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dimanche 17 décembre 2023

Du même sang de Denene Millner

C’était comme ça, avec les Blancs ; ils comptaient sur les parties du corps des Noirs - des mains pour la lessive, des dos pour labourer la terre, des seins pour nourrir leurs bébé -, mais ils ne supportaient pas les corps entiers ni les âmes qui les habitaient. Ces âmes qui, tous les matins, devaient rassembler leurs forces fragiles pour convaincre le corps de se soumettre au labeur, encore et toujours, sans avantages ni pauses ni droit de se plaindre.


Je risque d'avoir du mal à trouver les mots pour dire à quel point j'ai adoré ce livre, à quel point j'ai aimé Grace, Dolores et Rae, à quel point j'aurais aimé les revoir et rester avec elles plus encore. 


A mes yeux le Cherche midi publie des ouvrages majeurs, il traduit des textes puissants et nécessaires sur la condition des Afro-Américains aux Etats-Unis, et plus encore sur la condition des Afro-Américaines aux Etats-Unis. 

Depuis Affamée et Une époque formidable et maintenant Du même sang, je peux le dire : le Cherche midi est une valeur sûre ! 



En quelques mots (parce qu'il faut bien vous donner envie de le lire, sinon à quoi bon écrire sur un texte aussi fort si ce n'est pour vous intimer de LE LIRE ?) Du même sang retrace l'histoire de trois femmes. 


D'abord Grace, fille d'une femme à homme, petite-fille de l'accoucheuse de la ville. 

Puis Delores (LoLo) qui porte en elle le drame de sa stérilité. 

Enfin Rae, la descendante, la relève. 


Denene Millner écrit un roman familial où l'Histoire se heurte aux individus pour mieux les broyer. 


"Qui a descendu qui ? 

- Darnell. Mon ami, mon frère. On était copains de classe depuis toujours. C’est un gamin. C’était. Comme nous tous. Et les flics l’ont descendu parce que Wilson l’accusait d’avoir volé un soda."


Il est question des Jim Crow Laws (1877-1964), ces lois qui mettent en place la ségrégation et annulent d'une certaine façon les droits dûment acquis par les Afro-Américains au lendemain de la guerre de Sécession. Ou de la ligne Mason-Dixon. Une ligne qui n'est plus d'actualité depuis 1820, enfin, si la ligne de démarcation entre états abolitionnistes (Nord) et esclavagistes (Sud) n'est plus à proprement parler, il n'en reste pas moins un haut lieu symbolique, faisant du Nord la terre de liberté. 


L'Histoire des Etats-Unis et plus particulièrement les droits des Afro-Américains est au centre de ce roman magistral qui illustre parfaitement les souffrances, les inégalités et le racisme choquant (ou écœurant, ou horrifiant...) qui étaient une réalité, et l'est sans doute encore beaucoup trop. 


Mais au-delà d'être un grand roman sur la condition des Afro-Américaines, Du même sang aborde la condition de la femme par le prisme de la sexualité et de l'enfantement. 


Les personnages, souvent secondaires, n'ont de cesse de rappeler le danger des relations sexuelles (ne cherchez pas la contraception, ça n'existe pas) qu'elles soient consenties ou pas d'ailleurs. 

On parle de relations sexuelles choisies, de relations sexuelles contraintes, bref les relations sexuelles font peur car elles détruisent les vies, et les jeunes filles sont celles qu'il faut protéger de ces fléaux. 

De même, la stérilité et l'adoption sont des éléments centraux. On discute à la fois la douleur de ne pas pouvoir être mère et celle de ne pas avoir la possibilité de s'occuper de son enfant. 


Tellement de thèmes, tellement de force, tellement de passion pour ce formidable roman ! 

Vous l'aurez compris c'est un sublime coup de coeur. 

Un roman marquant qui figure parmi mes meilleures lectures de cette année 2023. 


En d'autres termes, vous n'avez aucune raison de ne pas le lire ! 


Il en allait ainsi, chez les gens comme eux. Les vies, les histoires étaient vécues en silence, enfouies au plus profond, tout au fond de la mémoire, dans la moelle des os.


Traduit par Valérie Le Plouhinec. 


~ Livre offert. 



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