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dimanche 19 novembre 2023

Lamento de Mme Nielsen

 En réalité tout est mouvement, transformation, rien n’est immobile, dans la vie que nous vivons quelque chose d’extrêmement lent, de quasi imperceptible, commence peu à peu à avoir lieu et ne cesse d’avoir lieu, bien longtemps avant que l’on ne se rencontre, et même après, dans le coup de foudre, même là, au-delà du temps, dans un autre monde, et plus tard, lorsque le coup de foudre n’est plus, et que l’amour attend, attend, attend, même là-bas, dans la nuit … ça a commencé à se produire, et ça s’est produit, et ça a continué à se produire, et ça continue toujours à se produire.

J'ai rencontré la plume de Mme Nielsen à l'occasion de la parution de son roman précédent, L'été infini - ne le cherchez pas ici, je ne l'ai pas chroniqué. 

L'été infini me faisait très envie... sur le papier. J'ai été au bout du roman parce que je suis ce genre de lectrice qui a du mal à lâcher un bouquin même quand elle sait que ce n'est pas une grande réussite. J'ai été au bout et je suis restée à côté tout du long. 

Quand j'ai vu (et reçu) Lamento j'avais des réserves. Des réserves, pas tant sur le fond que sur la forme. Le style d'écriture m'effrayait, je m'étais sentie en périphérie de l'histoire de L'été infini pour cette raison. 

Mais comme je ne m'avoue pas facilement vaincue, j'ai persévéré en ouvrant Lamento

Et en le refermant j'ai eu cette remarque : un roman ne fait pas l'autre. 

L’amour est dans le temps, dans le quotidien, dans le souci de l’autre, dans les mouvements qui se répètent, dans l’ennui et les routines, et il est malgré tout. Le coup de foudre est en dehors du temps, il l’abolit, il est un instant présent en perpétuelle expansion lumineuse. Il est fébrile et à bout de souffle, il brûle, il est « hors de moi », il est incompréhensible et dévorateur, il est contraint de mourir.

De Lamento j'ai aimé la recherche, la façon qu'a Mme Nielsen de décortiquer le coup de foudre, la vie commune, la déchirure de la séparation. 

Et ça s’est produit, ce n’était pas le destin, ce n’était pas le hasard, ça s’est produit, tout bonnement, la vie est comme ça, les choses arrivent.

J'ai aimé la simplicité du sujet et la complexité de son traitement. On peut y voir un long monologue, ou plutôt un long courrier adressé à l'enfant, une recherche qui est à la fois une plainte et une succession de réflexions (comment nous sommes-nous rencontrés ? à quoi ont ressemblé nos premiers moments ? à quel moment nous sommes-nous le plus aimés ? quel moment a signé l'effritement, le début d'une fin programmée de longue date ?). En d'autres mots, que s'est-il passé pour qu'on en vienne à s'aimer puis à se séparer ? 

La poésie du texte est ce qui le rend si beau, sans ce lyrisme Lamento ne serait guère plus qu'un énième roman sur l'échec d'une relation amoureuse. De plus, l'usage d'une narration fragmentée nous entraîne au plus près de la rencontre et de la violence des sentiments. On interroge le coup de foudre en tant qu'opposé à l'amour d'une certaine façon - l'amour étant de l'ordre du sentiment qui perdure, quand le coup de foudre n'est qu'un état passager. 

Le coup de foudre n’a pas de nom et pas de visage, celui que vous voyez dans le miroir n’est pas vous, et c’est une peur, un plaisir, une chute dans le vide. [...] Le coup de foudre peut être si violent, si fébrile et dévorant que l’amour, censé en émerger, devient une déception, le monde revient en force, le temps commence à passer et on a le sentiment d’une absence, d’une trahison, on se voit brutalement arrachés l’un à l’autre, on n’est plus des jumeaux siamois fusionnés et incestueux mais des univers individuels …

De nombreux passages brillent, ils touchent et donnent à voir un sentiment pur peu à peu entaché par la réalité de la vie commune, de la vie extérieure aussi, de tout ce qui n'est pas le couple. 

J’avais cru que, comme le jour de la nuit, l’amour jaillirait du coup de foudre, que l’un ne pouvait exister sans la possibilité de l’autre et que l’autre ne pouvait exister sans l’un en ce qu’il était sa condition préalable, que la transition aussi effrénée que l’aube serait la plus belle de toutes et nous emporterait avec elle, que celui dont on tombe amoureux comme jamais auparavant et jamais plus depuis, le seul, est celui avec qui on peut vivre, comme quand on respire, comme quand on se donne, que le « oui » et le « oui » ne sont pas une limite mais une porte qui s’ouvre du début et communique sur la suite, que l’ivresse, la folie et le temps dépourvu de temps, avec les jours, les semaines les saisons, se montreraient, incarneraient le quotidien…

Je sais maintenant ce que je veux, et pourquoi j’écris : pour créer la vie, montrer la beauté dans le monde, dans la moindre petite chose, dans la moindre petite créature, dans la peine, dans la douleur, dans l’amour, montrer qu’il est possible de vivre, ensemble, et de s’aimer, en dépit du reste.


Livre offert. 

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