dimanche 28 mars 2021

Une époque formidable de Kiley Reid

Emira est détentrice d’une licence, elle a vingt-cinq ans et aucune perspective d’avenir. Emira est paumée, elle n’a ni ambition ni rêve, mais elle doit vivre. 

En attendant de trouver un travail digne de ce nom — c’est-à-dire un travail où elle aura au moins l’assurance maladie — elle est baby-sitter chez les Chamberlain, une riche famille qui vient tout récemment de s’installer à Philadelphie après avoir vécu la belle vie à New-York. 




Emira s’occupe de la petite Briar, petite fille de trois ans aussi adorable qu’intelligente. Ah oui, Emira est afro-américaine et c’est bien le noeud du problème.


Une époque formidable est le reflet d’une période où ll faut racheter les erreurs, où règne la bien-pensance et le spectre d’un passé pas si lointain (notamment où les femmes noires sont des gouvernantes portant l’uniforme). Une époque où les réseaux sociaux font et défont les gens, où il suffit d’une apparition pour obtenir ce que l’on a jamais réussi à avoir : 

« Durant les deux jours qui avaient suivi la diffusion de la vidéo, Emira avait reçu trois messages vocaux lui proposant un emploi. […] Après s’être ruinée dans l’achat d’une rame de beau papier et les soirées qu’elle avait passées à écrire des lettres de motivation, elle était agacée, plutôt que ravie, de constater qu’une vidéo virale semblait faire d’elle quelqu’un de plus qualifié que des lettres de recommandation et une licence. » 


Emira est indépendante mais elle est prise en étau entre les deux autres personnages centraux du roman, sa patronne, Alix, auto-entrepreneuse prospère et Kelley, rencontré un soir où Emira est accusée de ne pas être la nounou de Briar. 


C’est autour de ces trois personnages que le drame va se cristalliser. 

Emira, jeune je m’en foutiste, reflet de notre époque où la jeunesse est de plus en plus paumée. 

Les deux autres représentent la superficialité d’aujourd’hui, la mise en avant du paraître et du mensonge. 

Les deux ne sont pas racistes, grand Dieu non, ils ne pourraient pas l’être, Alix a été élevée par une gouvernante noire et Kelley n’a que des amis noirs (et des copines noires aussi).


C’est choquant, choquant parce que le lecteur est invité à suivre tout ce beau monde, à prendre les paris : qui d’Alix ou de Kelley a les meilleures intentions ? L’un peut-il rattraper l’autre ou sont-ils tous les deux à côté de la plaque ? 

On peut prendre la défense de l’un et être outré par l’autre, mais quelques pages plus loin la tendance s’inverse.


On termine le roman avec un sentiment étrange, celui d’être complice d’Alix et de Kelley, de se prendre à réfléchir à ce qui est le mieux pour Emira. 

Mais Emira n’a pas besoin de nous, comme elle n’a ni besoin d’Alix ni de Kelley. Parce que les deux ont raison, et aussi tort. 


Lors de la lecture j’étais intriguée mais sans plus. J’ai aimé le style pour sa fluidité mais je n’ai pas été particulièrement interpellée. C’est après avoir refermé le roman, après avoir réfléchi quelques instants à ce qu’il essaie de nous dire que j’ai compris sa force. 


Les deux femmes, Emira et Alix sont les protagonistes et représentent chacune une tendance, que ce soit le règne des réseaux sociaux et du paraître, ou celui du je-m'en-foutisme caractéristique de notre époque. 


Une époque formidable est un roman qui a des choses à dire, Emira a des choses à nous apprendre bien qu’elle semble se laisser bercer par la vie. Elle est considérée comme la propriété de l’un puis de l’autre, elle est leur passport contre le racisme... 


Finalement entre rancoeur et rancune, celle qui en pâtit le plus c’est la petite Briar car elle aussi est prise entre deux feux et l’époque dans laquelle on vit n’est pas pour l’aider. 


En s’intéressant à la jeunesse perdue et au conflit latent, Kiley Reid dévoile un premier roman audacieux et important. Une histoire d’aujourd’hui où on se prend à faire ce qu’on dénonce... 







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