samedi 9 février 2019

Le Coin des libraires - #125 La marche de Radetzky & La crypte des capucins de Joseph Roth

Je ne me serais probablement jamais arrêtée sur cet ouvrage si je n'avais pas dû le lire. Trop peu connu, trop peu lu : trop démodé ? Il y a beaucoup d'interrogations quant au fait que Joseph Roth ne soit pas forcément reconnu aujourd'hui. Certains le voit comme un auteur incontournable de la littérature allemande du XXe, d'autres, comme un simple écrivain grignoté par l'alcool et mort dans la misère. 


  • La marche de Radetzky (1932)


Joseph Roth est les deux, auteur sans réelle reconnaissance, il est surtout connu pour ses articles journalistiques. Homme relativement instable aux tendances mythomanes, l'auteur a tenté d'écrire sa grande oeuvre, celle qui ferait de lui un homme reconnu même après sa mort. Peut-être était-il trop imbibé, trop déçu de la vie pour s'en rendre compte, mais Joseph Roth l'a bien écrit son chef-d'oeuvre. Je parle bien évidemment de La marche de Radetzky, roman aux tendances historiques (dans les descriptions "militaires" par exemple), mais surtout, roman hommage à cet âge d'or perdu qu'était l'empire austro-hongrois. 
Hommage donc, mais également critique. Si c'est un monde révolu que nous décrit l'auteur, il le fait avec détachement parfois, avec un regard conscient des erreurs, des impasses et d'une sorte de fatalité. 

Joseph Roth se faisait lui-même un roman familial, c'est du moins ce terme que Freud a utilisé pour parler des enfants qui invente des histoires sur leur filiation. Jeune homme déçu de sa généalogie, il a régulièrement inventé une paternité qui n'était pas la sienne, afin, peut-être, de combler un amour absent (celui du père). 
La paternité est donc importante, on le remarque d'ailleurs tout de suite avec ce roman puisqu'on retrace la vie de trois générations d'hommes Trotta, du grand-père, le héros de Solférino au petit-fils, petit homme sans réelle conviction. 

C'est autant une fresque familiale qu'historique que l'auteur nous livre avec ce roman ayant pour titre la grande marche viennoise, composée en l'honneur de Joseph Radetzky en 1848. Cette marche est symbolique dans la mesure où elle est composée à la suite de la dernière victoire de l'empire, avant que celui-ci ne commence à enchaîner les défaites jusqu'à la fin de la Première Guerre mondiale qui sonnera sa fin.


"Le monde où il valait encore la peine de vivre était condamné à sombrer. Le monde qui lui succéderait ne méritait plus d’être habité par des gens comme il faut."
Joseph RothLa Marche de Radetzky.


Durant tout le roman, l'auteur va s'évertuer à mettre en avant la puissance de l'empire, enfin plutôt, la puissance de l'empereur qui est l'empire, à l'image des Trotta qui le sont tout autant. 
Cette façon de lier l'Histoire à une famille est passionnante. L'auteur parvient à nous faire saisir tout un tas de détails qui sonneront la fin de ce monde. 
Néanmoins, que l'on ne s'y trompe pas, si l'auteur est nostalgique de ce monde révolu, il sait pertinemment que celui-ci n'était pas parfait, il s'évertue d'ailleurs à le prouver. C'est par le biais de l'ironie que l'on comprend les travers de l'empire, que l'on comprend que l'empereur et tous ses sujets se voilent la face. 

Dès le début le contraste est frappant, le roman débute lors de la bataille de Solférino (1859), la première d'une longue série de défaite. Néanmoins, tout au long du roman (quasiment) il n'est fait mention que de cet héros, celui qui a sauvé l'empereur, j'ai nommé Joseph Trotta. 

Ce sauvetage est en réalité le début de la fin. L'anoblissement va conduire les Trotta à la ruine autant que l'Empire lui-même. Car c'est aussi de cela dont il est question, du déclin d'une famille dès lors qu'elle a grimpé les échelons. De simples fils de paysans, Joseph Trotta von Sipolje devient quelqu'un, une personne de renom, respectée et admirée. 
Oui, mais rapidement celui-ci se rend compte des machinations de l'Empire, de ses défauts et de là, la déception pointe le bout de son nez. 

Puis c'est au tour du fils de Joseph, François de devenir quelqu'un. Dans l'impossibilité de devenir soldat (son père le refuse) il deviendra en quelque sorte un double de l'Empereur, incapable de lui survivre en tout cas. 
Finalement, le personnage que l'on suit véritablement, c'est bel et bien Charles-Joseph, petit-fils du héros de Solférino, soldat moyen qui représente assez bien la dégradation de l'Empire. 

