ilios. 


Anaïs Llobet nous entraîne sur les traces du passé de cette maison, sur ses habitants, les grands-parents d’Ariana. 

Comment dès lors se séparer de ce lieu représentant le passé, les racines ? Comment accepter un exil si proche géographiquement ? Varosha n’est pas loin bien au contraire, et on voit avec quelles facilités il est facile de passer les checkpoint, mais non, Varosha demeure inapprochable, insaisissable. 

En faisant la connaissance d’Ioannis et Aridné, l’auteure nous plonge dans l’Histoire de Chypre. Il est chypriote grec, elle est chypriote turque. Elle va tous les jours manifester pour son peuple sur la plage, seule, avec une pancarte toujours différente. Ils vont s’aimer mais rien n’est simple à cette époque, et encore moins quand les proches s’en mêlent… 


J’adore par-dessus tout découvrir des histoires méconnues, des faits survenus mais inconnus pour moi. J’étais très étonnée de découvrir l’existence de cette ville désertée simplement à cause de militaires. Qu’une ville comme Pripyat devienne ville fantôme, je peux facilement le concevoir, mais là… 


Le roman est en soi une belle réussite, l’écriture est dynamique avec un soupçon de poésie, et le choix de mise en scène de l’auteure plutôt ingénieux - j’ai aimé la mise en scène de la peur de ne pas être fidèle aux témoignages, de ne pas rendre justice à l’histoire du 14 rue Ilios, etc. 

Petite déception pour tout ce qui concerne le vieil ami d’Ioannis, j’ai trouvé son personnage pertinent dès lors qu’il était question de son engagement vis-à-vis des chypriotes grecs mais l’histoire avec Aridné va trop loin à mon goût. 


La dernière page se tourne avec un sentiment en demi-teinte : la promesse d’un monde meilleur - on apprend qu’en 2019 la Turquie a annoncé la réouverture de Varosha - mêlée au souvenir de destins brisés. 


Après une telle lecture, il est grand temps que je découvre Des hommes couleur de ciel


« Tout sur cette île était immuable, l’amour comme la haine, le ressac des vagues comme la guerre. »





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