dimanche 1 avril 2018

Le Coin des libraires - #91 La Confusion des sentiments & Un soupçon légitime de Stefan Zweig

Les nouvelles de Stefan Zweig sont tellement courtes que je préfère généralement en lire deux à la suite. De cette façon, je me réconforte en me disant que j'ai pu découvrir d'autres oeuvres de lui sans pour autant avoir le sentiment de trop en lire trop vite - dixit la fille qui n'a toujours pas lu Le joueur d'échecs ni même Le Monde d'hier... mais c'est un instinct de conservation, que puis-je dire d'autre ? 

Stefan Zweig est sans doute l'auteur qui sort le plus rapidement de ma pile à lire, mais ça me fait toujours une petite pointe au coeur quand je viens à bout d'un de ses livres - si vous aussi vous ressentez ce même paradoxe, on pourrait rire et pleurer ensemble ! 
Bref, je vais arrêter les plaisanteries et entrer dans le vif du sujet, il est temps. 


Comme toujours et plus encore avec des auteurs que j'aime énormément, je ne lis pas les résumés, c'est vraiment un truc qui me rebute et généralement, je lis la quatrième après coup, une fois le livre refermé et le moins qu'on puisse dire c'est ce que ça spoile souvent... 
Je ne savais donc pas du tout à quoi m'attendre, ou du moins je ne m'attendais pas à l'histoire qui nous est contée dans La Confusion des sentiments. Pour ce qui est d'Un soupçon légitime c'est un peu différent puisque le narrateur nous confie dès le début la tournure des événements. 



  • La Confusion des sentiments (1926)


Ah non, mais on en parle du culot de Stefan Zweig ? Le gars qui, rappelons-le n'est pas homosexuel n'hésite pas à écrire un récit sur l'homosexualité. Bon oui, c'est évident ce n'est plus du tout subversif à notre époque, mais quand on sait qu'au début du XXe Oscar Wilde a fait de la prison pour son orientation sexuelle, quand on sait que l'homosexualité est devenue "légale" en 1971 en Autriche, on peut le dire, c'était audacieux. 

J'ai donc été étonnée par le propos, mais je salue vraiment le courage de l'auteur pour sa démarche. 
Et puis, dans tous les cas, Zweig démontre une fois encore son don pour décortiquer les sentiments les plus complexes. On est rapidement pris dans le tourbillon de l'histoire de ce professeur qui, au crépuscule de sa vie, ressent la nécessité d'évoquer des souvenirs enfouis, de parler de son professeur qui a changé sa personne, qui lui a révélé un monde jusqu'alors inconnu. 
Alors oui, comme je le dis plus haut, ça n'a rien de subversif pour nous aujourd'hui si bien que le comportement du professeur de Roland (le protagoniste) paraît parfois incompréhensible. En revanche, quand on remet l'oeuvre dans le contexte de sa publication, il devient parfaitement logique et explicable. 
Il en va de même pour le comportement de Roland, fin, faut pas être voyant pour comprendre les sentiments réels de son prof, il n'y a pas non plus besoin d'avoir un master de psycho, mais une fois encore, à l'époque c'était encore réprimé ou simplement caché, ça ne semblait tellement pas normal qu'on peut aisément comprendre pourquoi il n'a rien vu avant. 

Comme toujours dans les nouvelles de l'auteur, c'est la qualité de sa plume qui me subjugue, cette façon d'expliquer des sentiments si puissants et souvent indescriptibles. Zweig a tendance à choisir la difficulté, quand il pourrait écrire sur un homme aimant une femme (schéma qui semble être le plus logique étant donné qu'il était hétérosexuel et a été marié à deux reprises), il choisit d'écrire du point de vue d'une femme ou alors d'écrire du point de vue d'un homme qui, même s'il aime aussi les femmes, a aimé un homme durant un certain moment. Pour ma part, Roland a bel et bien aimé son professeur, ses réactions, ses sentiments le prouvent d'ailleurs suffisamment. 
Je pense que ça demande un certain niveau de compréhension de l'humain pour se mettre à la place de quelqu'un d'autre et de raconter ainsi des sentiments si forts et généralement inaccessibles ou du moins énigmatiques pour autrui. 


"Peut-être que ma sensibilité surexcitée et continuellement sur le qui-vive apercevait une offense là où ne s’en trouvait aucune intention ; mais peut-on après coup s’apaiser soi-même, lorsqu’on éprouve des sentiments aussi perturbés ? Et la même chose se renouvelait chaque jour : près de lui je brûlais de souffrance et loin de lui, mon coeur se glaçait ; sans cesse, j’étais déçu par sa dissimulation sans qu’aucun signe vînt me rassurer, et le moindre hasard jetait en moi la confusion !"
Stefan ZweigLa confusion des sentiments.


