Maman change de corps et habite des silences de plus en plus épais. Elle est belle, souvent, on dirait un papillon.
Pour son premier roman, Sara Bourre s’intéresse à la figure
maternelle, à la relation complexe entre une mère et sa fille.
Entre haine, fascination, dégoût et affection, notre narratrice nous embarque à ses côtés, elle nous plonge dans les méandres d’une relation toxique, ambivalente.
Aux antipodes des relations lambda, Maman, la nuit décrit un amour à la puissance destructrice, une histoire étrange, mystérieuse, parfois gênante.
Maman parle comme tout le monde parle, c’est-à-dire à demi-mot, à demi-vérité, au hasard d’une pensée qui s’arrange avec elle-même, qui tourne autour des choses sans jamais les saisir. Une pensée trop épaisse, paresseuse, lancinante, qui vous flanque pour des jours et des jours le mal de mer. J’écoute et je reste loin.
Pas de nom pour la narratrice, pas de nom pour la mère non
plus. Quel besoin de donner un nom quand on écrit à la première personne et que
l’on parle de sa mère encore et toujours. Quel meilleur nom que Maman pour
désigner cette femme à qui l’on doit tout ?
« Maman a disparu »
Trois mots qui claquent, qui blessent, qui questionnent :
comment a-t-elle disparu ? était-ce un accident ? un suicide ?
une fuite en avant ?
Maman, la nuit raconte en des chapitres très courts le
quotidien de la narratrice aux côtés de sa mère. Leur vie de recluse, les
cancans, les blessures, les incompréhensions. La brièveté des chapitres répond
au style de l’écrivain, à la poésie presque à fleur de peau, une poésie qui
percute, qui chahute. Une poésie qui renforce le bizarre, la solitude, le
rejet. Une poésie nécessaire pour aimer à sa juste valeur cette histoire d’une
mère et sa fille, de leur relation oscillant entre amour et haine, emprisonnement
et liberté.
Parfois j’ai des pensées comme des échardes à l’intérieur. Des pensées épaisses
brûlantes
des grandes traînées de lave
des explosions
des catastrophes imminentes
là
dessous ma peau.
Un roman magnifique, un premier qui plus est, qui m’a fait penser à Jusqu’au bout de la terre ou même à Sauvage, deux romans qui m’ont profondément marquée et qui racontent la vie en marge.
Et parce que je ne m’en lasse pas, voici un autre extrait
qui témoigne, une fois encore, de la beauté du texte :
J’occupe le temps. Il faut bouger son corps dans le temps pour qu’il passe, pour qu’il file plus vite, qu’il aille voir plus loin si nous y sommes encore.
Est-ce que nous y sommes encore ?
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