dimanche 23 août 2020

Alabama 1963 de Ludovic Manchette & Christian Niemiec

 Le titre parle pour lui-même. C’est-à-dire qu’on va parler ségrégation évidemment. 

1963 c’est l’année du célèbre et magnifique discours de Martin Luther King, prononcé le 28 août. 

1963 c’est l’année où Kennedy a été abattu le 22 novembre. 

1963 c’est (fictivement) l’année où quelques fillettes noires (évidemment) ont été  enlevées, violées puis tuées. 



Alabama 1963 ça raconte l’histoire d’un racisme ambiant, d’une haine des blancs pour les noirs, d’une haine des noirs pour les blancs. 


Adela, veuve avec des enfants est femme de ménage. Sa semaine est découpée en fonction des « clients » pour lesquels elle travaille. 

Chaque jour correspond à une maison, à une personnalité. 

Il y a les racistes, celles qui ne se rendent même pas compte des débilités qui sortent de leur bouche. 

Et puis il y a les autres, ceux qu’on découvre au fur et à mesure, ceux qui sont minoritaires et qui apportent un souffle d’air frais à cette histoire qui empoisonne. 


Tout commence doucement. 

Adela a dû prendre son gamin avec elle, pas le choix. Mais voilà qu’il est découvert et que la maîtresse de maison, une bonne blanche bien comme il faut est choquée d’entendre sa voisine lui raconter que le gamin noir a touché sa gamine blanche. 

Grand Dieu. 

L’unique solution : merci au revoir. 

Enfin plutôt au revoir, pour le merci, Adela peut toujours rêver. 


Courageuse et battante Adela doit désormais trouver quelqu’un pour remplir ses mercredis et samedis. 

Par un coup du sort, elle va tomber sur un ancien flic reconverti en détective privé après avoir été viré : Bud Larkin. 


Bud à la base il est vraiment détestable. 

Noyé dans l’alcool et incapable de faire quoi que ce soit. 

Mais même s’il est franchement raciste il est missionné pour enquêter sur la disparition du Dee Dee, une ado noire qui a disparu et pour laquelle la police ne fait rien. 


Mais dans un monde où la couleur sépare les êtres, Bud va être confronté au silence, au refus de parole. Dès lors, comment enquêter ? 

C’est là qu’Adela entre en scène. 


Alabama 1963 c’est pas qu’une enquête. Pour moi ce n’est pas ça du tout, et si ça l’était, honnêtement le roman serait bien pauvre, notamment parce que l’enquête piétine trop et qu’on n’a aucune idée du tueur avant que la narration nous le dévoile — ce qui est, je trouve, la faiblesse du livre. 


Alabama 1963 c’est l’apprivoisement. 

C’est la preuve que chaque être humain peut changer et accepter l’autre. 


Il y a quelques éléments qui font que j’ai adoré (et dévoré) ce livre. 

D'abord on sent bien l’aspect cinématographique dans l’écriture. Il y a ce côté imagé qui permet d’avoir une idée très précise des événements. Évidemment c’est lié au fait que les deux auteurs, Ludovic Manchette et Christian Niemiec sont traducteurs pour le cinéma. 


Ensuite il y a le côté stéréotypé qui est annihilé par l’écriture justement. 

Oui il y a bon nombre de situations qui sont des clichés sur patte : la bonne noire qu’on prend forcément pour une voleuse, le détective désabusé qui est seul et qui tise à longueur de journée, les policiers blancs qui sont les pires racistes possibles… 


Et malgré ça, les deux écrivains arrivent à contrer l’aspect redondant pour donner à voir une rencontre formidable, une amitié entre deux êtres que tout oppose, entre les rumeurs et les menaces, entre la peur et la générosité. 

Adela et Bud forment un duo extrêmement attachants parce qu’ils ne sont plus des stéréotypes, parce qu’ils parviennent à sortir du carcan pour exister. 


L’enquête en tant que telle je l’ai trouvé évidemment intéressante mais comme je le disais je ne me suis pas trop attardée dessus. Je l’ai trouvé trop obscur, qu’elle traînait en longueur et surtout qu’on apprenait rien — ça c’est vraiment dommage. 

Mais les personnages, les situations… waouh !


Il y a des scènes grinçantes, elles font rire malgré elles, d’un rire jaune mais quand même. 

Je pense à un passage, le plus marquant pour moi parce qu’il m’a fait mourir de rire en dépit de la situation : tous les samedis Adela et ses amies font leur lessive à la laverie, évidemment réservée aux noirs mais voilà qu’une canadienne entre et cela donne lieu à quelque chose de drôle, mais drôle !!


En réalité ça n’a rien d’amusant mais ici ça donne un souffle d’air, une respiration qui est la bienvenue dans ce roman où les « trois lettres » (KKK) brûlent des croix dans les jardin, où la police s’active pour retrouver une gosse blanche partie chez une amie mais reste le cul confortablement installé sur son siège de bar dès lors qu’il s’agit d’une gamine noire.


Les discussions entre Adela et ses différents employeurs au fur et à mesure de la semaine sont tantôt glaçantes par leur racisme, tantôt drôles par le rejet des convenances, ce à quoi Adela a du mal à se faire (« quoi ? Adela est montée dans la voiture d’un blanc ?! »…) 


J’aurais adoré une suite, vraiment j’aurais voulu qu’il y ait d’autres enquêtes au coeur de cette Alabama, avec ce même duo que tout oppose et qui est diablement attachant. 

J’aurais vraiment voulu. 

Mais la fin est arrivée et avec elle la prise de conscience que non il n’y aura pas de suite. Qu’il va falloir laisser Adela et Bud. 

Et c’est avec conviction que je conclus en disant que c’est malheureux, parce qu’honnêtement, j’aurais bien pris du rab. 







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