mercredi 13 avril 2022

Pharmakon d'Olivier Bruneau

Dans un livre ça devrait marquer le début d’un nouveau chapitre, mais pour moi, y a pas de pause, pas de transition ici. Entre le jour et la nuit, c’est juste une simple histoire de luminosité. 

Imaginez ne plus avoir besoin de dormir, ne plus ressentir la fatigue, vivre chaque minute de chaque heure d’une journée. 

Ça vous dirait ? 


Olivier Bruneau s’intéresse au sommeil dans son nouveau roman paru début avril chez Le Tripode : Pharmakon




La définition de ce mot devenu l’éponyme du roman amène le lecteur dans une histoire en demi-teinte, ni salvatrice ni destructrice. 


Un homme, tireur d’élite, est membre d’une entreprise privée de mercenaires : 


C’est dur à croire, mais j’ai beau être un tireur d’élite, je suis même pas sûr d’aimer tirer. Y se trouve juste que je suis trop bon à ça, et je peux pas me permettre de rien en faire. Avoir un don pareil et le laisser pourrir, c’est comme déchirer un ticket de loterie gagnant, celui qui t’assure de pas perdre ta vie à essayer de la gagner.


Le narrateur va être notre cobaye, celui qui teste pour nous le cachet miracle qui bloque le sommeil, l’annihile, l’éradique. 

Le traitement expérimental est délivré sous étroite surveillance et c’est entre les rencontres avec le médecin et les missions sur le terrain que les jours et les nuits vont s’enchaîner. 


La situation s’envenime et le personnage s’enlise.


Le roman, très court, est anxiogène du début à la fin. On sent une catastrophe arriver sans savoir d’où elle pourrait bien venir. 


En Grèce antique le terme pharmakon désigne autant un poison, un remède qu’un bouc émissaire. Le sommeil apparaît tour à tour sous ces trois facettes, à la fois allié et ennemi. 

On sort du roman sonné, dégoûté par certains passages (lors de l’intrusion dans le village par exemple), mais certain d’avoir découvert un personnage qui n’est ni héros ni anti-héros. Un homme paumé, tout simplement.


Pharmakon est un court roman d’anticipation. En concentrant son livre sur un peu plus de 120 pages, Olivier Bruneau n’épargne rien au lecteur : les effrayants progrès de la médecine, l’insensibilité et la mégalomanie des occidentaux face aux villageois, un homme-narrateur un peu à côté de la plaque qui doit rester sur le qui-vive. 

L’oralité m’a semblé en accord avec ce que l’on voulait nous faire ressentir, le narrateur, personnage nébuleux nuancé de gris, n’a pas la clé de la compréhension, comme le lecteur il est perdu, il est un rat de laboratoire qui n’a pas les tenants et les aboutissants. L’oralité renforce l’incertitude directement liée au personnage central et qui, de ce fait, contamine le lecteur. 


Je vous laisse avec cet extrait percutant : 

Mais au fil des ans je n’ai plus supporté cette espèce d’intranquillité permanente. La garde ne doit jamais baisser, l’esprit doit rester toujours en éveil, et jamais il ne trouve le repos véritable. Quelle que soit l’heure de la nuit, il y a toujours quelqu’un d’éveillé quelque part dans le monde qui peut avoir besoin de vous. Les lumières de ce monde-là ne s’éteignent jamais, jamais il ne nous laisse dormir d’un sommeil noir. Le continuum existe sur les réseaux de vie dématérialisée, et ce n’est qu’une question d’années pour qu’il finisse de contaminer tout le reste. […] Quand j’ai essayé d’expliquer ça à mon supérieur, il m’a d’abord ri au nez, et puis il m’a dit que le sommeil n’était plus qu’un luxe réservé à la classe des feignants, cette classe improductive, inférieure, inutile.


Un grand merci à Babelio et au Tripode pour l’envoi de ce titre ! 







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