dimanche 30 mai 2021

El Edén d'Eduardo Antonio Parra

El Edén. Quel nom étrange pour une ville frontalière où les guérillas sont un lot quotidien. 


Darío était encore un adolescent huit ans plus tôt lorsqu’a éclaté une des innombrables nuits de conflits entre deux bandes de narco-trafiquants ennemies, mais celle-ci est différente. 

Les retrouvailles avec son ancien professeur de lettres sont l’occasion de se remémorer cette fameuse nuit où Darío a dû sortir dans la nuit pour retrouver son petit frère, Santiago.


Ces nuits de tuerie ont un air de purge, une purge avec des dommages collatéraux, des hommes et des femmes reclus dans leur maison, tout au fond, là où ils supplient pour que les nombreuses balles perdues ne puissent pas les atteindre. 


Dario n’a pas d’autre choix que de sortir, malgré la terreur que cela lui inspire, il le faut. Pour le petit frère, pour Norma aussi, sa petite amie qui le presse de partir à la recherche de Santiago pour le ramener sain et sauf. 


Au rythme des verres d’alcool bu, des seau de bières descendus et des cigarettes fumées jusqu’aux filtres, Darío va remonter le temps et y retourner. 


Il va raconter les cachettes, la peur dans le noir, la ville, terrifiante, qui s’offre à lui, une ville familière mais inconnaissable, la nuit l’ayant transformée en labyrinthe impraticable.

Il faut savoir se repérer tout en se cachant, tout en écoutant les bruits des bolides qui percent la nuit au rythme des balles tirés, des bazooka dégainés et des bâtiments détruits. 


Ce fameux soir où tout devient pire qu’il n’était, Darío est témoin d’horreurs, il voit les corps par terre, des corps sans vie, morts sans raison si ce n’est pour avoir reçu des balles tirés dans le vide. 

Les êtres trouvés dans la rue, tués sur le coup ou emmenés dans l’optique d’être violés si on a le malheur d’être une femme…


La soirée, la nuit des retrouvailles entre les deux protagonistes est une volute de fumée. L'occasion d'un retour dans un passé proche et si douloureux. Un retour en arrière pour se rappeler d’abord du bonheur de vivre à El Edén, le bonheur d’avoir été avec Norma, l’amour inconditionnel de Darío à son égard. Et la descente aux enfers. 


Eduardo Antonio Parra nous plonge avec une acuité visuelle et sensorielle au coeur de cette fameuse nuit dans la ville d’El Edén. Le battement du temps, partagé entre retour en arrière pour raconter les faits survenus cette nuit-là, entre un passé plus lointain, celui de l’innocence, et entre un présent dévasté, un éloignement obligé pour ces deux hommes qui n’ont pu que fuir, rythment la lecture au même titre que l’oubli et le souvenir, la peur, la détresse, le courage et l’amour. 


Tout est noir dans El Edén... les souvenirs ont entaché le présent en brisant les espoirs des uns et en tuant les autres. 

Noir de réalisme, l’auteur décrit un Mexique blessé, un pays divisé où la violence règne, mais malgré cela, malgré l’implacable réalité des affrontements, raconter est un exutoire, une lueur au sein d’une ville plongée dans l’encre de ses blessures. 


La construction, la friction entre souvenir et oubli, entre présent et passé, entre petit village tranquille et affrontement épique font d’El Edén un roman admirable sur le Mexique d’aujourd’hui, sur ses blessures et ses espoirs - déçus ? - .


El Edén est un brasier dans le noir. 



Traduit par François-Michel Durazzo.

« Pourtant, on a beau faire taire les souvenirs, ils laissent un vide que rien ne peut combler. Un vide trompeur, qui brûle. Un voile noir qui, visiblement, n’attend qu’un signe pour se déchirer et révéler ce qui n’a pas bougé, reste intact, identique, en ce lieu que la volonté n’atteint jamais, où elle est impuissante. »








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