samedi 13 octobre 2018

Le Coin des libraires - #115 La Saison des fleurs de flamme d'Abubakar Adam Ibrahim

Excellente lecture ? Coup de coeur ? J'hésite encore. La Saison des fleurs de flamme d'Abubakar Adam Ibrahim est en tout cas un roman plein de surprises. 


J'aimerais en premier lieu remercier Babelio et les éditions de l'Observatoire pour ce roman. J'ai lu Ces rêves qu'on piétine de Sébastien Spitzer (dont il faut encore que j'écrive mon avis) et j'ai eu sacrément envie de me procurer d'autres livres de cette maison d'édition. J'ai notamment acheté Réelle de Guillaume Sire le mois dernier. Voilà que la masse critique sort et que j'ai la bonne surprise de trouver cet ouvrage dans la liste. Ni une ni deux je le demande et deux jours plus tard, je reçois la confirmation. Il ne me reste plus qu'à l'attendre et à le lire. 


Une fois reçu, je me plonge rapidement dedans. Je n'ai pas beaucoup de temps, j'ai des livres à lire pour les cours, mais tant pis, je suis prise dans le feu de l'histoire. 


Lorsque Binta surprend Reza en pleine effraction chez elle, couteau à la main, son destin s’enlace à celui du jeune dealer. Malgré l’étrangeté de leur attirance réciproque, à leurs yeux interdite, éclot entre cet homme de main d’un politicien corrompu et cette veuve musulmane de trente ans son aînée une passion illicite, sensuelle et déchirante.
À travers l’histoire tragique de cette union au parfum de scandale, composée de colères contenues et d’émotions taboues, de couleurs vivaces et d’odeurs éternelles, Abubakar Adam Ibrahim capture l’essence provocante du Nigéria comme peu d’autres romanciers ont osé le faire.


Cette histoire, c'est celle d'une découverte, une rencontre impromptue entre Hajiya Binta, mère de famille ayant la cinquantaine et Reza, la vingtaine et voyou comme c'est pas permis.
On va directement entrer dans leur quotidien, leur intimité. Cette histoire interdite apparaît comme banale de prime abord, mais la religion, la morale s'en mêle et alors, une histoire un brin scandaleuse chez nous, va apparaître comme catastrophique là-bas.


"Ce fut à ce moment précis, devait-elle songer plus tard, que les pétales de sa vie, pareils à un bourgeon qui avait enduré un demi-siècle de nuits, se mirent à s’ouvrir enfin."
Abubakar Adam Ibrahim, La Saison des fleurs de flamme.


Leur relation semble dès le départ assez étrange, voire un peu incestueuse d'une certaine façon. C'est parce que Reza ressemble énormément à Murtala (Yaro), son fils aîné décédé, et c'est parce que Binta ressemble à la mère de Reza que celui-ci ressent sans doute une certaine attraction pour elle.
Oui c'est un peu sale quand on le voit de cette façon, mais pourtant l'auteur nous décrit une passion attachante et déchirante à la fois. Un amour impossible dont on aimerait qu'il soit possible.

À côté de cette liaison, on suit bien évidemment les deux personnages de manière alternative. C'est alors l'occasion de découvrir les coutumes et les moeurs du Nigéria. De prendre conscience du fait que la religion occupe une place centrale dans la vie des nigérians - Reza et ses branleurs de copains semblent néanmoins s'en moquer - et notamment dans la vie des femmes.
On comprend rapidement que l'honneur est quelque chose de fondamental là-bas. Le fait d'être une personne respectable compte énormément, d'autant plus lorsqu'il s'agit d'un petit village et que tout le monde se connait.
Binta est une femme respectable, elle a toujours suivi les traditions, elle s'est mariée très jeune à un homme qu'elle n'aimait pas, elle a eu des enfants avec lui, elle lui a survécu et maintenant elle est une veuve de 50 ans qui prend conscience de certaines choses, notamment du fait qu'elle n'a jamais aimée qui que ce soit. Jamais elle a pu sortir de ce moule conçu pour les musulmanes.
En réalité, ce que l'on attend de Binta est simple : elle doit aller à la madrasa (en gros c'est un établissement d'enseignement islamique, un lieu d'apprentissage donc) et se remarier avec son cher voisin. Mais malgré le poids des convenances, le désir prend toujours le dessus.

