samedi 4 janvier 2020

Le Coin des libraires - Par les routes de Sylvain Prudhomme & La Mer à l'envers de Marie Darrieussecq (sélection 2019 du Prix du Roman des Étudiants)

Pour la deuxième année consécutive, j’ai participé au prix du roman des étudiants lancé par France Culture et RTL. 
Au programme, des auteurs connus, d’autres moins. Dans tous les cas, des histoires différentes. 
Le lauréat n’est autre qu’Anna Becker pour son roman La Maison, dont je parlerai dans un prochain article. 
Autant le dire maintenant, je n’ai pas voté pour lui et ce n’est pas celui dont je vais parler aujourd’hui. 
J’ai choisi de parler de deux livres que j’ai aimé : Par les routes de Sylvain Prudhomme et La Mer à l’envers de Marie Darrieussecq.


  • Par les routes


Avant de découvrir ce court roman, je connaissais Sylvain Prudhomme uniquement de nom. 
Par les routes, c’est l’histoire de Sasha et de l’autostoppeur.
Au départ on entre dans une vie à tâtons. 
Puis au fur et à mesure on va complètement pénétrer dans le monde de Marie et d’Augustin. 
L’autostoppeur c’est cet homme, celui qui est là sans être là, qui part sur les routes au gré du vent, sans véritable destination, sans but particulier. L’autostoppeur, c’est celui qui est libre. De vivre, de découvrir, de rencontrer. 
L’autostoppeur c’est l’éternel absent. Celui dont on a attend les coups de fil, celui dont on espère qu’il a pu manger, qu’il a bien dormi, au sec, dans un coin de la France. 

Le narrateur, Sasha est un vieil ami de l’autostoppeur. Cela fait des années qu’ils ne se sont pas vus - une brouille est survenue, sans qu’on en sache beaucoup - et Sasha vient habiter dans le même patelin pour une raison : la liberté d’écrire. Sasha est écrivain et c’est sans doute le premier point commun qu’il se trouvera avec Marie, la femme de l’autostoppeur, elle-même écrivain d’une certaine façon, puisqu’elle est traductrice de l’italien. 


Au gré des départs de l’autostoppeur, le manque s’installe, l’absence se fait de plus en plus commune et finalement Sasha prend la place de cette figure fugace. 
Par les routes c’est l’histoire de toute une famille et non pas seulement celle de l’autostoppeur. Par les routes c’est l’histoire de Marie, amoureuse transie de cet homme qui ne fait que partir, c’est l’histoire d’Augustin qui doit accepter que son papa ne soit presque jamais là, qui doit supporter l’attente des appels et des au revoir, c’est l’histoire de Sasha, aspirant remplaçant de cette ombre. 

Mais évidemment que c’est aussi celle de l’autostoppeur, de celui qui part « par les routes ». Cet homme contraint de partir à l’aventure pour toujours aller plus loin, pour rencontrer des êtres qu’il n’aurait jamais rencontré jusqu’alors. C’est l’occasion de partager quelques instants de leur vie, l’occasion de les prendre en photo et d’entretenir un rêve, celui de réunir tous les automobilistes qui l’ont un jour pris en stop. 

Mais vivre cette vie c’est dur, surtout pour Marie, tiraillée entre l’admiration et l’énervement. L’amour et l’abandon. 
« Devine où il a passé la nuit roulé dans son foutu duvet, il est fou, devine, dans un hangar à planches à voile, est-ce que tu peux le croire, dans un hangar à planches à voile non mais qui m’a fait un mec pareil, et racontant cela je pouvais voir qu’elle était fière, mon mec dort en novembre dans un hangar à planches à voile et m’appelle à l’aube pour me dire qu’il m’aime, je sentais que cette pensée lui plaisait, qu’elle goûtait leur liberté à tous les deux, celle de l’autostoppeur mais la sienne aussi, sa liberté de femme capable d’aimer un homme au loin, de l’aimer même sur les routes, même absent, de l’aimer avec ses absences — pour ces absences. »

Puis malgré les mises en garde, malgré l’incompréhension, l’autostoppeur ne peut s’arrêter. Il le porte dans son nom, sa destinée : pointer son pouce le plus loin possible afin de rencontrer un homme, une femme, un jeune, une vieille… rencontrer un être humain qu’il n’aurait jamais rencontré ailleurs. Rencontrer une ville en France, un patelin paumé, bref, partir à l’aventure sans boussole, sans destination, sans arrivée. 

Par les routes est mon livre préféré des sélectionnés de 2019. Je l’ai trouvé poétique dans son écriture. J’aime quand les dialogues sont insérés à la narration. Quand les frontières se perdent entre les personnages. Rien n’est explicité, mais on est en droit de se demander si l’autostoppeur existe réellement, s’il n’est pas une sorte de double du narrateur, Sasha ? Peut-être est-ce pour cela qu’il n’a pas de prénom ? Ou peut-être est-ce parce que la seule chose qui le caractérise pleinement, c’est cette action, cette impulsion : faire de l’autostop. 


