Extrait du poème Caucase :
Depuis les temps immémoriaux
Un aigle y châtie Prométhée,
Chaque jour lui frappe les côtes,
Chaque jour lui brise le cœur.
Il le brise mais ne peut boire
Le sang vivant – le cœur revit
Et de nouveau se met à rire .
Notre âme ne peut pas mourir,
La liberté ne meurt jamais.
[...]
Puisque nous sommes éclairés,
Nous voulons éclairer les autres,
Montrer aux enfants ignorants
Le soleil de la vérité.
Le jour passe et la nuit passe. Et toi,
La tête entre les mains tu t’étonnes
Que ne vienne pas encore l’apôtre
De la vérité, de la lumière.
[...]
La vérité régnera-t-elle
En ce monde, parmi les hommes ?
Il faut que cela soit, sinon
Le soleil arrêtant sa course
Brûlera la terre souillée.
Précurseur de la langue ukrainienne telle qu'elle est connue aujourd'hui, Taras Chevtchenko est initialement un serf, c'est-à-dire qu'il est né esclave ; il a ensuite été acheté par deux artistes russes. Mort d'épuisement à même pas 50 ans, le peintre-poète a subi la récupération de son oeuvre à des fins politiques.
C'est en tout cas ce qu'explique la préface signée par le traducteur André Markowicz qui revient sur la première traduction française et le vide entre cette parution (1964) et cette réédition.
Chevtchenko a fixé la langue littéraire ukrainienne.
Taras Chevtchenko s'est battu contre le régime tsariste mais le cantonner à l'image d'un poète révolté est une erreur car l'amour est bel et bien présent dans ce recueil :
Extrait du poème Les Nuits d’une jeune fille :
Si je n’ai d’ami fidèle
A qui donner mon amour,
Avec qui me partager ?
Mon cœur, mon cœur, il est dur
De battre tout seul au monde.
Avec qui vivre, avec qui
Dis-le-moi, monde perfide.
Dis-moi donc aussi pourquoi
Cette gloire d’être belle ?
Je veux vivre par mon cœur
Et non pas par ma beauté.
Aussi, le peintre-poète avait à coeur son territoire, sa belle Ukraine du dix-neuvième siècle qu'il met à l'honneur à l'aide de chansons populaires notamment.
"Pourquoi suis-je né dans ce monde ?
Pourquoi tant aimer mon Ukraine ?"
L'excellente préface donne un aperçu complet de l'oeuvre, immense, de Taras Chevtchenko :
"Sa courte vie (1814-1861) fut bien remplie. On ne peut qu'être étonné par l'abondance de ses oeuvres : ses très nombreux poèmes, dont certains sont fort longs (des milliers de vers), deux drames historiques, une vingtaine de romans, et ses dessins et ses tableaux, malgré le temps consacré à l'action et les années de prison et de forteresse. Une grande flamme était en lui ; l'enthousiasme l'a porté à travers sa vie."
Extrait du poème Testament :
Le soleil s’en va, les monts s’obscurcissent
L’oiseau se tait, le champ devient muet,
Le proche repos réjouit les gens,
Et moi je regarde et mon cœur s’envole
Vers un jardinet sombre dans l’Ukraine.
Et je m’envole et je m’envole et rêve ;
Pendant ce temps mon cœur trouve la paix.
Un bel ouvrage pour découvrir un écrivain injustement méconnu en France. Dommage qu'il ait fallu une guerre pour dépoussiérer ses poèmes... Merci aux éditions Seghers pour cette réédition essentielle hier comme aujourd'hui.
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