dimanche 28 février 2021

Affamée de Raven Leilani

 « Ce n’est pas que je veux de la compagnie, mais j’ai envie que d’autres yeux attestent de mon existence. »


Edie vit à New-York dans un logement infesté de rat, et bosse dans l’édition depuis trois ans. Après deux avertissements à son actif, elle sait qu’elle est sur la sellette mais ça ne l’empêche pas de flirter avec Eric, un homme plus vieux quelle, sur son ordinateur pro.

Pendant un mois ils s’échangeront des messages, ils se confieront l’un à l’autre, jusqu’à la rencontre. 

La première rencontre est étonnante, chaotique un peu. Edie a la vingtaine, des formes généreuses et une immense envie de se faire sauter — faut dire que ça commence à dater la dernière fois. 

Mais ce n’est pas pour maintenant. 

Parce qu’Eric est marié. Elle le savait, attention il lui a dit « je suis marié mais on est un couple libre » quelque chose dans ce goût-là. Alors Edie elle s’inquiète pas plus que ça, elle préfère fantasmer. 


Rien n’est aussi simple et quand Eric lui tend une liste réalisée par sa femme, on sent que les ennuis commencent. 


Pourtant on en est encore qu’au début et la suite est encore plus brutale. 


Raven Leilani n’a pas la langue dans sa poche, elle esquinte tout et tout le monde au passage. Personne n’est à l’abri. Les failles des personnages sont dévoilées et même Edie n’est pas épargnée. 


Le titre Affamée traduit à la perfection de cette soif de vivre, ce besoin viscéral d’être aimé pour l’héroïne qui se cherche, qui a besoin d’exister aux yeux des autres pour se prouver qu’elle existe bel et bien. 

Elle est affamée à tous les niveaux : soif de vivre, ivresse d’aimer, appétit insatiable, elle qui n’a jamais rien dans son frigo et a des problèmes intestinaux. 


Affamée se dévore littéralement. On entre dedans et l’écriture nous hypnotise, le style, la mise en page, tout donne le sentiment d’entrer dans le jardin secret d’une femme. Les phrases s’enchaînent, longues parfois, et avec très peu de dialogues. C’est le journal de l’existence d’Edie, de cette peintre qui n’en est pas tout à fait une, une peintre qui ne sait dessiner un autoportrait. 


Le côté malsain de l’histoire est aussi intéressant, le fait qu’elle soit éprise d’un homme marié blanc engendre un contraste, illustre de la difficulté pour certains blancs de comprendre, de ne pas faire d’erreur au risque de passer pour un raciste — il faut faire attention à sa façon d’appeler Edie, qu’Eric n’hésitera pas à appeler Edith pour plus de commodité… 

J’ai aimé les passages autour des cheveux et de la difficulté de s’en occuper correctement quand on ne sait pas, quand on est entourés de blancs qui ne connaissent rien.  


Parfois je me suis perdue dans le dédale de réflexions, on passe des entretiens et du fait d’être une « noire comme on l’attend » aux réflexions sur la jeunesse et sur son enfance, vécue en tant que membre de l’église adventiste du septième jour. C’est à mon sens le seul petit bémol du roman qui va peut-être un peu trop vite, ou qui mélange trop de choses ? 


Affamée est brillant. Il nous entraîne au coeur d’une histoire à la fois malsaine et passionnante. Les pages défilent et on termine le livre avec une pointe au coeur ; alors tout ça, c’était qu’une parenthèse ? 


Bravo à la traductrice Nathalie Bru (dont le nom apparaît en couverture ce qui est très très bien) pour son travail ! Il est évident que le ressenti n’aurait pas été le même si elle n’avait pas si bien retranscrit l’urgence et la brutalité des mots de Raven Leilani. 

Et un grand merci à Benoit parce qu’une fois encore je me suis régalée !


« Rien ne m’est jamais arrivé qui coulait autant de source que lui, et partout en ville, d’autres femmes un peu cruches, pas complètement accomplies, vivent la même chose, excitées par des hommes qui cochent simplement toutes les cases d’une vie un peu plus pleine, c’est un truc terriblement quelconque, le genre de chose qui nous arrive quand on persiste à se lever le matin puis à se brosser les dents et à aller bosser en refusant d’écouter la petite voix qui le soir venu nous murmure qu’il serait plus facile d’être morte. »

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Le ciel en sa fureur d'Adeline Fleury

Quand le varou m'emportera je m'endormirai dans le ciel de tes yeux. Sous les auspices de Jean de La Fontaine, Adeline Fleury nous ...