Sylvain Prudhomme fait de Par les routes un roman de l’errance. Toujours en mouvement, et toujours avec des destinations inconnues. Par les routes c’est la rencontre de la France, de ses recoins, de ses beautés, qu’elles soient sur l’autoroute (beauté de ses automobilistes) ou de son patrimoine (découverte d’une église par exemple). Par les routes c’est une histoire de partage, de générosité, de rencontres et d’immersion dans l’inconnu. 

Enfin, Par les routes c’est la cartographie d’un homme qui ressent la nécessité du mouvement, de se décoller de son quotidien pour aller à la rencontre des autres en voguant ici ou là, à la recherche de destinations inconnues. 
Rythmé par des phrases courtes donnant un caractère percutant, Par les routes est sans doute l’une de mes meilleures lectures de la rentrée littéraire 2019, un roman intelligent qui mérite amplement le prix Fémina. 

« J’ai vu peu de gens, dans ma vie, pour lesquels autrui n’était jamais un poids, jamais une fatigue, jamais un ennui. Toujours au contraire une chance. Une fête. La possibilité d’un supplément de vie. L’autostoppeur était de ces êtres. C’était comme s’il avait constamment à l’esprit la pensée que chaque être placé sur sa route ne le serait peut-être plus jamais. La conscience que s’il voulait le connaître, c’était maintenant. »




  • La Mer à l’envers 


Marie Darrieussecq est une auteure que j’apprécie énormément. Je suis loin d’avoir lu tous ses oeuvres, mais Naissance des fantômes, et surtout Être ici est une splendeur, sont des textes très intéressants. 
Pas besoin d’expliquer la joie ressentie lorsque j’ai vu que son dernier roman La Mer à l’envers était en lice pour le prix. 


Bon autant en finir maintenant, le thème n’a rien d’original. Voici encore un texte sur les migrants, comme il semble que ce soit la mode depuis quelques temps… dès lors que j’ai compris qu’il allait s’agir de migrants, j’étais sur la réserve, avec moi, ce thème, ça passe ou ça casse. 
Ça s’engageait pas franchement bien au début, puis avec les pages qui se tournent d’elles-mêmes, je dois dire qu’en réalité, c’était plutôt une bonne lecture. 

Pas de coup de coeur, pas de critique dithyrambique sur ce roman, non, simplement l’explication d’un ressenti plutôt positif. 

Rose, l’héroïne part en croisière avec ses enfants. Lors de la croisière, une pneumatique de migrants apparaît : ils ont besoin d’aide. Le bateau de croisière les recueille et Rose fait alors la rencontre de Younès, à qui elle donne le téléphone de son fils. 

On pourrait croire que tout s’arrête là, que Rose va sagement rentrer chez elle retrouver son mari, sa petite vie tranquille à Clèves, mais il n’en est rien. 
Younès appelle Rose sur son portable, s’effectue alors une espèce de transposition du fils de Rose à qui appartenait le téléphone, et Younès, ce jeune migrant en situation précaire. 

« Il a un léger sourire. Le sourire du désastre. Avec un peu de joie perdue, comme si la joie était une fiole avec un reste au fond. » 

Cette histoire est, comme beaucoup l’ont déjà dit, une histoire de notre temps. Elle met en situation des personnages aux prises avec une réalité bien connue : que ferait-on pour les migrants ? est-il simple de les aider ? que peut-on faire, à notre échelle, pour leur apporter notre soutien ? 

Rose décide de venir en aide à ce jeune homme qu’elle assimile parfois à son fils. Elle décide de l’accueillir chez elle malgré les difficultés, malgré les commérages et les mises en garde de son mari. Rose n’en a que faire. Elle ira à Calais chercher ce fils d’adoption, elle prendra soin de lui jusqu’à ce que la blessure s’atténue, jusqu’à ce qu’il puisse passer la frontière. 

La Mer à l’envers est un roman sur la solidarité, sur la nécessité de venir en aide à autrui. La Mer à l’envers c’est aussi l’amour filiale, la générosité d’une mère à l’égard d’enfants. Le besoin même de s’ouvrir aux autres pour leur permettre de vivre plus dignement, du moins plus convenablement. 
Si le message est beau, je n’ai pas retrouvé la magnificence de la plume de Darrieussecq. J’ai d’ailleurs été étonnée par son style dans ce roman. Habituée aux phrases à rallonge, j’étais plutôt surprise de voir des phrases relativement courtes. 
Aussi, depuis que j’ai terminé cette lecture, une question me taraude : y a-t-il correspondance entre son roman Clèves et l’utilisation de la ville de Clèves pour illustrer l’ennui ? si vous avez une réponse à m’apporter, n’hésitez pas ! sinon je verrai bien quand je le lirai… 








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