dimanche 30 août 2020

Le Silence des vaincues de Pat Baker

Les vaincus sont les oubliés de l’Histoire, et leur version des faits meurt avec eux.

 

 La mythologie grecque continue d’avoir le vent en poupe. On la trouve partout : au cinéma, dans la littérature jeunesse, chez des auteurs comme Madeline Miller ou plus récemment chez Pat Baker. 


S’il ne devait y avoir qu’un seul point de comparaison entre les deux, il s’agirait du caractère féministe des héroïnes, de leur capacité de résilience. 




Mais Circé, la magicienne, petite-fille d’Océan et fille d’Hélios, le soleil n’a rien à voir avec Briséis, ancienne reine de Lyrnessos, devenue captive d’Achille après que celui-ci ait tué son mari et ses frères. 


Voilà neuf ans que dure la guerre de Troie. 

Neuf ans que les massacres s’accumulent et que les achéens se rapprochent petit à petit du but : faire tomber Troie. 


Suivre le point de vue de Briséis créer un sentiment de lenteur. La guerre fait rage mais les événements se découlent presque au ralenti dans le camp, où il n’y a rien à faire si ce n’est attendre, si ce n’est suivre de ses propres yeux la ruine des troyens. 


Briséis mentionne ses comparses, toutes ces femmes enlevées et gardées captives. Parmi elles, la captive du roi des Grecs, Chryséis, fille du prêtre troyen d’Apollon. 

Le père viendra supplier Agamemnon de lui rendre sa fille, ce à quoi le  « roi » des Achéens se refuse. 

À que cela ne tienne, Apollon, fou de rage, abat la peste sur le camp. 


C’est véritablement à partir de ce moment que je suis entrée dans le livre. 

Le démarrage est assez lent, on suit Briséis mais je n’avais pas cette étincelle qui donnait envie d’aller plus loin. Et puis une fois la colère d’Apollon abattue sur le camp, c’était parti. 


Raconter Briséis c’est raconter toutes les captives, celles qui ont été rendues esclaves et dont on ne parle pas. 

Trophées des Grecs elles sont des esclaves et doivent être considérées comme telles. 

Il n’y a rien de beau à être la captive d’Achille, à devoir supporter sa haine, à devoir supporter de partager la couche d’un homme qui a décimé ton mari, ta famille, ta ville. 


Pat Baker insiste sur l’aspect peu reluisant qui est toujours caché. On préfère s’arrêter sur la bravoure de ces hommes, sur la ruse d’Ulysse, le génie guerrier d’Achille, etc., plutôt que de soulever un élément incriminant : les meurtres et les viols commis afin de gagner la guerre, de récupérer cette « salope » d’Hélène et de rentrer chez soi, enfin. 


L’auteure brosse un portrait attachant de Patrocle, sans doute seul représentant positif de la gente masculine. 

Achille, lui, est dépeint comme un homme, ni plus ni moins. Un homme hanté par l’abandon de sa mère, orgueilleux comme un mortel à qui l’on aurait ôté son jouet (Briséis), forcé de regarder la vérité en face : son seul ami est mort à cause de son orgueil. 


Rien n’est épargné dans Le Silence des vaincues. La douleur, la crainte, la peur… et avec elle la confrontation de l’étranger. 

Briséis n’est qu’un trophée troyen aux yeux d’Achille. Jusqu’à ce qu’elle apparaisse comme une alliée sans le vouloir et alors débute une étrange relation. 


Pat Baker nous entraîne au coeur de la guerre de Troie qui en est à ses derniers balbutiements. 

Elle nous raconte une histoire méconnue, non plus celle des héros mais celle des captives, héroïnes de leur propre histoire.

Il y a des passages à vide, traduisant l’ennui, le côté palpitant est absent pour laisser place à la banalité du quotidien. Briséis ne fait pas la guerre, elle attend sagement qu’il se passe quelque chose. 

L’aspect le plus intéressant concerne évidemment cette histoire des vaincues comme son nom l’indique. Non, ces héros qui ont bercé notre enfance et continuent de nous fasciner n’étaient pas des bons gars, non ce n’était pas à proprement parler des « héros ». 


La figure de Briséis est méconnue dans la mesure où tout ce qu’on sait d’elle est qu’elle était reine troyenne et qu’Achille l’a prise comme captive. 

Pour le reste, une fois la mort d’Achille survenue, c’est le silence radio. 

En choisissant cette figure inexploitée, l’auteure parvient à intéresser : en s’attachant à elle, on s’attache à toutes les captives, on relativise les histoires rabattues et on comprend alors que les héros sont eux aussi coupables. 


Mais vous voyez le problème, non ? Comment pourrait-on bien éprouver de la pitié ou du chagrin face à cette liste de noms intolérablement anonymes ? 



Le Silence des vaincues de Pat Baker traduit par Laurent Bury, aux éditions Charleston 

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