mercredi 12 juin 2019

Le Coin des libraires - #133 L'amour propre d'Olivier Auroy

Il y a quelques mois, j'ai été contactée par Olivier Auroy en personne pour me proposer de recevoir son dernier roman, L'amour propre, publié aux éditions Intervalles. Généralement je refuse la plupart des services presse, excepté ceux des maisons d'éditions avec lesquelles je suis partenaire (ce qui se compte littéralement sur les doigts d'une main). Mais là l'histoire avait l'air intéressante, et puis comme je n'avais pas de date butoir pour le lire, je me suis laissée tenter. 



Au salon de massage de M. Victor, rue de Courcelles, Waan semble jouir d’un statut de favorite. Est-ce parce que le propriétaire des lieux l’a vue grandir ?
Depuis qu’elle est devenue orpheline, Waan sait gré à M. Victor de lui avoir évité la fin tragique de la plupart des filles de sa condition en Thaïlande. Mais toute protection a un prix, et si l’écrin somptueux dans lequel elle pratique aujourd’hui n’a rien à voir avec les arrière-cours miséreuses de Chiang Rai, depuis quelques semaines Waan ressent une inquiétude diffuse.
Il y a ce ministre qui la harcèle de questions, et ce reporter dont elle attend les visites avec davantage d’impatience qu’elle ne veut bien l’admettre. Il y a surtout les silences de M. Victor, qui semblent dissimuler le passé derrière les tentures opaques du salon. Waan envisage alors de tout plaquer. De ne plus masser le corps des hommes. Mais a-t-elle vraiment le choix ?


La raison principale pour laquelle j'ai, de prime abord, craqué, c'est le mention du fait que ce livre est un thriller. On est mis dans le bain dès les premières pages avec un style percutant et assez cru. 
On fait la connaissance de Waan, on la découvre en trois temps : le premier correspond à son enfance avec ses parents, avant que son père, l'expert en rubis, ne soit sèchement supprimé, le deuxième, c'est son quotidien à Chiang Rai, où elle apprend l'art du message grâce à son amie Apsara, un katoï, le troisième n'est autre que le présent, Paris et le salon de massage de M. Victor. 

Dès le début des questions se posent, qui est réellement M. Victor si ce n'est un ancien ami et collaborateur de son père ? a-t-il des choses à voir avec sa mort ? pourquoi a-t-il mystérieusement disparu pendant des années, laissant Waan et sa mère être mises à la porte, laissant Waan accomplir des massages (qui ne sont évidemment pas seulement des massages) ? Ceci représente à peine la moitié des questions que l'on se pose durant la lecture de ce roman. 

J'ai aimé suivre le personnage de Waan. Son passé donne une vision nouvelle, il permet de réfléchir à ces rumeurs, ces légendes urbaines au sujet des salons de massage thaïlandais dans lequel les femmes se laissent aller à la prostitution. La prostitution est interdite là-bas, mais visiblement sous couvert de délivrer des massages, les thaïlandais reçoivent en fait bien plus, comme on le voit lorsque Waan se remémore ses souvenirs de Chiang Rai. 




Et puis on se rend compte que même en France, c'est clairement limite. Notre bon vieux M. Victor, qui a mis en place un règlement très stricte n'hésite pas à ordonner qu'on y fasse des entorses afin de graisser la patte du client - c'est évidemment le cas dès lors qu'il veut forcer Waan à assouvir les envies d'un de ses clients de renom. 
La crudité est aussi présente que le vulgaire, rien n'est épargné à Waan comme rien n'est épargné au lecteur. Ce qui n'est pas plus mal, le lecteur n'est pas pris avec des pincettes mais au contraire, on le malmène, on lui montre des choses abjectes, injustes. 

L'amour propre est un roman du féminin, les femmes y sont célébrées, elles sont mises en avant afin que soit dénoncé une forme de commerce sexuel, même d'esclavage sexuel, car comment appeler une situation où une femme est indirectement menacée d'être tuée si elle n'accède pas à la volonté de son "maître" ? 

Les personnages féminins ont la part belle, ils ont tous quelque chose d'attachant, même Mme Zhang qui apparaît elle aussi comme une victime, sans doute la victime originelle. Les hommes, eux, ont un statut plus problématique disons. Certains sont clairement sans coeur, tandis que d'autres apparaissent comme de véritables sauveurs. C'est le cas du père de Waan évidemment, mais aussi de Mathieu, dont le personnage reste néanmoins trouble jusqu'à la fin. 

Justement, parlons de cette fin, du fait que tout est remis en cause dans les dernières pages, ou plutôt que la participation de Mathieu et remise en cause, alors, finalement est-il un adjuvant ou un opposant ? Je suis restée assez dubitative sur la fin, c'est trop ouvert, incertain pour moi. Mais au-delà de ça, j'ai trouvé que c'était un très bon livre qui a l'audace d'aborder un sujet à la limite du tabou. Concernant sa qualification de thriller, elle est méritée, même si personnellement j'ai vu venir certains éléments, comme par exemple la situation de Leïla, qui était, à mon sens, connue d'avance. 
J'ai passé un bon moment avec ce livre, je l'ai lu très vite parce qu'une fois passée le premier chapitre, les pages se tournent, encore et encore jusqu'à atteindre la dernière. 


"L’amour est un faussaire qui se joue de nos faiblesses, de notre peur de la solitude, de notre désir insatiable, de notre quête d’un absolu fantasmé."
Olivier Auroy, L'amour propre





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