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mercredi 8 mai 2024

La promise au visage de fleurs de Roshani Chokski

Il était une fois un homme qui croyait aux contes de fées.



Il était une fois un homme qui savait que les contes révèlent ce qui demeure caché. 

Il était une fois un homme qui rencontrait Indigo et toute sa vie s'en trouva changé. 

Le fiancé, comme on le nomme à défaut de lui donner un nom, ne s'attend pas à se retrouver piégé en épousant l'ensorcelante Indigo. 

La seule condition à leur union est simple : le fiancé ne doit jamais chercher à connaître les secrets de sa femme, à fouiller son passé. 

La promesse est d'une simplicité folle : qu'est-ce que le passé en comparaison du futur ? 

Le fiancé accepte de bonne grâce sans se douter que les années mettront son serment à rude épreuve. 

Parfois, ce n’est pas une promesse de sécurité qui vous attire, mais le réconfort qu’apporte un mensonge familier regardé droit dans les yeux.

Le personnage du fiancé est à la fois essentiel et accessoire. L'histoire n'existerait pas sans lui, mais il apparaît davantage comme un personnage secondaire, comme l'indique le titre du roman, le personnage central est Indigo, la promise au visage de fleurs. 

Leur relation est belle parce qu'elle se fonde sur les contes et les mythes et les histoires : 

Seul le subterfuge des mythes nous permettait de nous parler. Seule la lumière des contes de fées l’éclairait assez longtemps pour que je puisse la regarder.

D'ailleurs on le comprend très bien lorsqu'apparaissent des chapitres du point de vue d'Azur, l'amie d'enfance d'Indigo. Attention, le fiancé sert l'histoire, il la porte même, mais uniquement par rapport au personnage d'Indigo. Il est à l'origine de l'enquête et tout ce qu'attend le lecteur, c'est qu'il aille au bout et qu'on ait le fin mot de l'histoire. Au-delà, il est disons effacé (pour ne pas dire vide) et ce, en dépit de l'histoire de la disparition de son frère. 

Ce n'est donc pas grâce au fiancé si j'ai pris autant de plaisir à ma lecture. 

La promise au visage de fleurs est imprégné de poésie. Il donne à voir une connaissance poussée et un usage intelligent des contes (Catskin !) si bien que ceux-ci servent autant à éclairer le récit qu'à l'inscrire dans une continuité. 

Le thème utilisé par Roshani Chokshi est vu et revu : deux êtres, l'un exige que l'autre ne s'immisce pas dans le passé ou dans un lieu qui viendrait mettre à mal sa nature. C'est Barbe Bleue et bien d'autres encore. 

Là où l'auteure réussit avec brio son pari c'est dans l'ambiance qu'elle parvient à créer. Du fantastique à l'état pur : le surnaturel se cache-t-il derrière les apparences ? n'existe-t-il pas que la réalité avec ses explications logiques ? 

Les contes disent ils quelque chose de la réalité ? énoncent ils une vérité ? 

Ce jeu entre réalité et imaginaire est distillé à merveille tout au long du récit, et ce, jusqu'à la révélation finale. Révélation qui ne vient en rien gâcher le plaisir de lecture. 

L'ambiance est le point fort du récit. La montée de tension jusqu'à ce qu'on ne sache plus qui croire est remarquable et l'aspect inquiétant ajoute au suspense qui devient étouffant une fois arrivée sur l'île où se trouve la demeure d'Indigo. L'ambiance gothique est sa force parce qu'il est impossible d'être insensible à cette atmosphère viciée. 


Plus encore que la révélation finale (dont on finit par avoir des doutes une fois passé la moitié du récit) c'est le déroulement et la montée du suspense qui fait la valeur de La Promise au visage de fleurs. 

A lire si vous aimez les romans gothiques, les atmosphères pesantes pleines de secrets, les personnages féminins mystérieux et la plume poétique d'une auteure qui écrit dans une langue recherchée, chose d'autant plus rare dès lors qu'il s'agit de fantasy. 

Nos illusions tissent des roses autour de nous, et quand nous essayons de nous échapper, nous nous heurtons à leurs épines.

dimanche 28 janvier 2024

Le ciel en sa fureur d'Adeline Fleury

Quand le varou m'emportera je m'endormirai dans le ciel de tes yeux.

Sous les auspices de Jean de La Fontaine, Adeline Fleury nous entraîne au coeur de la Normandie rurale, dans une bourgade du Cotentin où des événements étranges, aux allures d'apocalypse, s'enchaînent. 

L'Incipit nous met dans le bain avec sa pluie de crapauds qui laisse entendre que le pire est à venir. 


La communauté est fracturée en deux, il y a ceux qui ont toujours été là, les agriculteurs, les éleveurs, ceux qui travaillent la terre et se passent le flambeau d'une génération à l'autre, et il y a les autres, ceux des lotissements, les "nouveaux venus". 

La séparation est nette, chacun sa place et pas de mélange, même parmi les enfants qui doivent respecter les limites de leur terrain de jeu. 

