dimanche 21 juin 2020

Le Coin des libraires - Captive de Margaret Atwood

En 1996 paraît le roman de Margaret Atwood intitulé Alias Grace. Il aura fallu la mode de La Servante écarlate pour que le jour se fasse de nouveau sur ce roman, également adapté en série sous le même titre. 

En France, c’est en 1998 que Captive sort dans nos librairies.




Ayant adoré La Servante écarlate (livre comme série), j’avais très envie de découvrir Captive, même si je ne savais absolument rien dessus. En plus j’avais reçu à Noël (2018) la magnifique édition collector publiée par 10/18. Je n’avais plus d’excuse. 


Je ne sais pas si c’est pareil pour vous, mais je préfère toujours lire le livre avant de découvrir son adaptation (et inversement si c’est d’abord un film avant d’être un livre, chose très rare). 

Du coup je voyais toujours la vignette de la série passer et je me disais toujours qu’il fallait que je lise le livre…


Il aura fallu qu’on me mette devant le premier épisode pour que je me décide à ouvrir le bouquin. Et quelle lecture ! 

Je ne savais pas de quoi ça parlait (même si j’avais compris qu’il y avait une histoire de meurtre là-dessous) mais ça avait l’air quand même vachement bien ! 


Pour la première fois j’ai lu le roman et alternativement j’ai regardé la série si bien que je suivais vraiment les deux en même temps. 

J’ai rapidement compris que Margaret Atwood s’était inspirée d’un fait-divers et là, évidemment c’était le jackpot. 


Un fait-divers historique, dont je ne connaissais pas l’existence et où il est question de meurtre et de psychologie, mais que demander de plus ??


J’étais servie il y a pas à dire. 


Criminelle, criminelle, murmure-t-il tout bas. Ce terme a de l’attrait, une senteur, presque. De gardénias de serre. Terrifiante, mais également discrète. Il s’imagine en train de la respirer tout en attirant Grace vers lui, en appuyant sa bouche contre la sienne. Criminelle.


Captive reprend l’histoire de Grace Marks, femme de chambre chez Thomas Kinnear, un bourgeois ayant des relations avec sa gouvernante, Nancy Montgomery.


En 1843, James McDermott assassine le couple et s’enfuit avec Grace. Cerveau de l’opération, complice ou simple victime collatérale, Grace est arrêtée avec McDermott. Condamnée à perpétuité pour le meurtre de Kinnear uniquement (McDermott a pris la pendaison), Grace est restée 30 ans en prison avant d’être graciée en 1872. 

S'il n'y a pas eu la peine de mort pour elle, c’est uniquement en raison de son jeune âge lorsque les faits sont survenus. 


Aujourd’hui encore les raisons autour du meurtre de Kinnear et Montgomery sont mystérieuses, en particulier le rôle joué par Grâce. 

Margaret Atwood s’intéresse d’ailleurs surtout à la jeune femme, aux raisons qui auraient pu la pousser à en arriver là. Choisissant la thèse psychologique, Grâce aurait eu des problèmes, disons schizophréniques, après la mort de sa seule amie, Mary Whitney, décédée des suites d’un avortement. 


La place de choix de Mary dans l’imaginaire de Grâce pourrait expliquer les raisons de son acte : venger la jeune femme décédée à cause, notamment, de sa classe sociale et de son impossibilité d’avoir un enfant au regard de ses conditions de vie. 


Le livre n’est que spéculation et la série reprend bien ces diverses interrogations. 


En des moments pareils, j’envie ceux qui ont trouvé un refuge sûr où accrocher leur coeur ; ou peut-être est-ce que je leur envie d’avoir un coeur à accrocher. J’ai souvent le sentiment de ne pas en avoir et de ne posséder à la place qu’une pierre en forme de coeur ; et d’être donc condamné à «  errer en solitaire comme un nuage  », comme l’a écrit Wordsworth.



Captive de Margaret Atwood, traduit par Michèle Albaret-Maatsch aux éditions 10/18.


  • Du livre à l’écran 


Sans volonté de trancher, Atwood a choisi le parti de l’interrogation. Finalement on en apprend pas plus sur le fait divers et sur Grâce Marks après avoir lu Captive, mais on sort interrogatif et avec un sentiment contradictoire à l’égard de Grace. 


Il en va de même dans la série où la fascination ressentie par le Dr. Jordan (Edward Holcroft) est tout autant celle du spectateur. En équilibre entre la culpabilité et l’erreur judiciaire, on ne sait sur quel pied danser. 

Quelle est la vérité ? Est-ce une histoire macabre largement due aux conditions sociales de l’époque ? chose qu’Atwood décrit parfaitement bien dans son roman avec par exemple la jalousie éprouvée à l’égard de Nancy Montgomery, aussi méprisable que toute bonne bourgeoise qui se respecte (mais n’oublions pas qu’elle n’est en rien une bourgeoise).


J’ai eu la bonne surprise de retrouver Anna Paquin (True Blood, et plus dernièrement dans The Irish Man) dans le rôle de Nancy. 

En campant un personnage détestable elle donne des points à Grace pour laquelle on éprouve que de la pitié. 


La série retranscrit fidèlement ce sentiment d’injustice ressenti à l’égard de Grace. On croit la majeure partie du temps qu’une femme de sa trempe n’a pas pu faire ce qu’on lui reproche. Elle est trop douce, trop calme, trop gentille. 

Mais il faut se méfier des apparences, voilà ce qu’on veut nous faire comprendre. 





En 6 épisodes le spectateur est interrogé sur la difficulté à reconnaître quelqu’un coupable sur le seul fait d’un témoignage (McDermott et Grace ne cessent de se jeter la balle, et un troisième protagoniste y met son grain de sel). La réalisation est efficace et nous met dans une ambiance feutrée, celle, intime, des séances avec un psychologue. 


Le choix de reprendre le titre du roman Alias Grace est très fort. Je le comprends vraiment comme un aveu, celui de la maladie, du trouble de la personnalité. Tandis que le titre Captive est caractéristique de Grace Marks, un être énigmatique, complexe… captivant. 



D’ordinaire je déteste les fins ouvertes, mais là il y a à mon sens une nécessité de ne pas trancher. La thèse psychologique est parfaitement plausible. La thèse de l’influence de Grace sur McDermott l’est aussi. 

On ne saura jamais les raisons de cet acte, on ne saura jamais qui est véritablement coupable, qui a manipulé qui, qui est à l’origine du massacre. 


L’Histoire est composée de zone d’ombre et ce fait divers, survenu au 19e n’y coupe pas. 

Grace était un cas clinique avant l’heure, ou était-elle simplement une tueuse jalouse et dépravée. Qui sait ? 


Dans tous les cas je recommande à tous ceux qui aiment les faits divers le livre comme la série, ils sont à peu près pareils du point de vue de l’histoire, mais ils apportent chacun un éclairage différent sur les principaux protagonistes. 







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