dimanche 9 avril 2023

Notre âme ne peut pas mourir de Taras Chevtchenko

Extrait du poème Caucase

Depuis les temps immémoriaux

Un aigle y châtie Prométhée,

Chaque jour lui frappe les côtes,

Chaque jour lui brise le cœur.

Il le brise mais ne peut boire

Le sang vivant – le cœur revit

Et de nouveau se met à rire .

Notre âme ne peut pas mourir,

La liberté ne meurt jamais.

 [...]

Puisque nous sommes éclairés,

Nous voulons éclairer les autres,

Montrer aux enfants ignorants

Le soleil de la vérité.

Taras Chevtchenko est l'un des plus grands poètes ukrainiens, bien qu'il se considérait comme peintre plutôt que poète, en témoigne les deux oeuvres picturales à la suite de la préface. 


Les éditions Seghers mettent à l'honneur ce poète-résistant qui a "connu[...] la prison, l'exil, la surveillance policière et l'interdiction de peindre et d'écrire". Interdiction émanant directement du Tsar Nicolas Ier comme l'explique André Markowicz dans l'avant-propos. 

Extrait du poème A Likeria

Le jour passe et la nuit passe. Et toi,

La tête entre les mains tu t’étonnes

Que ne vienne pas encore l’apôtre

De la vérité, de la lumière. 

 [...]

La vérité régnera-t-elle

En ce monde, parmi les hommes ?

Il faut que cela soit, sinon

Le soleil arrêtant sa course

Brûlera la terre souillée.


Précurseur de la langue ukrainienne telle qu'elle est connue aujourd'hui, Taras Chevtchenko est initialement un serf, c'est-à-dire qu'il est né esclave ; il a ensuite été acheté par deux artistes russes. Mort d'épuisement à même pas 50 ans, le peintre-poète a subi la récupération de son oeuvre à des fins politiques. 

C'est en tout cas ce qu'explique la préface signée par le traducteur André Markowicz qui revient sur la première traduction française et le vide entre cette parution (1964) et cette réédition. 

Chevtchenko a fixé la langue littéraire ukrainienne.

Taras Chevtchenko s'est battu contre le régime tsariste mais le cantonner à l'image d'un poète révolté est une erreur car l'amour est bel et bien présent dans ce recueil : 


Extrait du poème Les Nuits d’une jeune fille : 

Si je n’ai d’ami fidèle

A qui donner mon amour,

Avec qui me partager ?

Mon cœur, mon cœur, il est dur

De battre tout seul au monde.

Avec qui vivre, avec qui

Dis-le-moi, monde perfide.

Dis-moi donc aussi pourquoi

Cette gloire d’être belle ?

Je veux vivre par mon cœur

Et non pas par ma beauté.


Aussi, le peintre-poète avait à coeur son territoire, sa belle Ukraine du dix-neuvième siècle qu'il met à l'honneur à l'aide de chansons populaires notamment. 

"Pourquoi suis-je né dans ce monde ? 

Pourquoi tant aimer mon Ukraine ?"


L'excellente préface donne un aperçu complet de l'oeuvre, immense, de Taras Chevtchenko : 

"Sa courte vie (1814-1861) fut bien remplie. On ne peut qu'être étonné par l'abondance de ses oeuvres : ses très nombreux poèmes, dont certains sont fort longs (des milliers de vers), deux drames historiques, une vingtaine de romans, et ses dessins et ses tableaux, malgré le temps consacré à l'action et les années de prison et de forteresse. Une grande flamme était en lui ; l'enthousiasme l'a porté à travers sa vie." 


Extrait du poème Testament : 

Le soleil s’en va, les monts s’obscurcissent

L’oiseau se tait, le champ devient muet,

Le proche repos réjouit les gens,

Et moi je regarde et mon cœur s’envole

Vers un jardinet sombre dans l’Ukraine.

Et je m’envole et je m’envole et rêve ;

Pendant ce temps mon cœur trouve la paix.

Un bel ouvrage pour découvrir un écrivain injustement méconnu en France. Dommage qu'il ait fallu une guerre pour dépoussiérer ses poèmes... Merci aux éditions Seghers pour cette réédition essentielle hier comme aujourd'hui. 



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