mercredi 15 janvier 2020

Le Coin des libraires - La Condition pavillonnaire de Sophie Divry

Il y a quelques mois je vous parlais du très bon Journal d'un recommencement, deuxième livre de Sophie Divry - et le premier à être édité dans la collection Notabilia. Si j'avais trouvé celui-ci très intéressant, c'est un peu différent pour La Condition pavillonnaire dont j'attendais beaucoup. 



La Condition pavillonnaire nous plonge dans la vie parfaite de M.-A., avec son mari et ses enfants, sa petite maison. Tout va bien et, cependant, il lui manque quelque chose. L’insatisfaction la ronge, la pousse à multiplier les exutoires : l’adultère, l’humanitaire, le yoga, ou quelques autres loisirs proposés par notre société, tous vite abandonnés. Le temps passe, rien ne change dans le ciel bleu du confort. L’héroïne est une velléitaire, une inassouvie, une Bovary… Mais pouvons-nous trouver jamais ce qui nous comble ? Un roman profond, moderne, sensible et ironique sur la condition féminine, la condition humaine.
Mention spéciale du jury du Prix Wepler-Fondation La Poste 2014


Franchement, je me languissais de me procurer ce livre et de me plonger dedans. J'ai trouvé Journal d'un recommencement réfléchi, intelligent dans son traitement comme dans son propos, tandis que là, il y a un gros point noir.

On suit cette femme, M.A., d'abord une adolescente qui rêve de grandeur dans sa campagne étouffante. Elle part dans une grande ville pour ses études, puis la vie suit son cours. Un premier amour déçu, une première fois sans importance en Espagne, durant les vacances, puis une autre rencontre, la bonne cette fois, c'est François. 
La routine, l'amour, la fin des études, le travail, le pavillon avec jardin. C'est finalement les enfants, l'arrêt maternité, la reprise du travail, la lassitude de la vie de famille, l'adultère provoqué par un pseudo amour qui n'en est sûrement pas un, qui, en tout cas, ressemble plus à une échappatoire. 

La vie est sans grande surprise pour cette femme qui refusait de vivre comme ses parents. Ses rêves de grandeur s'effrite au fur et à mesure pour ne laisser que ce qu'elle a toujours connu : le quotidien dans sa banalité la plus totale. 

Cette Emma du XXIe siècle n'est pas bien intéressante. En fait, sa vie semble tellement basique et commune qu'on se demande à quoi bon. Pourtant, malgré cette platitude, j'ai aimé suivre cette femme, ses aspirations d'adolescente paumée, ses remises en question d'adulte, ses questionnements sur ce qu'est devenu sa vie, son amour pour son mari. Comment en arrive-t-on là ? À une vie que l'on rejetait ? Comment peut-on en quelque sorte se trahir pour la routine, pour l'amour ? 


Jusque-là, vous vous demandez sans doute pourquoi j'ai dit au début que ma lecture n'était pas à la hauteur de mes espérances.
Et ben, la réponse est simple : j'ai détesté la narration. 
J'ai haï ce "tu", celui dont le narrateur use pour parler de la protagoniste, à l'image d'une enfant qui rappelle sa vie à un parent trop vieux pour s'en souvenir. 

J'ai aimé le fait que le personnage semble être sans contrôle sur sa vie, paraît la subir sans s'en plaindre. M.A. s'est résignée, peut-être à l'image de ces femmes trop nombreuses, celles qui ont baissé les bras face à la difficulté de justement être une femme. 
Après tout, la femme doit être une bonne ménagère, elle doit préparer le repas, s'occuper des enfants, veiller au grain. Elle a le droit à cette vie rangée, sans remous, sans péripétie. 
Elle a droit à cette condition pavillonnaire, peut-être écho à la condition féminine. 

Il y a des points positifs, la preuve, mais comment s'accrocher à un personnage quand la narration nous en sépare ? Ce "tu" qui amène de la distance, qui me fait comprendre qu'il s'agit bien de quelqu'un que je ne suis pas. Aucune identification possible, une envie de crier que ce roman n'est pas un hommage, pas plus qu'un manifeste. J'ai été gênée par ce "tu", par sa présence trop fréquente, par l'utilisation de ce procédé qui m'a donné le sentiment de m'immiscer dans quelque chose qui ne me concernait pas. 

Je ne me suis pas identifiée à Emma Bovary que j'ai toujours trouvé superficielle et un brin ennuyeuse, et il en va de même de cette "M.A." moderne qui m'a touché lors de certains passages, mais qui m'a laissée de marbre durant presque tout le bouquin. 

Certaines digressions m'ont semblé rajouté à cette lassitude de lecture, tels la longue description sur les voitures. Franchement, je comprends l'intérêt d'en parler, d'insérer la vie de cette pauvre femme dans un contexte culturel et économique, mais quand même quoi, pas besoin de s'attarder sur deux-trois pages...

Mais finalement, le problème est multiple, c'est la narration, et c'est aussi le propos. 
Qu'est-ce que l'auteure cherche à dire ? Essaie t-elle de parler de la condition des femmes comme je l'ai écrit plus haut ? Ou alors cherche-t-elle à expliquer que M.A. est dans cet état à cause de la "condition pavillonnaire" ? 
Non parce que je trouve que son personnage est bien gentil, mais il n'est quand même pas très ambitieux. Elle rêvait de grandeur, oui, oui, mais à quel moment a-t-elle essayé de repousser ses limites ? D'aller plus loin que ses parents qu'elle prend pour des campagnards pas très malins ? 
À aucun moment.

Finalement, je vois M.A. comme une grosse frustrée, une de celles qui souhaitent que le monde soit à leur portée, mais qui jamais ne se baisseront pour l'attraper. Elle attend que tout lui tombe entre les mains. Elle attend que ses parents triment pour lui offrir une vie qu'ils n'ont pas pu avoir. Elle attend que son François lui propose d'emménager avec elle pour sacrifier un avenir possible. Elle subit sans jamais faire quoi que ce soit contre ça. 
Oui, définitivement je pense que c'est pour ça si son personnage m'a semblé si antipathique, elle veut faire plein de choses, mais elle ne fait rien. Sans doute croit-elle que tout lui est dû alors que dans le fond, on a que ce pour quoi on s'est battu. 


C'est donc sur une note mitigée que je conclus cet article. Sophie Divry m'a happé dans son Journal d'un recommencement, elle m'a perdu avec La condition pavillonnaire. J'en attendais beaucoup, peut-être est-ce pour cette raison si la déception est si grande. 
Ce n'est pas non plus un mauvais livre - ceux-ci sont de toute façon très rares. C'est un livre qui ne m'a pas touché, qui m'a même dérangé et pour lequel je ne garde pas d'affection particulière. 
Ou alors, peut-être que je suis complètement passée à côté de son propos. 

Il n'empêche que je suis pressée de lire Rouvrir le roman, son essai paru chez Notabilia l'an passé. Et puis il y a aussi Trois fois le tour du monde, paru lors de la rentrée littéraire d'août dernier.
Vous avez déjà lu ce roman ? ou cette auteure ? 


Combien de temps l’amour, combien de temps ? Quand la figure aimée disparaît de nos vies, combien de temps tout seul aimerons-nous ?






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