mercredi 29 avril 2020

Le Coin des libraires - Ces rêves qu'on piétine de Sébastien Spitzer

Les rêves s’effondrent quand ils deviennent passionnants. Quand ils nous couchent, nous happent, sans prévenir. 

Celui-là, il m'a donné envie à la minute où je l'ai vu. Ces rêves qu'on piétine, on en parle de ce titre ? Encore maintenant, il me fait réfléchir. Ces rêves, ceux de qui, de tous ces Juifs décédés au nom de la haine ou ceux de cette femme méprisable mais néanmoins humaine ? Les deux à la fois, voilà pourquoi il s'agit d'un grand livre.

Le premier livre qui a rejoint mon corpus pour mon mémoire. Une lecture unique qui donne à voir les deux faces de la Seconde Guerre mondiale, d'un côté les déportés, les victimes des autres, les bourreaux, les nazis. On suit alternativement Magda Goebbels, enfermée dans le bunker d'Hitler, Ava, qui transporte avec elle ce qu'il reste de Richard Friedländer, père biologique ou beau-père de la "Première Dame du IIIe Reich", raflé et tué. 




Cette alternance est pour moi le point fort de ce roman documenté. Il nous donne à voir les deux facettes, chose que l'on fait très rarement lorsqu'il s'agit d'écrire sur l'époque. Ici on a véritablement le clivage entre les victimes et les bourreaux, ici il est possible de ressentir un sentiment de gêne, lui-même lié à un sentiment d'empathie involontaire pour les bourreaux. 
Magda est méprisable, elle est abjecte jusque dans les dernières minutes de sa vie. Pathétique et datée, elle n'est qu'une vulgaire façade pour un gouvernement uniquement composé d'hommes. 

Des recherches pointues et complètes, c'est ce qui donne évidemment une autre perspective au récit et qui pose la question de l'apprentissage de l'Histoire par le biais de roman documenté, et il est évident que j'ai appris avec ce livre, mais jusque dans une certaine mesure quand même. Je ne prends pas tout pour acquis dans le sens où je vérifie derrière ce qui me semble être vrai - la frontière entre histoire et imaginaire est assez mince quand on y pense. 


Ces rêves qu'on piétine m'a permis de m'interroger sur l'importance que peut avoir le récit de fiction documenté et sur la place de la Seconde Guerre mondiale aujourd'hui dans la littérature : non, ce n'est pas qu'une toile de fond pour mettre en scène des romans sans lien. 

Ces rêves qu'on piétine interroge aussi sur la place du bourreau et de celle de la victime, un bourreau peut-il être un bon anti-héros à l'image de Max Aue dans Les Bienveillantes de Littell ? Pourquoi ressent-on une telle fascination pour la figure du bourreau ? J'ai aimé découvrir cet ouvrage parce qu'il conjugue tellement de choses. 

La plume de Sébastien Spitzer tient aussi un rôle dans toute cette histoire puisque c'est grâce à lui si on la suit de manière prenante. On est pris dans le fil de l'Histoire parce qu'il sait nous la raconter, il sait où aller ce qui permet au lecteur de rester focalisé sur les événements et de ne pas s'épancher sur telle ou telle injustice ou sentiment. Pas d'épanchement, simplement les faits d'une certaine manière. Les faits racontés avec des phrases courtes qui instaurent un rythme assez soutenu.

On découvre qui était cette femme si méprisable, cette narcissique qui se disputait Hitler avec son mari. Parfois, on a clairement l'impression qu'il s'agit d'un plan à trois leur histoire. On sent à quel point il était important pour elle qu'Hitler se rallie de son côté. Tout cela est une question de dévotion, et on peut dire que c'était sans doute une des personnes les plus dévouées de tout le IIIe Reich ! Finalement Joseph Goebbels apparaît bien plus comme un pantin que comme un véritable amour, pion pour cette femme qui voit en lui une occasion de se rapprocher du Führer - après tout, ce n'est peut-être pas vraiment anodin si les prénoms de ses enfants ont tous commencés par un H... 


Une pépite ce livre. Une découverte qui n'en est pas vraiment une puisque comme je l'ai dit au début, j'ai eu envie de me le procurer dès sa sortie. Un premier roman remarquable qui mérite les bonnes critiques qu'il a reçus, j'espère bientôt pouvoir découvrir Le cœur battant du monde

Le mépris, le dégoût de soi, ça vous met l’âme en morceaux. Une marmelade d’orgueil mélangé au remords. Mais il y a pire encore. Le blâme et l’opprobre au sein des prisonniers, le refus de la solidarité quand tout se tient là. Le dos tourné des survivants est bien plus douloureux que le mal des bourreaux. L’injustice altère. L’ignominie réduit. La soumission gangrène. 







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