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dimanche 12 novembre 2023

Ma Tempête d'Éric Pessan

Un monologue, ça tient à partir du moment où on a l’impression que chaque phrase est une fin. 
Le narrateur, David, passe sa journée seul à la maison avec sa fille. La crèche est en grève et il est sans activité depuis l’abrupte échec de son souhait de mettre en scène La Tempête, une des dernières pièces de Shakespeare. 


En racontant à sa toute jeune fille la pièce, David nous entraîne dans sa propre interprétation, ses idées de mise en scène ainsi que dans ses réflexions sur sa propre vie. Il s’attarde sur l’absence de femme dans la pièce à l’exception de la fille de Prospéro, Miranda, pour mieux aborder la relation de Shakespeare avec sa propre femme ou les problèmes de couple comme la distance involontaire, 

Jusqu’à quel point deux personnes qui s’aiment peuvent étirer le silence sans que ce soit leur amour qui se déchire ?

David s’intéresse à la figure du mage pour mieux la comparer au métier de metteur en scène. Il parle seul le plus souvent, sa fille étant trop jeune pour comprendre, il parle seul et ses monologues sont une suite d’idées, de ressentis, d’interrogations. 

« Propséro est-il un magicien ou un artiste ? David avait envie d’introduire cette ambiguïté là : la possibilité que rien de ce qui se joue sur scène ne soit vrai, la possibilité que toute l’histoire soit un conte écrit par Prospéro ou une toile peinte par lui, un oratorio qu’il a composé. Pas besoin qu’il provoque vraiment le naufrage d’un navire, l’énoncer suffit. La fiction peut venger du réel, c’est peut-être une consolation pathétique mais elle n’en est pas moins nécessaire. »

Ma Tempête se déroule sous le rythme imposé par le naufrage causé par Prospéro, la pièce de Shakespeare est matière et moteur. 

Tout à la fois un résumé, une interprétation, un prolongement, Ma Tempête est une porte d’entrée dans le théâtre (et la pièce) de Shakespeare autant qu’une immersion dans la vie d’artiste, les problèmes de financement qui causent une dépendance, une soumission obligée qui mène parfois à l’arrêt complet ; David a passé un temps fou sur sa mise en scène, il s’y est donné corps et âme, mais ce n’est pas suffisant car adapter Shakespeare, pour quoi faire ? Quel profit en tirer ? 

Mieux vaut mettre un frein, fermer les rideaux et éteindre les lumières. 


L’importance des réflexions et précisions sur le statut d’artiste, la figure d’acteur (le développement sur l’expression être acteur de sa vie) en passant par les détails autour de la première représentation de La Tempête ou encore le théâtre élisabéthain et le théâtre (plus largement : l’état de la culture) d’aujourd’hui, permet une immersion complète dans ce monde. 


L’atmosphère tient pour beaucoup à la réussite du livre. Une tempête fait rage et effraie l’enfant qui n’en apprécie pas moins le récit d’une autre tempête, survenue lors d’un autre temps, un autre monde. 


Je ne sais comment le dire d’une meilleure façon : Éric Passan a fait de sa Tempête une sorte de calque contemporain de La Tempête

« […] une pièce de théâtre est toujours un miroir, sans cela, si elle ne reflète rien de nous, on s’y ennuie ferme. » 

Petite précision : le plaisir à lire ce roman réside en grande partie dans la connaissance préalable de La Tempête de Shakespeare. 

Lire Ma Tempête sans en être familier c'est peut-être prendre le risque de gâcher la découverte d'une magnifique pièce de théâtre et passer à côté d'un roman qui paraîtrait peut-être moins pertinent. 

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