La fracture est celle du rural contre l'urbain, la campagne contre la ville, et le moins que l'on puisse dire c'est que la méfiance est de mise peu importe de quel côté l'on se trouve. 

Julia et Stéphane vont le comprendre dès leur arrivée : pour rester, il faudra gagner la confiance des habitants et s'affirmer en tant que membre à part entière de la communauté. 

L'arrivée d'étrangers attise la méfiance en soi, mais alors quand il s'agit de femmes venues de la ville exerçant des métiers d'homme, là il n'y a pas à dire, tout est à faire. 

Depuis leur arrivée au village, les deux anciennes citadines ont du mal à comprendre comment des gens aussi ancrés dans la terre peuvent être autant attachés à tous ces contes et légendes fantasmagoriques. Cela doit avoir quelque chose à faire avec la mort. Les superstitions entourant les fantômes sont bien plus commodes à se représenter que la réalité de la finitude et de sa pourriture.

Julia est vétérinaire, passionnée d'animaux elle connaît son métier et essaie, du mieux possible, de montrer qu'elle est tout aussi capable que le Vieux qui, auparavant, s'occupait de soigner les bêtes. 

Stéphane a la stature d'un homme, elle en a le métier aussi : maréchale-ferrante. 

La force du roman tient dans ce clivage qui instaure une ambiance similaire au réalisme fantastique où les anciennes croyances passent pour des faits, où les enfants disparaissent pour devenir des fées qui murmurent aux oreilles des adultes. 

L'absence de temporalité renforce d'ailleurs l'aspect fantastique. Les légendes du Cotentin existent-elles toujours ? Y a-t-il de nos jours des lieux reculés où l'on croit encore au varou ? où les massacres d'animaux sont présages d'un cataclysme à venir ? 

La Vieille porte le monde dans les yeux, les catastrophes, les grandes découvertes, les guerres, les passions dévorantes. La succession des saisons, les migrations des oiseaux, l'éclosion des fleurs, la crue des rivières, les tempêtes et les grandes marées d'équinoxe. Cette femme-là n'est pas simplement humaine, elle est animale, végétale, minérale, elle est la vie. 

Généralement on lit pour le dénouement, pour que se détisse tout ce qui a été tissé auparavant. Mais avec Le ciel en sa fureur c'est l'atmosphère qui prend le pas sur l'histoire, c'est l'atmosphère qui m'a donnée envie de tourner les pages, plus que la conclusion qui est attendue mais n'en reste pas moins logique puisqu'elle correspond à l'ambivalence qui parcourt tout le roman, entre âpreté et fragilité des personnages et de leurs croyances. 

La terre n'en a pas fini de malmener les hommes, ici la nature l'emportera toujours. Les saisons seront effroyables, les terreurs d''été succéderont aux terreurs d'hiver, dans un enchaînement rythmé par la monstruosité des hommes.     


Service presse. 

dimanche 7 janvier 2024

Le Quinconce de Charles Palliser

 L'Héritage de John Huffam, t. 1

Le Quinconce embrasse une époque, il en interroge toutes les dimensions, historique, sociale, familiale, intime. Humaine, avant tout. (Préface, Gaëlle Josse)

Publié une première fois en 1989, les éditions Libretto rééditent cette fameuse saga (en cinq tomes) pour notre plus grand plaisir ! 


Au début du XIXe siècle, en Angleterre, le jeune John Huffam vit dans une maison remplie de femmes : sa mère, sa nourrice, la cuisinière et l'intendante / gouvernante. Un monde sans homme puisque son père est aux abonnés absents. 

Est-il mort ? est-il caché ? est-il dangereux ? 

Nous ne savons pas car la mère de Johnnie, celle qui détient tous les secrets, refuse de piper mot. 

Ce "roman-piège en cinq actes" (sous-titre donné par l'auteur) donne à voir les Huffam, ou Mellamphy, ou même Clothier, tout dépend à qui vous vous adressez, qui vont en voir de toutes les couleurs, ils vont se trouver au coeur de machinations qu'ils n'envisagent même pas. 

La première partie est un poil longuet, la faute à la jeunesse de John ("tu es trop petit pour comprendre ; tu comprendras quand tu seras grand.", etc.) et à une mère, Mary, d'une naïveté folle qui garde tout à tel point qu'elle en devient casse-pied. 

Une fois que John prend de l'âge et commence à relier certains points entre eux, le récit démarre une bonne fois pour toute. 

Entre machinations, malversations, complots, chantage, tentative d'enlèvement et fuite nécessaire, L'Héritage de John Huffam démarre lentement et s'achève sur les chapeaux de roue ! 

Mention spéciale pour l'écriture, notamment pour les personnages féminins au service de John et sa mère, ainsi que pour l'atmosphère étouffante, viciée et le suspense allant crescendo. 

Le fin promet de belles choses. Plus qu'à lire la suite maintenant ! 

Roman de brutalité sociale, de cruauté et d'abjection, de destins brisés, de secrets enfouis, roman d'une inlassable quête de justice et de vérité, où John et Mary traversent épreuves et coups du sort. (Préface, Gaëlle Josse)

Traduit par Gérard Piloquet. 

~ Service presse.