dimanche 12 juillet 2020

The Girls d'Emma Cline

J'ai attendu ce roman pendant des mois, guettant la sortie poche, et puis, une occasion en or, The Girls en grand format en seconde main, la joie, l'envie, l'excitation de découvrir la plume d'Emma Cline

Je suis très branchée fait divers, j'adore tout ce qui est enquête sur des tueurs - il est entre autre question de la secte Manson dans la mini-série Dans la tête des tueurs sur Netflix, dans l'épisode consacré aux sectes. 




Que dire de prime abord si ce n'est que je ne m'attendais pas exactement à ça ? À vrai dire, malgré le titre plutôt évocateur, je pensais que le gourou serait bien plus présent, et au final, bah pas tant que ça. 

The Girls possède une double temporalité. On suit Evie Boyd à la fin des années 60, plus précisément durant l'année 69, année cruciale pour la secte de Manson puisqu'elle sonnera la chute de la "Famille" et une dizaine d'années plus tard, donc dans l'après-coup de la rencontre d'Evie avec "les filles" de Manson. 

Ce dédoublement permet de créer un clivage entre la naïveté dans laquelle Evie se trouvait lors des années 60, véritablement vue comme la décennie de la liberté : c'est le mouvement hippie, la libération des sexes ainsi que le Civil Rights Act signé en 1964. Donc oui, il est indéniable que cette décennie figure parmi les flamboyantes, mais Emma Cline va s'évertuer à nuancer cette remarque et ce, avec un certain brio. 

Evie Boyd est une adolescente assez solitaire, personne ne s'occupe d'elle - elle vit avec sa mère qui vient de divorcer - et n'a qu'une seule amie avec qui elle va avoir un accrochage. Evie est seule et il ne fait aucun doute que cette solitude va jouer un rôle fondamental pour la suite. 
Evie croise un groupe de filles et parmi ces filles, il y en a une qui sort véritablement du lot, une fille un peu plus âgée, plus mûre, avec de beaux cheveux noir. Cette fille, c'est Suzanne, largement inspirée de Susan Atkins, la leader du groupe des filles. Je crois qu'elle était véritablement l'alliée la plus sûre de Manson et le roman met bien en avant cet aveuglement de Suzanne pour Manson. 
Suzanne incarne tout ce qu'Evie n'est pas. Elle est sûre d'elle, indépendante, avec un brin de je-m-en-foutissme, bref, Susan est magnétique, elle attire Evie. 

Le désir, à cette époque, provenait en grande partie d’un acte déterminé. Se donner tant de mal pour gommer les contours bruts, décevants, des garçons, et façonner quelqu’un qu’on pourrait aimer. Nous parlions de notre besoin désespéré avec des mots convenus et familiers, comme si nous lisions les répliques d’une pièce. Je m’en apercevrais plus tard seulement : combien notre amour était impersonnel et avide, ballotté à travers l’univers, dans l’attente que quelqu’un le reçoive et donne forme à nos souhaits. 

Evie de son côté est trop heureuse de trouver enfin des gens qui s'intéressent à elle. On lui accorde enfin de l'intérêt, ça y est, Evie a trouvé sa famille aussi. 
Au fond, on peut penser qu'Evie n'est qu'une fille naïve et donc facilement influençable, mais l'auteure s'évertue à nous montrer que non, que cela peut arriver à n'importe qui. 
C'est une véritable critique de la société qu'Emma Cline nous décrit, on découvre un monde où les filles ne sont rien, sans personnalité, sans futur, elles font les belles, elles perdent leur temps dans des futilités pendant que les hommes trouvent leur voie, avancent dans leur vie. 
Les filles ne sont bonnes qu'à se maquiller, qu'à suivre les hommes, un point c'est tout. 

Evie, elle, est tiraillée entre la réalité de sa condition de femme à cette époque - dont on voit par ailleurs que la condition féminine n'a pas énormément changé aujourd'hui... - et son envie d'émancipation, sa volonté de prendre de l'assurance, de faire partie d'un groupe. 