Finalement, l'Histoire se joue beaucoup entre eux, le père et le fils. C'est à travers eux que l'on va suivre les événements jusqu'au déclin. L'Histoire en elle-même est présente en filigrane, il y est parfois fait mention explicitement d'autres fois, de manière assez discrète. On observe des dialogues sur la chute, le déclin à venir - surtout par le biais du personnage de Chojnicki, sorte de prophète fou - mais au-delà de ça, c'est dans l'intimité des personnages que tout se joue.


Comme vous pouvez vous en douter, j'ai adoré ce livre. Je l'ai trouvé extrêmement enrichissant. Il m'a permis d'en apprendre plus sur l'histoire par le biais de personnages tout ce qu'il y a de plus fictifs. J'ai aimé la plume de l'auteur que j'ai trouvé suffisamment descriptive sans être trop lourde. 
À titre comparatif, je dirais que L'éducation sentimentale (1869) de Flaubert possède certains traits de La marche. Le plus gros point commun est l'histoire du particulier, c'est-à-dire de parler d'une époque, sans mettre en avant son Histoire, mais laisser l'histoire se dérouler en toile de fond autour de personnages plus ou moins concernés par celle-ci. Néanmoins j'ai mille fois préféré le roman de Roth. 

Du coup après ma lecture, j'ai eu envie de me plonger dans La crypte des capucins, sans être à proprement parler une suite, il s'agit d'un autre Trotta, un parent éloigné (cousin) de celui rencontré dans La marche de Radetzky, mais toujours un descendant slovène, du village de Sipolje. 


"Les grandes douleurs étaient déjà chez elles dans son âme et les nouvelles douleurs ne faisaient que venir retrouver les anciennes, comme des soeurs depuis longtemps attendues."
Joseph RothLa Marche de Radetzky.




  • La crypte des capucins (1938)


Tout comme pour La marche, le titre de cet ouvrage est symbolique puisqu'il s'agit d'un caveau à Vienne où sont inhumés les Habsbourg. 
C'est toujours le récit de la fin, de la chute d'un monde qui avait bien des défauts, mais qui était malgré tout chéri. 
Si La marche est teinté d'une certaine ironie, La crypte des capucins est davantage vu comme un texte sombre et sans espoir. En effet, Roth, qui s'est exilé à Paris lors de la montée du nazisme en 1933 (et jusqu'à sa mort en -39) a passé un dernier séjour dans sa Vienne adorée, en 1938, soit la même année que la publication de ce livre, la même année que l'annexion de l'Autriche par l'Allemagne à laquelle l'auteur a assisté avant de revenir en France. 

Si c'est un roman plus sombre, c'est bel et bien parce qu'il a été écrit à une période plus sombre. L'auteur parlait d'un monde révolu, celui de l'Empire Austro-Hongrois, désormais, le monde est mort, sans possibilité de régénération.

Notre héros est bien loin des Trotta, il se prénomme François-Ferdinand Trotta est vit la grande vie à Vienne. Il ne sait pas grand chose, ne fait pas grand chose non plus, si ce n'est vivre de manière légère comme seul un bourgeois sans souci peut le faire. 
Et puis fatalement, c'est la chute. Après s'être engagé dans la Première Guerre mondiale, il reviendra sans honneur, sans rien en fait. Le monde a changé, il lui va falloir changer également. 

François-Ferdinand est incapable, il est paralysé par une vie trop douce, si bien que quand la dure réalité le rattrape, il ne peut rien faire, il est impuissant et on comprend à quel point cet homme est la représentation de l'Empire perdu. Antihéros sans ambition, il est à l'image de ce monde dans lequel il a toujours évolué, mais dont il n'a pas compris la chute. Les illusions se bousculent et explosent. 

Pourtant, il y a la base d'un beau message de tolérance dans ce roman, celle d'une amitié entre trois hommes que tout opposent, ils sont de religions et classes sociales différentes, la seule chose qu'ils ont en commun : l'Empire.
Le message de l'auteur, c'est aussi que l'Empire, ce n'était pas seulement Vienne et Budapest (capitale de l'empire d'Autriche, du royaume d'Hongrie), l'Empire, c'était aussi tous ces lieux reculés, c'était la Galicie par exemple (lieu de naissance de l'auteur) tout autant que la Moravie ou la Bohême. 
Ici, Roth nous montre une image idéale, celle du pouvoir des peuples entre eux, celle de l'union de l'Europe pour vaincre l'ennemi nazi. 



C'est un roman funèbre, à l'image de ses dernières pages où Trotta, complètement désemparé veut entrer dans la crypte des capucins pour voir François-Joseph. Il est finalement rendu au silence par un moine lorsqu'il prononce les premières paroles de l'hymne impérial Autrichien. C'est fini, ceci est du passé, il ne faut plus en parler. 


"La mort, il est vrai, croisait déjà ses mains décharnées au-dessus des verres que nous vidions, mais nous ne voyions pas la mort, nous ne voyions pas ses mains."
Joseph Roth, La crypte des capucins





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