mercredi 20 mai 2020

Le Coin des libraires - Mémoire de fille d'Annie Ernaux

Auteure contemporaine prolifique, Mémoire de fille est ma première rencontre avec Annie Ernaux. Pourtant j'ai longtemps voulu la découvrir, en grande partie pour la dimension autobiographique présente dans bon nombre de ses ouvrages. 

J'ai choisi ce livre pour son titre (à la base je voulais surtout découvrir La place, mais je ne l'ai pas trouvé donc j'ai choisi celui-ci) : Mémoire de fille. Ça m'a évidemment fait penser au premier volet autobiographique de Simone de Beauvoir, mais pour moi, la comparaison s'arrête ici. 




Je ne m'attendais pas à ça. Ça, c'est le va et vient entre le passé, lors de l'été 1958 où l'auteure a 18 ans et le présent de l'écriture, celui du regard rétrospectif donc. Si ce n'était que ça, ça passerait encore, mais non, en fait ce qui m'a le plus gêné, c'est sans doute la narration, l'entremêlement de paragraphe où l'auteure utilise le je (= voix de l'auteure) et de paragraphe où il est question d'elle (= l'auteure, lorsqu'elle était à la colo en 58). 
On est confrontés aux réflexions de l'auteure qui vient décortiquer l'événement ou apporter un point de vue. Elle se met littéralement à nue dans son ouvrage, elle décrit tous ses espoirs et peines survenus lors de ce fameux été. 

La démarche auctoriale est très intéressante - même si c'est toujours très mégalo d'écrire un bouquin qui va s'attacher à revenir sur un événement personnel et en parler ; certains diront que l'écriture n'est pas une psychanalyse - même si je pense qu'il est préférable de lire ce livre quand on en a lu d'autres d'elle. Ça permet de savoir déjà si on aime le style de l'auteure, et en plus d'avoir une petite idée de ce à quoi on va être confronté.

Il n’y a pas de pensée en elle. Elle n’est que mémoire de leurs deux corps, de leurs gestes, de ce qui a été accompli — qu’elle l’ait voulu ou non. Elle est dans l’affolement de la perte, dans l’injustifiable de l’abandon.

Un des points forts de l'histoire c'est d'avoir une idée de l'enfance d'une fille à la fin des années 50. Les aspirations, les interdits. Le besoin d'être accepté, de faire partie d'un groupe. Ce moment dans la vie de l'auteure a été décisif, sans doute a-t-elle attendu des années avant d'écrire dessus, et on sent qu'elle y a réfléchi. Peut-être même un peu trop. J'ai eu l'impression de me heurter trop souvent aux mêmes réflexions. 

Et puis il y a mon côté sceptique qui se montre et qui pense qu'elle a peut-être aussi brodé son récit. Qu'elle a ajouté des détails signifiants pour porter son récit passé. Je ne sais pas, mais c'est possible et cette interrogation s'ajoute à celle de la légitimité. Pourquoi écrire un ouvrage sur soi et pour soi ? Mémoire de fille n'est-il pas, finalement, un ouvrage centré sur une expérience traumatique devenue tabou ou simplement mise de côté durant des années ?

Étrange douceur de la consolation rétrospective d’un imaginaire qui vient réconforter la mémoire, briser la singularité et la solitude de ce qu’on a vécu par la ressemblance, plus ou moins juste, avec ce que d’autres ont vécu au même moment. 

Je crois bien que mon avis n'est pas encore tout à fait tranché. J'ai aimé pour l'originalité, la démarche, et paradoxalement, j'ai bien moins apprécié pour les mêmes raisons. Je n'ai pas trouvé l'écriture d'Annie Ernaux particulièrement poétique, j'ai trouvé qu'elle s'apparentait à la plume journalistique parfois. La distanciation instaurée par le récit présent ne permet pas d'inciter une quelconque envie de découvrir "la fille de 58". Certaines questions sont vraiment intéressantes, notamment celles où elle s'interroge sur le fait d'écrire sur elle qui n'est plus elle. 

Et pourtant, il n'y a pas de coup de coeur, d'excellente lecture. Non, Mémoire de fille est pour moi (pour l'instant en tout cas) une lecture normale, rien de bien extraordinaire en somme. Ce n'est pas une lecture inoubliable. Elle aurait pu être fantastique, mais je trouve qu'elle est vraiment trop autocentrée, qu'ai-je appris si ce n'est quelques détails sur les moeurs en France en 1958 ? 
Je ne désespère pas, j'aimerais lire un autre ouvrage d'Annie Ernaux, simplement pour me faire un véritable avis sur cette auteure reconnue. Peut-être que le problème réside justement dans le fait que j'ai commencé par ce livre, et selon certains admirateurs de l'auteure, ce serait en quelque sorte une des clés de son oeuvre ou quelque chose comme ça.

Comment sommes-nous présents dans l’existence des autres, leur mémoire, leurs façons d’être, leurs actes même ? Disproportion inouïe entre l’influence sur ma vie de deux nuits avec cet homme et le néant de ma présence dans la sienne.







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