Évidemment j'ai bien plus aimé les passages sur l'année 69, mais j'ai trouvé pertinent les intermèdes sur l'époque contemporaine pour deux raisons. La première, c'est l'image que véhicule Evie à l'âge adulte, la façon dont on la considère quand on apprend qu'elle a fait partie de cette secte - même si son implication reste des plus discutables - et la deuxième c'est évidemment ses réflexions sur cette jeune femme qui dort dans la même maison qu'elle. 
J'ai trouvé ça intéressant parce que c'est juste dans le propos, ça résonne bien avec les événements de 1969. 

D'ailleurs, pour ce qui est de cette année (qui occupe la plus grande partie du roman), on va faire la connaissance de toute la bande de Russell, le gourou. Le portrait de Suzanne est le plus intéressant, le plus puissant aussi. C'est parce que Suzanne l'hypnotise qu'Evie va vouloir rejoindre la famille, qu'elle va aller au Ranch. Son personnage est d'ailleurs assez ambigu, à la fois attachant autant que repoussant dans sa manière de rejeter Evie. Mais finalement, c'est le rejet qui permet à Evie de ne pas participer à leur grand coup.


Bien sûr, ce grand coup, c'est l'assassinat de Sharon Tate et d'autres personnalités. J'ai énormément aimé cette mise en situation, le fait qu'on suivre Suzanne et les autres se rendre sur les lieux pendant que Russell reste bien tranquillement au ranch - comme dans la réalité où Manson a envoyé "ses filles", mais n'était pas présent, ça en dit beaucoup sur l'homme qu'il était... 
L'issue est connue évidemment, mais elle n'en reste pas moins affolante. 


Largement inspirée de la secte de Charles Manson donc, mais en réalité Emma Cline dépasse le propos pour illustrer autre chose : la place de l'adolescente dans les années 60, la solitude, la liberté sexuelle, la liberté d'aller et venir aussi. Fin c'est quand même affolant de voir la liberté de mouvement d'Evie qui n'est âgée que de 14 ans ! 
C'est une critique sur la place de la femme et la vision de ce qu'on peut attendre d'elle, un peu à la "sois belle et tais toi". 
Evie a voulu refuser sa condition, elle a voulu s'émanciper pour elle celle qu'elle voulait être et c'est aux côtés de Suzanne qu'elle pensait y parvenir. 
Ce n'est pas tant Russell qui l'a attiré, il semble d'ailleurs être un peu répugnant quand on y pense, à coucher avec toute sa confrérie - à l'image de Manson une fois encore - mais bel et bien Suzanne, c'est elle le véritable gourou de cette histoire. 


Un premier roman intéressant pour son propos et pertinent dans sa démarche, j'ai adoré lire The Girls malgré le fait que je pensais que Manson aurait une place bien plus importante. Je n'ai pas été déçue de découvrir Suzanne et les autres et j'ai trouvé ça ingénieux de la part d'Emma Cline de mettre en avant les filles ("the girls") de Manson qui ont un rôle absolument fondamental dans l'histoire de cette secte. Le pouvoir de Manson, c'est bel et bien ses filles. 
Réflexion sur la condition des adolescentes américaines, sur le désenchantement et sur l'espoir d'être plus qu'une simple fille dans une société qui refuse à la femme d'être l'égal de l'homme.
Finalement, The Girls, c'est l'illustration du pouvoir des femmes. 


Maintenant, pourquoi pas lire California Girls de Simon Liberati ?

Mais c’était triste seulement dans l’ancien monde, me rappelai-je, où les gens demeuraient effrayés par le remède amer de leurs vies. Où l’argent maintenait tout le monde en esclavage, où les gens boutonnaient leurs chemises jusqu’au col, étranglant l’amour qu’ils avaient en eux.






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