Le personnage de Reza "Hassan" permet de donner un autre point de vue sur le pays. Ni pratiquant, ni franchement croyant, le jeune Reza est ce qu'on pourrait appeler une petite frappe - c'est du moins ce que l'on pense au début. Il fait des petits larcins, il a une petite clique à ses bottes, rien de bien méchant quoi.
Reza livre l'image d'un pays divisé, pays dans lequel règne la corruption, où les voleurs paient la police pour être tranquilles, où les politiciens orchestrent des kidnappings et autres assassinats.

Binta qui apparaît dès le début comme une des femmes les plus traditionnelles qui soit se laisse finalement aller à la séduction, au sexe et à la salissure.
J'ai le sentiment que les sens ont une place privilégié dans ce roman, il n'y a qu'à voir déjà avec la couverture qui désigne l'importance du toucher que l'on retrouve dans l'histoire, aux côtés de l'odorat qui possède une place toute particulière. Odeur de sexe donc de souillure, odeur d'encens pour masquer le péché. Odeur de fleurs qui sentent la mort aussi. Les sens ont une place de choix dans l'oeuvre, ils sont les guides de ce plaisir jusqu'alors inconnu chez Binta.


La Saison des fleurs de flamme d'Abubakar Adam Ibrahim, éditions de l'Observatoire.


Cet ouvrage pose donc des questions de tradition, de moral, de respectabilité. Une femme ne peut appeler son aîné par son prénom, c'est contraire à la loi à laquelle les musulmanes doivent se plier. Une femme ne peut désirer un homme, qui plus est quand cet homme est de trente ans son aîné et qu'il ne veut pas se marier. La question du mariage est très importante, tout autant que celle de la polygamie.
En effet, l'auteur traite de ce thème par le biais de la fille de Binta, Hureïra qui en est à son deuxième mariage et qui est menacée d'être reléguée au rang de "première épouse" - ce qui signifie donc qu'il n'y a pas quelle...

C'est bel et bien une forme de pression sociale qui jettera le déshonneur sur Binta et qui conduira sa famille à sa perte. Les dernières pages sont absolument effroyables, d'une cruauté sans nom. L'idylle entre les deux était vouée à l'échec, et pourtant, il était difficile d'imaginer que la conclusion ne serait pas uniquement leur séparation.
Il n'y a ni gagnant ni perdant dans cette histoire, la jeunesse ne l'emporte pas sur la vieillesse, pas plus que la respectabilité (bon ok, Binta a une aventure avec un homme ayant 30 ans de moins qu'elle, mais durant le restant de sa vie, elle a été irréprochable, et en soi, qu'on se le dise, elle ne fait rien de mal, Reza est plus que consentant et aucun des deux n'est marié...) sur la corruption et la violence.

Les deux personnages apparaissent comme fragiles, ils semblent être seuls aussi malgré le fait qu'ils soient toujours entourés, Binta de sa famille (en particulier Fa'iza et Umma) et Reza de ses acolytes. Mais malgré tout, ces deux personnages s'offrent avec une nudité complète, ils sont solitaires et ont soif de découverte, d'amour, d'acceptation et sans doute aussi de pardon.
Finalement, je ne pense pas que le pardon ait été la conclusion de leur relation, je pense surtout que tout cela est un beau gâchis. Je pense que ce poids de la moral qui pèse est un véritable poison.


La Saison des fleurs de flamme, c'est une pépite. Une écriture (traduction) absolument addictive et délicate. Un gros plus aussi, le fait que l'auteur a inséré des tournures de phrases provenant de l'arabe ainsi que du haoussa (une des langues officielles du Nigéria). Ces insertions m'ont énormément plu, ça rajoute de l'épaisseur à l'histoire, ça la rend plus crédible dans le sens où ça l'insère bien plus dans son environnement - surtout si comme moi, nous n'avez jamais lu de roman nigérian auparavant !
C'est pour moi une réussite que ce livre, il figure d'ailleurs parmi mes meilleures lectures de cette année 2018.

Un beau et bon livre, que demander de plus ? Merci encore une fois aux éditions de l'Observatoire et à Babelio pour cette découverte !


"Les cendres de la mémoire s’agitèrent et elle eut l’impression de sentir le temps disparaître. Elle retrouvait le goût des larmes amères, elle revoyait les sourires, les clins d’oeil mystérieux et les petits fragments de vie quotidienne qui fusionnaient les uns avec les autres pour former le trésor de son passé."
Abubakar Adam Ibrahim, La Saison des fleurs de flamme.







Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Le ciel en sa fureur d'Adeline Fleury

Quand le varou m'emportera je m'endormirai dans le ciel de tes yeux. Sous les auspices de Jean de La Fontaine, Adeline Fleury nous ...