Dans tous les cas, j'ai adoré cette nouvelle, j'ai ressenti tout un tas d'émotions et surtout, j'ai pris un énorme plaisir à retrouver la plume de qualité de l'écrivain, à me laisser entraîner par son récit, en bref, ça a été une excellente lecture. J'ai aimé le personnage de Roland qui m'a touché par sa naïveté (et parfois agacé aussi, faut bien le dire) et par sa lucidité d'après coup. C'est généralement ce que j'aime dans les récits rétrospectifs, l'importance de la divergence de point de vue entre ce qu'on raconte et ce qu'on en conserve. La Confusion des sentiments ne fait pas exception, c'est un autre récit qui nous montre une fois encore que Zweig pouvait pleinement saisir la complexité des sentiments. 


Même si à l'heure actuelle, en France, l'homosexualité est quelque chose de parfaitement admis - bon je généralise évidemment, mais j'espère fortement que ça l'est - il n'en reste pas moins qu'aujourd'hui encore, treize pays condamne l'homosexualité, parfois c'est même passible de peine de mort comme c'est le cas ou Iran ou encore au Qatar - et évidemment, on ne parlera pas de la Tchétchénie non plus... 



La Confusion des sentiments & Un soupçon légitime de Stefan Zweig, éditions livre de poche.




  • Un soupçon légitime (1987 - posthume) 


Dès le commencement, on nous décrit cette histoire comme étant tragique, il va donc être question de suivre les événements qui mènent à la catastrophe. Bon, déjà ça partait un peu moins bien que d'habitude. Je n'aime pas trop le fait qu'on nous dise très clairement "ah bah vous allez voir, ça va être la loose pour les personnages, mais attendez de voir hein" du coup, je passe mon temps à attendre le moment fatidique tout en sachant pertinemment que celui-ci n'arrivera probablement qu'à la fin. 

Un soupçon légitime nous donne à voir un petit milieu campagnard, le cadre est resserré, on est près de Bath, on ne change jamais de lieu, si bien qu'on fait vite le tour du propriétaire, mais passons. On suit donc le point de vue d'une femme qui est la voisine du couple qui va être victime de la catastrophe tant attendue. 
Il n'y a pas de réelle surprise - comment pourrait-il y en avoir ? - mais il n'empêche qu'on prend du plaisir à suivre l'enchaînement des événements, à être spectateur de la chute. 
Bon là, pour le coup, on peut le dire, la quatrième spoile mais tellement violemment l'histoire que ç'en est indécent, mais elle résume relativement bien l'histoire finalement - il faudrait quand même comprendre la différence entre un résumé de l'oeuvre et une mise en bouche, fin bon. 

J'ai surtout accroché au développement sur la psychologie du chien, Ponto, la façon dont il s'habitue à être le roi et le fait de refuser d'être mis de côté après avoir été choyé. J'ai vraiment trouvé intéressante cette manière d'analyser ses réactions et ainsi d'en tirer des conclusions par rapport à son comportement. Fin, c'est un peu pareil que pour La Confusion des sentiments, cette nouvelle a été écrite entre 1935 et 1940, la vision des êtres était bien différente à cette époque et pourtant Zweig en grand homme qui tente de percer les secrets des comportements parvient magnifiquement bien à nous décrire la nature animale. 

Le personnage de John Limpley, en quelque sorte à l'origine du drame, m'a énormément fait penser à certains personnages dans des nouvelles de Maupassant, ces êtres qui donnent encore et encore, qui passent leur temps à gâter pour finalement que ça se retourne contre eux. J'ai donc bien aimé son personnage parce qu'il m'en a rappelé d'autres. 


« Qu’ils aillent au diable, lui et son bonheur ! » dis-je, aigrie. « C’est un scandale d’être heureux d’une façon si ostentatoire et d’exhiber ses sentiments avec autant de sans-gêne. Ça me rendrait folle, moi, un tel excès, un tel abcès de bienséance. Ne vois-tu donc pas qu’en faisant étalage de son bonheur il rend cette femme très malheureuse, avec sa vitalité meurtrière ? » 
Stefan Zweig, Un soupçon légitime


Au final, je ne vois pas Un soupçon légitime comme une illustration du grand Stefan Zweig, j'ai passé un bon moment, c'était une lecture agréable, mais on est bien loin de ses autres oeuvres comme Le Voyage dans le passé par exemple. J'en garde un bon souvenir, sans que ce soit inoubliable. Peut-être est-ce pour cette raison s'il n'a jamais publié cette nouvelle de son vivant... 








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